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A FONDS PERDUS
La parenth�se 1992-98 Par Ammar Belhimer [email protected]
Publié dans Le Soir d'Algérie le 25 - 10 - 2005

On croyait les canots de l'intelligence, de la pertinence, de la recherche, de l'�rudition, des id�aux et de la libert� de penser d�finitivement bris�s sur les r�cifs de la canaillerie quotidienne pour des raisons qu'il serait fastidieux d'aligner ici. Quelques hirondelles, qui ne font certes pas encore le printemps, viennent cependant entretenir l'espoir que tout n'est pas perdu.
Que l'espoir est permis. La derni�re en date est porteuse d'une �uvre colossale du professeur Mohamed Boussouma sur �la parenth�se des pouvoirs publics constitutionnels de 1992 � 1998�, fra�chement sortie des presses de l'Office des publications universitaires. L'ouvrage, qui est certainement destin� � durer et � faire �cole, m�rite d'�tre acquis, r�sum� et conserv� ; il fait l'�conomie de dizaines d'autres essais sur le m�me th�me, parus ici et ailleurs. L'esprit libre est, ici, d�sint�ress�, critique et serein, objectif, donc constructif. De l'avis du professeur Boussouma, le processus d�mocratique ouvert �dans la pr�cipitation et en cercle ferm� � la faveur des �v�nements d'Octobre 1988 a pour autres particularit�s d'�tre �jalonn� de faux pas�, �hach�, conflictuel d�s son introduction dans l'univers politique national�. La parenth�se ouverte le 11 janvier 1992 par la d�mission ill�gale du pr�sident de la R�publique, pr�c�d�e de la dissolution clandestine de l'Assembl�e nationale, le tout entre deux tours d'�lections l�gislatives, et close le 5 janvier 1998, int�resse l'auteur dans ses moindres d�tails ; il s'y engouffre d'ailleurs avec la m�ticulosit� d'un orf�vre hors pair. Certes, la d�mission du pr�sident de la R�publique est �manifestement� un acte volontaire, comme l'avait soutenu bien plus tard le premier int�ress� lui-m�me dans les colonnes du quotidien Le Matin, mais cela n'emp�che pas l'auteur de conclure, au terme d'une lecture approfondie de la Constitution, qu'elle a �t� le catalyseur d'un coup d'Etat et qu'elle a constitu� une violation de la Constitution. En cela, cette d�mission �se double d'un manquement grave aux devoirs de sa charge. Dans un syst�me d�mocratique, dans un Etat de droit, elle serait passible d'une haute cour de justice par r�f�rence � la forfaiture dont parle le code p�nal�. La r�action du Conseil constitutionnel � cette vacance est sommaire, simpliste, ramass�e, concise et elliptique. Le conseil fait une lecture �plus politique que juridique du cas d'esp�ce dont il est saisi�, en proc�dant � une interpr�tation �troite, litt�rale, du texte, par opposition � la m�thode analogique. De cette faillite, et pour d'autres raisons aussi, �merge, ill�gitimement, un organe incomp�tent, le HCS, une excroissance constitutionnelle qui se r�unit le 12 janvier 1992 pour faire face � la situation au lieu et place de l'ex�cutif coll�gial investi par le Conseil constitutionnel. L'incomp�tence du HCS est �tablie par l'auteur, en raison de sa substitution � l'ex�cutif coll�gial, �en violation flagrante de la d�claration du Conseil constitutionnel du 11 janvier 1992�, mais aussi en raison de son statut d'organe consultatif aupr�s du pr�sident de la R�publique ne disposant pas de pouvoirs de d�cision. �Le HCS se comporte comme une autorit� constitutionnelle dot�e de pouvoirs propres alors qu'il n'est qu'un organe secondaire, un appendice de la norme sup�rieure. En agissant de la sorte, il se taille de fait un statut sur mesure. C'est le signe, le d�but d'une excroissance constitutionnelle du HCS qui sera aliment�e par la crise institutionnelle.� Le HCS se substitue de mani�re autoritaire et ill�gale � ce coll�ge �en s'octroyant unilat�ralement la g�rance de la souverainet� du peuple et en d�classant du m�me coup la souverainet� de la nation, la volont� g�n�rale en train de s'exprimer�. Le HCE est alors un organe de suppl�ance de la pr�sidence de la R�publique, un gouvernement de fait, imagin� le 14 janvier 1992 par une autorit� incomp�tente, le HCS qui, � d�faut de se p�renniser dans son r�le nouveau et de le fortifier, r�int�gre son statut d'organe consultatif du chef de l'Etat en transf�rant au premier toutes ses nouvelles comp�tences juridiques. La parenth�se est ainsi ouverte par une premi�re �proth�se constitutionnelle� : la proclamation du Haut-Comit� d'Etat, �uvre d'une phagocytose du fonctionnement normal des institutions et du r�gime constitutionnel par le Haut-Conseil de s�curit�. Dans une premi�re transition, la pr�sidence coll�giale (le HCE), suppl�ant le pr�sident de la R�publique d�missionnaire pour les deux ann�es restantes de son mandat, s'accapare les pouvoirs l�gislatifs et rabaisse le pouvoir judiciaire, d'ex�cutif coll�gial il se mue �galement en autorit� souveraine. Le HCE quitte le pouvoir dans l'indiff�rence g�n�rale. Une seconde �proth�se constitutionnelle� (la plateforme portant consensus national) verra le jour. Elle est l'�uvre de la commission du dialogue national qui encha�ne une seconde p�riode transitoire, le 14 janvier 1993. Appliquant � la lettre les orientations de la plateforme, le pr�sident de l'Etat, M. Liamine Zeroual, r�oriente le dialogue, dont il constate l'inanit� mais qu'il poursuit y compris � l'ombre avec les dirigeants incarc�r�s de l'ex-FIS, autour de la pr�paration politique et technique d'�lections anticip�es avant la fin de l'ann�e 1995 confi�e � deux groupes de travail ad hoc discrets mais influents form�s autour de deux chantiers : la r�vision de la Constitution pour l'av�nement de la deuxi�me chambre, le Conseil de la nation, et la r�forme du dispositif juridique, plus particuli�rement la loi �lectorale et la loi sur les associations � caract�re politique. Des d�veloppements tr�s cons�quents, fouill�s et d'un agencement m�ticuleux du point de vue chronologique et th�matique, sont consacr�s � la question du dialogue national. Celui-ci appara�t tant�t inconsistant, tant�t en cascade. Cette �tape complexe et dramatique de notre histoire est une expression particuli�re d'une cat�gorie de droit constitutionnel qui semble avoir couvert tout le cheminement du jeune Etat alg�rien : le constitutionnalisme de crise. La parenth�se des pouvoirs constitutionnels �tudi�e sous toutes ses facettes est �la manifestation la plus illustrative et certainement la plus schizophr�nique du constitutionnalisme de crise (par opposition au constitutionnalisme classique) qui affecte cycliquement le syst�me politique national�. Il a pour fondement deux proc�d�s : l'un extra-l�gal, r�sultant d'un coup de force rev�tant deux variantes (au sens propre du terme tel le coup d'Etat de 1965 et de coup de force juridique et constitutionnel � l'exemple de celui op�r� par le HCS); l'autre purement l�gal parce qu'il se r�f�re � la norme constitutionnelle qui �num�re dans son dispositif les trois �tats de crise �ventuels (�tat d'urgence, �tat de si�ge, �tat d'exception). Ce constitutionnalisme de crise est un enfant ill�gitime de l'ind�pendance du pays, dont peine � se d�partir le syst�me politique national, des institutions provisoires de la guerre de lib�ration � l'ind�pendance de l'Alg�rie avec l'ordre colonial. Les �l�ments relatifs � l'organisation et au fonctionnement des institutions politiques susceptibles d'instaurer la libert� politique et un gouvernement d�mocratique �tant enferm�s dans la constitution de 1989 comme celle de 1996, qu'est-ce qui emp�che l'instauration d'un Etat de droit ? La r�ponse tient � une r�alit� �prosa�que�, nous dit M. oussouma : �L'Etat de droit est � peine balbutiant. Il suppose un environnement et d'autres conditions qui n'existent pas encore dans notre pays. Avec plus de sept millions d'analphab�tes, le contexte intellectuel de la soci�t� est peu propice aux joutes et aux choix politiques autonomes. La religion impr�gne fortement le v�cu quotidien du citoyen, tr�s attach� par ailleurs aux valeurs traditionnelles. L'opinion publique est informe. Corollaire de l'individualisme, la citoyennet� est en butte aux pesanteurs sociologiques, elle se fraie difficilement un statut dans un climat difficile, l'emprise du corps social et de l'esprit du douar est toujours vivace. A l'exception de la minorit� moderniste du pays qui revendique et assume sa citoyennet�, le reste de la soci�t� est � peine au stade de la prise de conscience de la valeur politico-juridique du principe. Ayant, pour la plupart, peu d'ancrage dans la soci�t�, les partis politiques ne sont qu'une version �dulcor�e du parti unique, leur vie int�rieure est g�n�ralement peu d�mocratique, leur appareil respectif � lorsqu'il en existe � est au service exclusif du chef. Le syst�me de pens�e unique survit malgr� les changements introduits dans tous les domaines, il provoque des ravages dans tous les milieux. Si la soci�t� civile est en gestation, la classe politique ne semble pas avoir encore int�rioris� le compromis et le consensus. Quant aux contre-pouvoirs, la plupart font � peine leurs premiers pas dans le champ politique, beaucoup d'entre eux ont �t� neutralis�s par le pouvoir depuis leur apparition, tous ou � peu de choses pr�s servent de d�corum d�mocratique. L'�thique du service public est en d�liquescence et les gouvernants fonctionnent toujours � l'autoritarisme. La r�gulation par le droit n'est pas entr�e dans les m�urs politiques et citoyennes, d'o� la recherche de solutions par des moyens que la morale r�prouve. A ce faisceau dense de facteurs plus ou moins n�gatifs qui retardent l'enracinement de la pratique d�mocratique, se surajoute un �l�ment dont la charge n�gative est d�sastreuse tant au plan politique et juridique qu'au plan psychologique. Il s'agit de l'exemple contestable qu'offrent les pouvoirs publics aux citoyens par leur attitude peu formaliste � l'�gard de la r�gle de droit, par leur attitude peu scrupuleuse des r�gles du jeu politique en vigueur, par leur comportement erratique vis-�-vis de la norme supr�me.� Le m�pris de la proc�dure et du formalisme mesure la distance qui nous s�pare encore de la libert� en g�n�ral et de la libert� politique en particulier.

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