Le thème de la révision constitutionnelle polarise de nouveau l'attention des acteurs politiques depuis l'annonce qui en a été faite par le président de la République dans son discours du 15 avril 2011. Annonce se voulant tout à la fois réponse aux demandes de changements politiques exprimés par certains courants de la classe politique, et anticipation sur ce qu'il est convenu d'appeler aujourd'hui «le printemps arabe». Paradoxalement, le débat semble déjà engagé alors que ni le contenu ni les termes de cette révision de la Constitution ne soient connus et encore moins définis. Un débat sans objet précis comme le révèlent les nombreux écrits et points de vue exprimés ou publiés dans les différents médias à ce sujet. En parcourant les écrits, l'idée est que l'Algérie souffrirait d'une «question constitutionnelle» constante et rédhibitoire qui l'obligerait à voir et revoir en permanence le texte constitutionnel aussi récent soit-il, et par-delà, les fondements de son édifice institutionnel et politique… Par-delà les présupposés, les stratégies des acteurs, les confusions sur l'idée même de Constitution, il y a là sans doute matière à diagnostic du malaise que fait naître la vie institutionnelle et politique chez bon nombre de nos concitoyens. C'est un fait que la Constitution de 1989 a inauguré un nouveau «cycle constitutionnel» et marqué un tournant important de la vie politique en Algérie, en ouvrant pour la première fois le champ au pluralisme politique, à l'expression libre des droits et libertés, y compris dans les domaines du commerce et de l'industrie. En consacrant les principes de l'Etat de droit et de la légitimité constitutionnelle, elle a suscité de grands espoirs chez les citoyens en même temps qu'un élan sans précédent vers les revendications de plus amples espaces de liberté sur fond, toutefois, de disqualification systématique du système antérieur. De la disqualification à la contestation radicale et violente des institutions républicaines et de l'Etat, le pas a été vite franchi parce que les pouvoirs publics n'ont pas su mettre en œuvre, par manque de prévoyance, les instruments d'accompagnement à la mesure de l'ampleur et la profondeur des mutations engagées. Peut-être en ont-ils sous-estimé les conséquences sur la réalité sociale... Aussi bien, la révision constitutionnelle qui a donné naissance à la Constitution de 1996 apparaissait-elle comme une prise de conscience de la nécessité de mettre à l'abri l'Etat et la démocratie naissante des périls que pouvaient générer des changements aussi brusques qu'inattendus. A la vérité, le texte constitutionnel de 1996 issu de cette révision, est parmi les quatre textes constitutionnels qu'a connus l'Algérie indépendante, celui qui semble le plus directement porter la marque de la réalité sociale et politique du pays. En ce sens, ce texte semble refléter au plus près cette réalité complexe et composite. Une réalité de crise dont la traduction constitutionnelle pose, il est vrai, des problèmes constitutionnels et juridiques qui ne sont nullement artificieux. Mais ne devrait-on pas convenir du caractère sinon chronique du moins sporadique des crises aujourd'hui ? Le phénomène n'est pas propre, du reste, à l'Algérie, il touche les sociétés insuffisamment préparées aux grandes mutations que connaît le monde aujourd'hui. Faute pour la Constitution de 1989 d'avoir porté en elle-même, comme le recommande la vieille formule «l'antidote de ses propres vices», il lui fallait supporter d'abord une «prothèse», pour reprendre l'heureuse formule du professeur Boussoumah, avant de subir un profond réaménagement qui a touché aux différents pouvoirs de l'Etat. Ce réaménagement apparaissait d'autant plus pressant que les institutions nées à titre transitoire du gel de la Constitution de 1989 et de la crise qui s'en était suivie, montraient des signes d'essoufflement. Cette crise en a éprouvé l'efficacité. Ces institutions provisoires (comité d'Etat, présidence d'Etat, Conseil consultatif national, Conseil national de transition) qui ont eu la lourde tâche d'exister et de se substituer aux différents pouvoirs constitutionnels, portaient aussi les causes de leur crise. Elles résident pour l'essentiel dans leur nature même et leur impuissance à faire face à la complexité et à l'ampleur des problèmes politiques, économiques, sociaux, posés durant cette période et que la violence ne faisait qu'accentuer et différer la solution. La permanence de ces institutions, comme du reste le prolongement de cette période transitoire, ne pouvait aller sans mettre davantage en péril la crédibilité de l'Etat, déjà largement entamée. L'hypothèque de la période transitoire devait donc être levée. C'est dire que la révision de la Constitution de 1989 qui suggérait la mise en place de mécanismes institutionnels plus adaptés, apparaissait dans ce contexte comme une «mesure salutaire» pour la pérennité de l'Etat. La nouvelle Constitution de 1996 sans remettre en cause la philosophie générale du pluralisme politique et des libertés publiques, ni les principes de l'Etat de droit inscrits dans la Constitution de 1989, fait cependant la part de ce qui doit revenir à l'Etat et aux droits. Une part négligée dans les premiers moments «d'errements démocratiques» et les mirages qu'ils ont générés. A l'instar de beaucoup de Constitutions de pays à tradition démocratique et libérale nées pour la plupart dans des périodes de crise, la Constitution de 1996 tente de trouver le juste équilibre entre les exigences nécessaires à l'exercice des libertés publiques et celles liées aux rapports à l'Etat. Cette œuvre complexe et toujours inachevée qui consiste à mettre en place des institutions protectrices et à poser des garanties constitutionnelles pour organiser la vie politique en période de crise n'a pas été engagée jusque-là. En cela, la Constitution de 1996 se présentait, avant la révision de 2008, comme un texte moyen, d'équilibre suscitant ainsi l'impression d'hésiter entre un «présidentialisme vigoureux» et un «parlementarisme encadré» pour autant que ces deux séquences puissent exister à l'état pur. Les Constitutions n'ont pas vocation à se définir ni à se situer ab initio par rapport à ces deux catégories. Ce ne sont là que des constructions doctrinales toutes relatives sans critère précis, n'ayant qu'une vertu explicative à l'agencement et à l'organisation des pouvoirs dans les différents systèmes politiques. Il n'existe pas, par définition de Constitutions de type présidentiel ou de Constitution de type parlementaire, même si l'on peut observer aujourd'hui une tendance à les qualifier ainsi. Les systèmes politiques contemporains offrent des solutions diversifiées selon que leurs Etats sont unitaires ou fédéraux, selon le degré de sécularisation de leurs sociétés, selon leurs contextes historique et culturel… Ils empruntent ainsi des voies différentes pour la garantie des principes fondateurs de l'Etat de droit et des régimes constitutionnels comme dénominateurs communs, c'est-à-dire la représentation, la séparation des pouvoirs et la garantie des droits et libertés. Dans cet esprit, il est significatif d'observer que la Constitution de 1996 consacre au plan formel ces principes et ce faisant, s'inscrit au sens téléologique, dans la lignée des régimes constitutionnels et dans les tendances mondiales vers l'instauration d'Etats de droit. L'organisation des pouvoirs qu'elle met en œuvre s'ordonne cependant, non pas autour du Parlement mais autour du président de la République, acteur essentiel dans le fonctionnement des institutions. Il n'y a là rien de paradoxal. C'est une option que beaucoup de pays ont choisie. Cette prééminence du président de la République dans l'ordonnancement constitutionnel tient essentiellement à deux facteurs propres à l'histoire institutionnelle de l'Algérie indépendante. Le premier est lié au fait que le constituant algérien a, dès l'indépendance, emprunté à la Constitution française de 1958 le statut de président de la République dont le poids est fondé sur une légitimité tirée de son élection au suffrage universel direct. Ce suffrage direct lui confère une majorité présidentielle qui naît au moment de l'élection et qui est plus large que la majorité parlementaire. Cela explique qu'il dispose en propre de prérogatives constitutionnelles étendues qui n'emportent, et pour cause, aucune responsabilité devant le Parlement. De ce fait, il «incarne l'unité de la nation» en même temps que l'Etat dans le pays et à l'étranger tout comme il est le garant de la Constitution. Il s'adresse directement à la nation, il peut recourir au référendum sur toute question d'importance nationale, il peut dissoudre l'Assemblée nationale, décider d'élections législatives anticipées. Il est le garant de la Constitution, de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités… Ce statut justifie aussi le régime des pouvoirs exceptionnels auxquels il peut avoir recours en cas de nécessité impérieuse. Il dispose enfin de larges pouvoirs de nomination aux emplois civils et militaires de l'Etat. Ces pouvoirs se retrouvent dans l'ensemble des Constitutions algériennes depuis l'indépendance avec une variable : le droit de légiférer par ordonnance pendant la phase d'intersession du Parlement, que la Constitution de 1989 lui avait ôté et que celle de 1996, la crise aidant, lui rétablit. Le deuxième facteur est lié aux voies idéologiques dans lesquelles l'Algérie s'était engagée dès son indépendance, se traduisant au plan constitutionnel par l'unité du pouvoir et le statut minoré de la représentation nationale. Dans ce schéma, où le principe de la séparation des pouvoirs était formellement rejeté, le président de la République incarnait l'unité au sommet du parti unique et de l'Etat. Ce qui lui conférait de larges attributions partisanes et étatiques. La Constitution de 1996 porte encore sur ce point l'empreinte de ces deux legs qui expliquent cette prééminence du président de la République. La dualité de l'exécutif, qui était au centre de la première révision constitutionnelle du 3 novembre 1988, et que la Constitution de 1989 consacre, n'a pas entamé, loin s'en faut, le statut prééminent du président de la République. Le statut constitutionnel du chef du gouvernement ainsi que la pratique politique et institutionnelle le confirment aisément. Les pouvoirs dont disposait le Chef du gouvernement dans l'exercice de la fonction réglementaire et en matière de nomination sont du reste très limités en proportion de sa responsabilité devant le Parlement.Toute crise le plaçait nécessairement sur le devant de la scène et souvent en bien mauvaise posture. Il ne s'agit par conséquent pas d'un bicéphalisme de l'exécutif au sens originel du terme, dans lequel le Chef du gouvernement apparaissait comme un second pôle de commandement grâce à son assise partisane et parlementaire Dans le schéma constitutionnel algérien, ce dualisme de l'exécutif procédait plutôt du souci de rationaliser le travail de l'exécutif, en émancipant le président de la République des charges de la gestion gouvernementale et en prémunissant, en cas de crise, son image de chef d'Etat. Il conservait toutefois constitutionnellement d'importantes prérogatives de contrôle sur le gouvernement qui demeure en tout état de cause en situation de subordination. C'est dire que la fonction présidentielle, fonction d'incarnation en premier chef, est conçue pour s'exercer sur les hauteurs, le Président agissant à ce titre, contrôlant, mettant en garde, arbitrant, déclenchant des procédures… bref, «empereur et non patron de galères». A un autre plan, à celui des autres pouvoirs judiciaire et législatif, la Constitution de 1996 introduisait plusieurs nouveautés dans l'esprit d'une mise en œuvre plus harmonieuse avec les exigences de l'Etat de droit. Deux d'entre elles méritent une attention particulière. Le pouvoir judiciaire a été réorganisé autour du principe de la dualité de juridiction en distinguant les juridictions de droit commun des juridictions administratives. Cette autonomisation hautement symbolique de la justice administrative annonce en principe un meilleur exercice du contrôle de la légalité de l'action de l'administration, dont on sait maintenant tous les excès et les risques qu'ils comportent pour les droits des citoyens et l'image de l'Etat. La récente réforme du CPC (Code de procédure civile) gagnerait à être poursuivie et approfondie dans le sens d'une plus grande autonomisation de la justice administrative et le renforcement de ses moyens de contrôle sur l'action administrative. Le pouvoir législatif a subi, dans sa conception, une profonde refonte avec l'instauration du bicamérisme. Là encore, par-delà les traditionnelles et récurrentes réserves que suscite l'existence d'une deuxième chambre, sa création est l'un des plus grands enseignements tirés de la crise. Elle répond certes au souci de constituer un contrepoids à ce qu'il est convenu d'appeler la «dictature des majorités», mais dans le même temps elle permet d'assurer par sa composante une plus large représentation des populations et du territoire et une plus grande professionnalisation du travail parlementaire. Les pays de plus en plus nombreux qui accèdent à la démocratie ont le projet de créer une deuxième chambre. Ils voient dans cette institution un gage de «stabilité» et de «permanence de la République», comme en témoigne la dernière rencontre des sénats du monde tenue à Paris en mars 2000. En Algérie, la deuxième chambre compense dans une large mesure ce «déficit de représentation» lié à la jeunesse, l'inexpérience et le faible niveau d'implantation des partis à travers le territoire national. A bien y regarder, du point de vue de sa philosophie générale, des principes qu'elle consacre, du schéma qu'elle met en œuvre, la Constitution de 1996, en même temps qu'elle constitue une synthèse des textes précédents, marque une évolution positive des institutions algériennes au regard des contextes national et mondial. Les lacunes, insuffisances ou incohérences qu'elle peut receler, propres à tout texte d'une telle portée, n'altèrent pas outre mesure le jeu normal des institutions, les équilibres recherchés, ni par ailleurs la mise en œuvre des différents programmes gouvernementaux et les politiques publiques d'une manière générale. Il y a par conséquent comme un malentendu sur la qualité de la Constitution actuelle et sur son contenu, sans doute aussi sur l'idée que l'on s'en fait et les fonctions que l'on entend lui faire remplir, si tant est qu'elles sont les siennes ; d'où ces deux interrogations légitimes et lancinantes : à quoi imputer cette tentation à réviser en permanence la Constitution ? Pourquoi réviser la constitution ? Sans doute, la complexité de la crise que traverse l'Algérie, les difficultés de la transition démocratique, ont-elles fini par produire l'illusion que les issues résident dans la refonte du texte constitutionnel perçu comme la racine première du mal. Lorsqu'on prend la peine d'examiner attentivement les différentes Constitutions algériennes, on s'aperçoit, lorsqu'elles ont été appliquées, qu'elles ont joué un autre rôle. Ce présupposé qui confine au mythe, consciemment ou inconsciemment entretenu, demeure vivace dans les esprits. C'est sans doute moins une affaire d'argumentation, qu'une question d'inclination. Les idéologues péremptoires trouveront donc toujours motif à révision. Il ne leur viendrait pas à l'idée que le texte constitutionnel en tant que «pacte social» n'a pas pour vocation de satisfaire entièrement un groupe, un parti, un acteur… C'est à leurs yeux un simple code de procédure, sorte de «règlement intérieur de la République» à l'usage des acteurs institutionnels. La pratique constitutionnelle algérienne a contribué dans une certaine mesure à entretenir ce mythe, en n'ayant pas su préserver le texte constitutionnel des contingences politiques, et en n'ayant pas su l'émanciper de l'exercice du pouvoir ; alors même qu'il a pour vocation de réguler le politique et de l'encadrer. Par ce fait, on fait perdre au politique ses missions et à la Constitution son propos. Aussi bien, les révisions constitutionnelles, sitôt annoncées, devenaient-elles des enjeux politiques et idéologiques dont l'intensité conduisait à des processus d'élaboration de nouvelles Constitutions. L'Algérie a connu, après une longue phase d'absence de texte fondamental (1965-1976), plusieurs Constitutions (une par décennie). Cette succession rapide peut exprimer un attachement à l'idée de Constitution. Mais la singularité de l'histoire institutionnelle algérienne a fait coïncider les hommes et les Constitutions enracinant la croyance, qu'à chaque homme d'Etat sa Constitution. Cette succession de Constitutions introduit une mobilité dangereuse au cœur du texte fondamental censé fixer les principes. Elle explique la difficulté à enraciner les pratiques constitutionnelles dans notre pays et fait envier «la paix et la stabilité» dans certaines démocraties. En effet, élaborer trois Constitutions en vingt ans (76- 96) est un rythme constitutionnel difficilement soutenable pour une société qui aspire, compte tenu de son histoire agitée, à un «retour au calme». Ainsi, tous les dix ans, après chaque désenchantement, on reprend les mêmes errements… L'image de chevaux de manège qui ont l'air d'avancer quand ils reviennent sur leurs pas est malheureusement présente. Par ailleurs, les «vaines manies d'invention» participent aussi au mythe. Depuis que l'idée a été introduite, sous l'influence de «paroles savantes» au moment de la révision de la Constitution de 1976, que l'on passait d'une «Constitution-programme» à une «Constitution-loi», le texte fondamental a été du coup relégué au stade de la technique de la procédure et du «savoir- faire». Il est donc susceptible d'être revu et amélioré à tout moment. Les révisions se justifieraient alors par cette quête constante à trouver la «bonne Constitution». Qu'est ce qu'une «bonne constitution» ? Celles-ci ne valent que par leurs vertus à opérer de réels consensus autour des principes du constitutionalisme et surtout à envisager l'avenir. Aux antipodes de cette tendance à réduire le texte constitutionnel à un code de procédure, Sismondi disait de la Constitution qu'elle comprend «toutes les habitudes d'une nation, ses affections, ses souvenirs, les besoins de son imagination, tout aussi bien de ses lois…». Une manière d'appeler l'attention sur le fait d'occulter l'histoire et la société. C'est dire que faire une Constitution ne procède pas d'une entreprise scolastique, pas plus qu'elle ne peut procéder d'une volonté libre, si éclairée soit-elle, inspirée des illusions du volontarisme, de l'abstraction et du mimétisme. Pareille entreprise qui tourne le dos à la réalité sociale est un «jeu de l'esprit» qui accentue chez nous la distance entre les institutions et la société. Benjamin Constans corrobore cette idée lucide, déjà émise par Napoléon dans sa volonté de fixer la révolution, que «la Constitution est l'œuvre du temps». Aussi, considère-t-il que «les Constitutions se font rarement par la volonté des hommes, le temps les faits, elles s'introduisent graduellement et d'une manière insensible». Ne devrait-on pas avoir la modestie de consulter l'histoire et notre expérience récente ? Elles nous offrent des exemples édifiants des risques que font courir à leur société les vues de l'esprit des hommes. L'annonce d'une nouvelle révision constitutionnelle tout autant que l'idée de tenir une constituante peuvent réveiller en effet de «vieux démons». Il se trouvera des «leaders» pour raviver les questions auxquelles la société n'a pas encore trouvé les réponses adéquates. Des événements récents, touchant à des questions de la vie nationale, telle que la réforme de l'école, le statut institutionnel du religieux, l'exercice libre des cultes, le choix de la journée de repos hebdomadaire… donnent une idée des passions qui couvent dans la société. Face à ces risques prévisibles, l'attitude n'est pas au repli. Ces risques méritent d'être courus si les issues étaient là. Une voie différente des expériences passées et des procédés qui ont fait la preuve de leurs limites participant de la concorde et de la recherche de l'apaisement des esprits, serait plus opportune. Cette œuvre originale consisterait à éloigner des voies faciles des mobilisations factices, autour de l'espoir que suscite la révision constitutionnelle présentée comme une panacée, alors qu'elle n'est en fait qu'un ersatz de solution. Tant qu'on n'aura pas saisi cette «évidence», «les chevaux de manège» poursuivront la même course effrénée et infructueuse. L'annonce que le texte constitutionnel, tout imparfait qu'il soit est appelé à durer et ne sera amendé que sur des questions précises pour en restituer la cohérence contribuera à cerner le débat, apporter la sécurité juridique et rassurer la grande majorité de nos concitoyens sur leur devenir. En ce sens, nous manquons de «conservatisme» parfois nécessaire aux sociétés victimes des aléas de l'histoire. Pour autant, il ne s'agit pas de prôner l'immobilisme. Certes, un texte constitutionnel a toujours besoin d'être corrigé ou complété, mais il gagnerait davantage à être appliqué et bien interprété. C'est l'œuvre de l'institution chargée d'en garantir le respect. Institution dont il conviendrait sans doute de renforcer le statut et d'élargir les modes de saisine afin de donner sens à l'idée même de Constitution et à sa primauté dans la hiérarchie des normes. L'essentiel réside donc dans le consensus autour du principe de constitutionnalité et les conditions de sa mise en œuvre. C'est simplement souligner, en l'occurrence, le caractère sinon superfétatoire du moins accessoire des débats «régime présidentiel» ou «régime parlementaire»... Aussi, et si la révision devait trouver un fondement, ce serait pour répondre au besoin d'apporter les garanties nécessaires à la mise en œuvre du principe de constitutionnalité. On ne devrait donc y procéder «qu'avec la lime, pas avec la hache». Les Constitutions naissent généralement avec les Républiques dans des contextes de ruptures violentes et brutales avec des régimes absolutistes ou avec des systèmes totalitaires ou coloniaux. Mais elles peuvent également prendre corps, par sédiments successifs, au rythme des sociétés à mesure que celles-ci admettent la philosophie de la représentation, l'idée de citoyenneté, le principe de liberté et distinguent ce qui doit relever de la sphère publique de ce qui est propre à la sphère privée. Dans cet esprit, la Constitution de 1996, à la suite des textes qui l'ont précédée consacre dans son énoncé bon nombre de ces principes. Il suffira que le fait puisse rejoindre le droit pour les rendre effectifs et opposables.C'est aussi l'œuvre du temps…mondial. La dernière révision de 2008, qui ne devait répondre qu'à un souci tout conjoncturel, a fini par introduire des modifications qui ont touché à l'équilibre déjà bien précaire des pouvoirs. En substituant le programme présidentiel au programme gouvernemental et la fonction de Premier ministre à celle de chef du gouvernement elle quitte la logique d'ensemble de la Constitution de 1996 en écartant toute possibilitité de mise en jeu de la responsabilité politique… sacro-saint principe dans les régimes constitutionnels. On retrouve ainsi, toutes proportions gardées, le système que le cardinal de Richelieu appelait en son temps «le Principat». C'est cet équilibre rompu que la prochaine révision devrait aussi avoir pour objectif de rétablir. L'Algérie a durant plus d'une décennie opéré sa transition normative. Il lui reste à assurer sa transition institutionnelle portée dans ses textes constitutionnels depuis 1989, mais chaque fois contrariée par les aléas de la vie politique. Elle gagnerait à l'accomplir en sachant distinguer l'essentiel de l'accessoire, les vues de l'esprit de la réalité objective. Ce faisant, nous rejoindrons la pratique courante des grandes démocraties. Par cette attitude prudente, on contribuera à enraciner l'idée d'un Etat de droit, d'une société qui cherche à évoluer et non pas à être remodelée. Nous assurerons dans le même temps à la Constitution comme aux institutions permanence et efficacité. Elles survivront alors aux «événements et aux hommes». Walid Laggoune. Professeur de droit public /Université d'Alger 1