Un timbre de l'élection de Boumediène cédé à 2 euros, une statue de l'empereur Marc-Aurèle volée à Skikda en vente à New York, un rein d'Algérien « bonne santé, 24 ans, groupe sanguin B+ », à céder aux enchères. Libéralisme aidant, ce sont des milliers de bouts d'Algérie qui se vendent sur internet. Enquête sur un pays qui a besoin d'argent. Une annonce anodine, parue sur un site web anodin : « Salut je suis Algerien, 24 ans, en bonne santé et type de sang B+. Je suis prêt à vendre mon rein. » Mise à prix 20 000 euros. Est-ce du libéralisme sauvage ou du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ? Le débat en est un puisque si le célebrissime cheikh Youssef Al Qaradawi a, en effet, déclaré que « le corps était de l'argent offert par Dieu aux hommes », les laissant ainsi libres de vendre leurs organes, ce n'est pas l'avis de l'imam d'Al Azhar, le cheikh Mohamed Sayed Tantaoui, qui affirme que « la transplantation d'organes est religieusement permise, mais le donneur ne doit percevoir aucun argent ». Ce cas particulier n'a bien sûr rien à voir avec Latifa, ce bébé de 6 mois vendu à 20 000 DA l'année dernière à Boumerdès. Un phénomène qui a pris des proportions alarmantes avec des kidnappings opérés pour prélever les organes dans les cliniques, notamment au Maroc. Vrai ou faux ? Patrimoine matériel ou immatériel ? L'Algérie vend des entreprises publiques aux enchères. Des licences de téléphonie et des concessions pétrolières au plus offrant. Peut-on vendre de l'Algérie ? Après la récente polémique sur la vente des bronzes chinois de la collection Yves Saint- Laurent, une autre vente a fait scandale au début du mois de mars, celle des lunettes et autres objets ayant appartenu à Gandhi. Après avoir été annulée, la vente aux enchères a quand même été organisée à New York par la maison Antiquorum Auctioneers et c'est un homme d'affaires indien qui, par patriotisme, a acheté le lot pour 1,8 million de dollars, ce qui a permis de rapatrier ces dignes vestiges. L'année dernière, l'une des neuf statues volées du musée archéologique de Skikda en 1996 avec la complicité d'Algériens a été retrouvée aux Etats-Unis. Un buste en marbre de l'empereur Marc Aurèle s'apprêtait à y être vendu aux enchères au Rockefeller Plazza de New York quand le département de Khalida Toumi l'a identifié, la vente a été bloquée. "Cette pièce n'est pas un souvenir à vendre au plus offrant, mais un trésor inestimable qui fait partie de l'histoire de l'Algérie", a expliqué Mme Forman, directrice du bureau des enquêtes des douanes américaines, ce qui venant de l'Amérique marchande a de quoi étonner. Aux dernières nouvelles, Marc Aurèle devait rentrer en Algérie alors qu'il est Romain, le buste droit et fier. Mais on apprenait, il y a quelques jours, que l'arrière petit-fils de l'Emir Abdelkader, Mohamed El-Fatih, annonçait son intention de mettre en vente le palais mauresque Dar El Baraka, rue des Fontaines, à Alger. Le dernier héritier de l'Emir, ruiné, a quand même demandé à ce que le palais puisse être acheté par le ministère de la Culture. On attend la suite, mais d'ores et déjà, on sait que tout se vend. De la pièce du patrimoine jusqu'au plus petit objet sans importance. Une requête « Algérie » sur le site américain ebay, premier au monde pour les enchères en ligne, donne près de 3000 objets liés à l'Algérie. Dans le désordre le plus total, des uniformes, casques et médailles de la guerre d'Algérie, pointes de flèche du néolithique, météorites et actions d'ex-entreprises françaises en Algérie s'achètent et se vendent au plus offrant, souvent sans regarder vraiment la légalité des transactions. De tout mais aussi de rien, qui renseigne sur les valeurs à la mode, ou simplement sur les goûts des Algériens, telle cette annonce parue sur un site de collectionneurs fous : « Achète ou échange étiquettes de bagages relatives à l'Algérie. Réponse rapide assurée. » Ou celle-ci, parue sur un autre site, « une coupe trophée de bière 33 export Algérie, mise à prix 20 euros », ou encore cet « éclat d'obus de la guerre d'Algéri", 10 euros, « une capsule de soda 1960 Sigsoda Oran », 6.5 euros, une paire de babouches annoncée « plus de 60 ans », mise à prix à 8 euros, le « maillot n°10 de Ziani, équipe nationale algérienne », à 23 euros ou un « casque de pompier algérien », 50 euros. Plus chers, ces gants de boxe ayant appartenu à Marcel Cerdan, fils d'Algérie, vendus à 9500 euros, il est vrai, accompagnés d'une autre paire de gants, ayant eux appartenu au boxeur du Bronx, Jake LaMotta. Pêle-mêle au hasard de la pêche, un « drapeau Algerie 150 cm x 90 cm neuf », 3.90 euros, un « uniforme adjudant-chef coloniale Algérie 1946-1962 », 160 euros, un « Bouzid 1929 Algérie nu superbe rare impressionniste », 128 euros. Des « tracts du FLN de la guerre d'indépendance » vendus autour des 10 euros, avec cet introuvable « Algérie rare tract ALN-FLN appel aux juifs », 15 euros. Dans ce bazar électronique, il y a bien sûr des opportunistes et de véritables collectionneurs mais aussi de petits affairistes. Tel celui-ci, qui met en vente des billets de 100 DA (les bleus, en circulation), 5 euros, plus cher que le taux de change. Mais qui les achète ? Tout comme le billet de 1000 DA (le rouge, actuel), vendu à 15 euros sur ebay. Alors qu'avec 15 euros, on peut « acheter » 1600 DA. Les vrais spécialistes ont pourtant flairé un bon coup puisque que le doro (l'ex-5 centimes) est devenue une pièce rare, mis à prix à 5 euros.Tout comme bientôt les pièces de 10 et 20 centimes vont disparaître, dévaluation oblige, suivies des pièces de 1 et 2 DA qui vont subir le même sort. Sur ebay, la pièces de 1 DA de 2005 se vend d'ailleurs à 1,10 euro, celle de 2 DA à 1,40 euro. Tout se vend, tout s'achète, et il n'y a pas que les « petits » qui s'intéressent aux choses d'Algérie. Chez les prestigieux sites de vente aux enchères, comme Sotheby's, Christie's ou Drouot, de véritables objets d'art sont mis en ligne, à des prix conséquents. Tel ce Delacroix « Les rives du Sebaou », mis en vente chez Christie's à 700 000 dollars ou chez Sotheby's, un pistolet de 1861, signé El Hajj Mohamed, mis à prix à 8000 livres sterling. C'est évidemment chez Drouot, vieille maison de vente aux enchères française, que l'on trouve le plus d'objets d'art algériens, essentiellement des peintures orientalistes, faites ici, comme cette huile d'Albert Marquet, « L'arrière-port de l'Agha », cédée à 90 000 euros. L'Algérie est-elle condamnée à se faire vendre ? Non, même en Algérie, des sites de vente aux enchèressont montés, même si pour la plupart du temps, ils vendent des objets usuels comme un sèche-cheveux chinois. Pas tous. Trouvé sur un site d'annonces algérien et écrit tel quel, « billet et bon lisence de moudjahidine - Skikda : 200 000 DZD »