On connaissait le spécialiste de l'entreprise et du service public, donc du droit administratif et économique, il administre ici des talents de grand constitutionnaliste sur un sujet à première vue difficile, voire rebutant, mais néanmoins historiquement très intéressant et à ce titre captivant. Nous livrons ici quelques commentaires concernant la première partie de l'ouvrage. La simple lecture du titre de l'ouvrage focalise l'attention sur le constat de la mise à l'écart, entre 1992 et 1998, des pouvoirs publics constitutionnels préexistants et concomitamment sur les innovations, altérations, atteintes à ces mêmes pouvoirs durant cet intermède. D'une façon ou d'une autre, nous sommes interpellés sur l'originalité ou l'anormalité des institutions transitoirement mises en place pour faire face aux situations exceptionnelles vécues pendant cette période. L'ouvrage offre une analyse juridique des institutions républicaines de l'Algérie au cours d'une période particulièrement troublée et forcément porteuse d'exceptions constitutionnelles intéressantes à l'analyse. L'euphémisme «parenthèse» cache ou couvre une période dramatique de l'histoire politique et institutionnelle encore récente de l'Algérie. Cette parenthèse est «enfantrice», et à ce titre, n'est pas encore totalement fermée. Il n'y a pas que des aspects irrégulièrement légalistes. Les institutions ont été enrichies. Avant 1992, l'édifice institutionnel n'était pas encore entièrement établi et cette crise a accéléré la mise en place d'institutions pouvant accréditer l'idée d'un pouvoir légaliste : de nouvelles institutions sont nées : Conseil de la nation, Conseil d'Etat, Haute Cour d'Etat. Auraient-elles pu voir le jour sans la grande crise ? Dans sa démarche, l'auteur fait sienne la préoccupation lancinante des autorités provisoires vers un retour au processus démocratique amorcé mais interrompu et prend la mesure de la légitimité ou de l'illégitimité de leurs proclamations, actes et faits en référence au socle normatif constitué par les dispositions du titre 2 de la Constitution de 1989. Il constate qu'en six ans d'exercice, la transition aura «consommé» beaucoup d'organes, et assuré la paralysie de la loi fondamentale préexistante pourtant non officiellement abrogée. D'emblée, l'auteur situe le drame algérien dans le contexte d'une crise aux multiples facettes : Crise identitaire, financière, économique, sociale, sécuritaire et, finalement, politique, suite à «un séisme constitutionnel» consistant en la mise en place «d'organes transitoires» reposant sur des textes particuliers, aux lieu et place des pouvoirs prévus par la Constitution du 23 février 1989 et ce aux fins de faire face à la victoire sans conteste du Front islamique du salut (FIS) au premier tour du scrutin législatif du 26 décembre 1991. Initié dans la précipitation, «le processus démocratique est haché, conflictuel dès son introduction dans l'univers politique national». La Constitution de 1989 reconnaît l'existence du multipartisme. La loi sur les associations à caractère politique est promulguée le 05 juillet 1989. Une soixantaine de formations politiques et, parmi elles, le FIS, sont vite agréées. Pourtant, l'ouverture démocratique se trouvera avortée avec l'interruption du processus électoral au premier tour. Cela constituera une atteinte très grave au pluralisme politique naguère proclamé, un coup d'arrêt au processus démocratique à peine amorcé et un acte sans précédent dans l'histoire constitutionnelle. Cela débouche sur une crise constitutionnelle à laquelle, constate l'auteur, la doctrine s'est curieusement peu intéressée et pourtant «le droit constitutionnel comparé offre peu d'exemples de ce genre». L'auteur fonde ainsi l'intérêt de son sujet. : «la connaissance aussi objective que possible des institutions de transition durant la parenthèse sexennale». L'étude est, en effet, délimitée et datée. Elle relate une phase amorcée avec la crise de régime ouverte après la suppression du deuxième tour des élections en janvier 1992 et fermée le 5 janvier 1998. Une période relativement courte au cours de laquelle la légalité constitutionnelle classique fut fortement contusionnée. Ainsi, les coups de force contre l'ordre constitutionnel ont été nombreux : création d'organes autoproclamés (Comité national de sauvegarde de l'Algérie (CNSA) ; Haut Comité d'Etat (LICE) ; Haut Conseil de Sécurité (TICS) ; retrait du chef de l'Etat ; dissolution de l'APN… Pour le juriste constitutionnaliste, la Constitution est le document de référence des règles établies par le gouvernement d'un pays : quelles peuvent être alors les altérations subies lorsque le pays entre dans une crise, dans une situation sans précédent comme cela a été le cas en Algérie ? A quels «artifices» a-t-on eu recours pour que l'anormalité ne soit pas trop flagrante aux yeux de l'opinion nationale et internationale ? Quels pouvoirs, quelle légalité dans une société déchirée ? La crise politique est au cœur du sujet. C'est bien sûr le pouvoir en place et ses artifices juridiques qui sont objet d'analyse. L'auteur ne nous offre pas seulement une vision rétrospective des événements vécus mais mieux, un journal consignant presque au jour le jour les discours officiels, les déclarations des leaders politiques, les changements institutionnels, le jeu des alliances… en un mot, nous donne une image du fonctionnement anormal d'un gouvernement aux ordres de la «grande muette». Les entorses portées à la Constitution sont sans précédent, mais dans notre monde actuel, chaque gouvernement est soucieux d'une apparence de légalité. La crise aura consommé beaucoup de citoyens souvent innocents et, en même temps, beaucoup d'hommes politiques. La valse des changements politiques ainsi que des hommes au pouvoir trahit une instabilité institutionnelle flagrante. La période est riche en formules «légitimistes» mais Etat de droit et Etat de siège ne sont pas compatibles. «Les trouvailles» imaginées et mises en place apparaissent comme de simples «prothèses» révélatrices d'un régime doutant de sa propre crédibilité. Dans un tel contexte, les formes et tentatives de légitimation sont multiples : Déclaration (non publiée dans le JORA) du 11 janvier 1992 du Conseil constitutionnel. Proclamation du 14 janvier 1992 instituant un Haut Comité d'Etat (LICE). Commission du dialogue national (CDN). Déclaration du président du HCE. Plate-forme portant consensus national. Délibération n092-01/HCE du 19 janvier 1992. Déclarations et discours des autorités officielles (Président, Chef du gouvernement…). Programmes et discours des formations politiques. Dialogues ininterrompus internes. Sant'Egidio I et Il. Prises de position des partis. Mémorandums de l'Exécutif ou des Partis, des organisations de la société civile… La re-légitimation par une nouvelle Constitution. La déclaration du 11 janvier 1992 du Conseil constitutionnel est un cas exceptionnel dans la pratique constitutionnelle : les deux principaux organes de l'Etat, Parlement d'abord et président de la République ensuite, le premier par dissolution, le second par retrait, disparaissent successivement et provoquent une vacance constitutionnelle sans précédent connu dans le monde. Face à un cas d'espèce non prévu par la Constitution en vigueur, le Conseil constitutionnel, arguant de «la continuité de l'Etat», fonde sa propre compétence sur deux arguments juridiques (la double vacance de l'APN et du Président) et sur un argument politique (la situation que traverse le pays) et institue un directoire à quatre représentation (APN, Chef du gouvernement, président de la Cour Suprême et président du Conseil constitutionnel) avec mission d'assurer provisoirement le pouvoir «dans la perspective d'un retour rapide à la normalité politique et juridique». Cette déclaration qui tout en étant «une petite Constitution matérielle au sens propre du terme» ne fut pas publiée dans le JORA, mais sera pourtant à l'origine des institutions de transition. La plate-forme portant consensus national est aussi «un acte matériel de la sphère constitutionnelle». Elle n'abroge ni ne suspend nullement la loi fondamentale du pays mais, au contraire, y fait référence. Elle n'a, pourtant, ni valeur normative – la conférence nationale qui l'a adoptée n'étant pas souveraine – ni valeur juridique, la publicité assurée par le Journal officiel ne pouvant interférer sur sa propre nature juridique. La floraison de partis aux leaders pour la plupart inconnus par la quasi-majorité de la population donne à notre «démocratie» une image folklorique. A coups de subventions, le pouvoir s'est donné des alliés dans le champ sinon politique du moins médiatique. La réalité ne tardera pas à les faire taire et seuls subsisteront les partis tampon créés et maintenus sous obédience. Officiellement, le gouvernement dispose d'un pouvoir délégué mais comportant «une ligne rouge» – dont seuls les chefs de l'armée connaissent exactement les contours – à ne jamais franchir. En droit, le pouvoir délégué s'exerce dans la limite des attributions préalablement définies, mais pour les gouvernements successifs et transitoires de la période en revue, ces attributions ne sont consignées ni dans la ou les constitutions, ni dans un quelconque écrit mais consistent seulement en «ordres feutrés» obligatoirement et fidèlement exécutés. L'auteur suit à la trace le jeu de tous les protagonistes, et ils sont nombreux. Par-delà le jeu des institutions officielles, il y a aussi «les hommes éminents» qui font parler d'eux un peu trop souvent, qu'il s'agisse des «représentants de l'armée ou de leur porte-parole», des «plumes autorisées», des déclarations du camp opposé combattu et même emprisonné et néanmoins – par porte-parole – toujours présent sur la scène politique. Quel legs résulte de cette période ? La parenthèse est-elle vraiment fermée ? La déclaration des autorités militaires de se retirer du «champ civil» confirme a posteriori leur emprise antérieure sur le pouvoir civil et indirectement leur part d'action et de responsabilité dans «la construction et l'évolution» des institutions de cette période troublée. Est-ce pour autant, un champ parfaitement libre pour un fonctionnement démocratique des institutions ? En réalité et dès lors que la chefferie politique est en même temps chefferie partisane, le jeu politique reste faussé, car le système de représentation fonctionne en cercle fermé. Le ou les partis dits majoritaires n'ont plus de concurrents, car tout est entrepris pour briser les forces adverses. «Gisement d'une extrême richesse d'éléments et de strates de tous les ordres, demeuré à l'état brut jusque-là, la parenthèse des pouvoirs publics constitutionnels est une tranche de l'histoire politique de l'Algérie intéressante à tout point de vue.» Dans la mesure où le passé récent se projette encore sur notre présent, elle mérite plus qu'un simple regard, une large connaissance des institutions transitoires en tant «qu'expression d'un système illégitime». Outre son intérêt historique et la mine d'informations qui s'y rapporte, l'étude du professeur Boussoumah offre au droit comparé une expérience inédite de «manipulation» des institutions aux fins de légitimation de la «continuité» de l'Etat. Aussi, l'ouvrage est-il à recommander particulièrement aux professionnels de la politique, aux étudiants en droit et en science politique et, naturellement, à toutes les bonnes bibliothèques. Remercions le professeur Boussoumah de nous avoir dévoilé «le manteau noir et pudique» caractéristique de cette période, sans sacrifier un seul instant à la rigueur dans l'analyse juridique concernant la nature, les compétences et le fonctionnement des organes de transition ayant mis en veilleuse durant une période sexennale les pouvoirs publics constitutionnels légitimes. (1) Mohamed Boussoumah : La parenthèse des pouvoirs publics constitutionnels de 1992 à1998, OPU, 456 p.- 450 DA