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De l'ascèse mystique et de l'obligation religieuse à la pratique actuelle
Publié dans El Watan le 21 - 10 - 2006


– Introduction
– I) Ascétisme mysticisme et religion :
– I.1 L'ascèse mystique
– I.2 L'obligation religieuse
– II) Les exigences de la nature humaine et leurs contraintes :
– II.1 Motivation et comportement
– II.2 Conflit de motivations et frustrations
– III) Modalités d'expression actuelles de la pratique sociale :
– III.1 Le dévoiement de la signification et de la finalité du rite
– III.2 La récupération mercantilisme véreuse
– III.3 Le retentissement sur l'économie biologique
Au regard d'un enfant qui s'éveille au monde des adultes et qui reste attentif à ses impressions les plus vives, de toutes les fêtes et manifestations religieuses, le Ramadhan est celle qui revêt une importance particulière, pas seulement parce qu'il dure bien plus longtemps, mais parce qu'il s'y dégage un parfum caractéristique des plus vivaces, à l'origine de la nostalgie qu'on en gardera toute une vie durant.
Il ne s'agit pas seulement de la pregnance des odeurs, fortes et variées, dégagées par tous les innombrables produits de consommation proposés à la convoitise des jeûneurs, mais bien plus encore de cette atmosphère particulière qui enveloppe les gens, les choses et les événements de cette animation particulière et de ses multiples bruissements, qui se saisit en fin d'après-midi, de toutes ces foules qui se pressent de toutes parts, de l'ineffable magie de veillées et de l'indicible féerie des festivités nocturnes, amplifiées par l'émerveillement de l'enfance.
Toutes les personnes nées avant la guerre de libération gardent en mémoire le spectacle bruyant et bigarré des interminables processions des multiples confréries religieuses, avec retraites nocturnes aux flambeaux, tous étendards déployés au vent, au rythme des tambourins traditionnels ou de la fanfare «indigène», depuis lors disparues.
A l'évocation de mes plus vertes années, dans ma ville natale de Béjaïa, au temps béni où tous ceux que j'aimais étaient encore en vie, il me revient un souvenir du Ramadhan particulièrement attendrissant. C'était peu avant la révolution, alors que je n'étais pas plus haut que trois pommes et que chaque soir, j'accompagnais mon père à la mosquée de Sidi Soufi pour la prière des taraouih.
En l'attendant dehors, adossé au mur de l'édifice, à travers les cyprès qui se dressaient devant moi, je pouvais contempler la majestueuse beauté du ciel étoilé, bercé par la récitation des versets coraniques et des louanges du Seigneur. Jusqu'à ce que, pour ma récompense, il m'emmenât au célèbre café des sports de la rue Fatima, aujourd'hui en ruine, pour écouter ce grand maître du chaâbi algérois, tout en sirotant une grenadine à l'eau.
Je me souviens également de tous ces merveilleux jeux d'enfants qui illuminaient les veillées du Ramadhan et qui conféraient à ce mois sacré ce charme indéfinissable si prégnant. Ces jeux qu'on redécouvrait pour la circonstance, car perdus de vue le reste de l'année et qui ont presque entièrement disparu des rues de nos villes et villages, se prolongeaient tard dans la nuit, de Houmet Karamane, à Houmet Cherchor, en passant par Houmet Bab Louz et Houmet Abazine.
Que dire alors du joyau du Ramadhan Leïlat El Kadr, la nuit du destin ou nuit du décret divin, sinon que c'est un instant de grâce pendant lequel le souffle de l'esprit attise l'ardeur populaire, de Sidi El Bettrouni à Sidi El Khider, en passant pas Sidi Alioua et Sidi Soufiane. Ce n'est que progressivement que j'ai émergé de ce vertige grisant, fini par comprendre vraiment ce dont il s'agissait et accoler des significations à toutes ces impressions. Avec le temps, la grisaille de la routine, les préoccupations d'adulte de plus en plus dénuées de poésie, les contraintes du jeûne, probablement, ont quelque peu dépouillé le Ramadhan de son aura magique, dont il persiste toutefois comme un lointain écho, au fond de la conscience.
Quand de plus, la misère des temps aidant, la veulerie de certaines conduites répréhensibles ont achevé de le dépouiller de sa gloire d'antan, il est désormais possible d'y poser un œil critique bien que toujours bienveillant, d'essayer d'en cerner les contours et d'en esquisser les tendances actuelles.
– I. Ascétisme, mysticisme et religion
– I.1 L'ascèse mystique
L'ascétisme est une philosophie de la vie ou une conception religieuse selon qu'il s'agit d'ascétisme philosophique, le stoïcisme par exemple, ou d'ascétisme religieux, le soufisme essentiellement. Si dans les deux ordres d'expression, les apparences formulées peuvent se ressembler, les objectifs et finalités visés diffèrent considérablement. Dans le premier cas, il s'agit d'un art de vivre et de règles de conduites de l'existence qui prônent une discipline librement consentie, visant le libre exercice de la volonté et la maîtrise de soi, l'austérité, la résistance et l'endurance, à la souffrance physique, aux épreuves de l'existence et aux privations.
Dans le second cas, il s'agit d'un code éthique visant la domination de l'esprit sur la chair, les instincts et les passions, et proscrivant l'attachement aux biens terrestres, le mépris du corps et de la jouissance des sens, ainsi que l'indifférence au plaisir. L'un s'attelle à rechercher le bonheur terrestre, l'eudemonia, par l'ataraxie, état de félicité consistant en l'absence de tourments et d'affections, l'indifférence à la souffrance physique, à la pensée de la mort, aux vicissitudes de l'existence et aux épreuves du sort. L'autre, plus épris d'absolu, s'attache à l'élévation de l'âme, la perfection morale, ainsi que le rapprochement et la connaissance de Dieu.
Car plus fondamentalement, la mystique prétend à une connaissance spontanée et absolue du monde et de la création, par-delà les impositions des sens et la médiation de la raison, grâce au dépouillement par l'ascèse des apparences sensibles («la nuit des sens») et des élaborations intellectuelles, comme autant de voiles masquant l'essence des étants et de l'être, pour parvenir à transcender le néant de l'existence et tendre à la connaissance de Dieu et de l'absolu. Cette expérience de plénitude de vie est réalisée dans l'union mystique, communion directe et intuitive avec l'être suprême, véritable «fusion théopathique qui permet de s'abîmer dans le sein de Dieu».
– I. 2 L'obligation religieuse
Outre qu'elle constitue l'unique voie de salut pour le croyant, la religion consiste en un système solidaire de croyances et de pratiques dérivées de la révélation (le Coran) et de l'inspiration (la sunna), centrées sur la notion de sacré (el haram), unissant les croyants en une communauté de fidèles (la oumma), autour de principes communs :
– 1) Croyance en l'unicité et la transcendance d'Allah et en l'existence de ses anges et de ses prophètes ;
– 2) Croyance en l'immortalité de l'âme, la certitude de la résurrection et de la rétribution dans l'au-delà, au jugement dernier ;
– 3) Observance du rite et des obligations sacrées :
La profession de foi, la prière, la dîme ou impôt sacré, le jeûne du Ramadhan et le pèlerinage à La Mecque ;
– 4) Observance d'un code moral.
Si la pratique exotérique, accessible, s'adresse au plus grand nombre, la signification ésotérique est réservée aux seuls initiés, détenteurs de la connaissance acquise par l'initiation ésotérique («el maârifa par la voie de la tariqâ»), alors que la notion de sacré, qui s'oppose au profane en philosophie, fait référence à la fois à ce qui est proscrit et ce qui est consacré, comme l'envers et l'endroit d'une même médaille, aux effigies de l'interdit et du sanctifié.
De façon générale, la religion comble le sentiment d'insécurité et d'impuissance de l'homme devant les mystères de la vie et du monde et certaines fatalités telles que la vieillesse, la souffrance, la maladie, la mort, le malheur et l'affliction, etc. Elle apaise l'angoisse existentielle et exalte l'appartenance et la solidarité communautaires. Elle fixe les devoirs envers Dieu, la communauté et soi-même, de même qu'elle précise les buts fondamentaux de l'existence, les choses éternelles et les valeurs essentielles. En fait, elle vise l'avènement, l'approfondissement et le parachèvement de l'humanité en l'homme, lieutenant («khalifa») de Dieu sur terre et, en le rendant meilleur, préparer l'avènement du règne de Dieu sur terre. En délivrant de l'angoisse métaphysique, elle se révèle subsidiairement un puissant facteur d'équilibre psychique et de créativité.
Durant le Ramadhan, mois lunaire de la révélation, il est fait obligation de jeûner le jour et il est particulièrement recommandé de prier la nuit (tahedjoud) et même si cela était possible, d'accomplir la retraite spirituelle (el-iîtikaf). C'est dans cet esprit que le carême du Ramadhan, dans sa pureté originelle et sa dimension idéale, tend vers une triple finalité à la fois ascétique, mystique et éthique. D'abord, en exhortant à la domination des sens et à la maîtrise des appétits, en prescrivant l'abstinence et le renoncement aux plaisirs et gratifications ainsi qu'à tous les excès, et en recommandant le contrôle de la volonté, il revêt une dimension ascétique. Ensuite, en prônant l'oblation et le don de soi, la générosité et la solidarité, l'engagement dans la voie d'Allah et sa connaissance, par la prière, obligatoire et surérogatoire, la récitation des versets coraniques et des louanges du Seigneur et l'énoncé de ses attributs (dikr Allah), la méditation et la purification de l'esprit, il se rapproche de l'idéal mystique.
Enfin, en appelant au contrôle de passions, notamment la colère et la haine, la jalousie et l'envie, la cupidité et la convoitise, le détournement de la paresse, la fainéantise, l'oisiveté et en rappelant l'investissement du travail sous toutes ses formes et dans tous les domaines, et en bannissant le mensonge, la médisance, la calomnie et le faux témoignage et, de façon générale, en appelant à une tenue morale irréprochable, il œuvre dans le sens des préoccupations de l'éthique.
– II. Les exigences de la nature humaine et leurs contraintes
– II. 1 Motivation et comportement
Dans l'étude des facteurs déterminant l'apparition et la direction des comportements, la tradition philosophique avait coutume de recourir à la notion d'instinct qu'elle définissait comme un ensemble complexe, de réactions extérieures à détermination génétique spécifique, adapté à un but intervenant spontanément, sans l'aide de l'expérience, de l'éducation ou de la réflexion.
Avec Freud, la psychanalyse a tôt fait de privilégier un concept concret, comme la pulsion, à ce concept hypothétique d'instinct, espèce de force dont nous supposons l'existence à l'origine de la tension de la pulsion. La pulsion «poussée qui fait tendre l'organisme vers un but» trouve son origine dans l'état de tension énergétique au sein de l'organisme, en rapport avec un certain état physiologique interne de ce dernier ou besoin, lequel peut du reste être déclenché par un stimulus défini du milieu environnant. Son but est de tendre à sa réduction ou mieux, à son assouvissement par l'orientation sélective de l'organisme vers un objet, quand il existe. Ce comportement ainsi dirigé vers un but satisfaisant, qui est un comportement spécifique car associé à une motivation particulière, est dit comportement motivé.
Ainsi, si les pulsions primaires correspondent directement aux conditions physiologiques de l'organisme, les motivations secondaires qui en dérivent et qui sont plus socialisées se développent par apprentissage chez l'homme. Les motivations secondaires, outre qu'elles sont les plus nombreuses et les plus importantes, masquent et relèguent à l'arrière-plan les pulsions primaires qui sont à leur origine. De façon générale, on désigne par motivation l'ensemble des facteurs dynamiques qui déterminent la conduite d'un individu.
De façon plus précise, cette désignation se réfère classiquement à tout état de tension affective (besoin, tendance, désir, sentiment) à l'origine d'un comportement orienté vers un but satisfaisant. La motivation, grâce à la mobilisation du dynamisme de l'individu, permet le déclenchement, l'organisation, l'orientation et l'entretien du comportement motivé. Cette motivation persiste jusqu'à la réduction de l'état de tension initial. Les motivations des conduites humaines, complexes et généralement inconscientes, consistent en un ensemble de facteurs physiologiques, affectifs, cognitifs et socio-culturels interagissant mutuellement. Les effets de la motivation sur le comportement sont outre l'activation, la dynamisation, l'orientation et la direction vers le but, une stimulation de l'attention par une focalisation du champ de conscience.
Ainsi, par les effets positifs, elle est dispensable à la réalisation des conduites adaptatives.
Depuis la deuxième moitié du XXe siècle, avec l'essor de la psychologie humaniste, on pense que l'homme cherche à satisfaire un certain nombre de besoins, étalés de façon hiérarchique et qui évoluent au fur et à mesure de leur satisfaction. Les besoins du niveau le plus bas doivent être satisfaits, au moins partiellement, avant que ceux du niveau supérieur ne deviennent, à leur tour, des sources de motivation suffisantes. Ainsi, on retrouve du bas vers le haut les besoins physiologiques, le besoin de sécurité, le besoin affectif, le besoin de reconnaissance, le besoin cognitif et esthétique et, enfin, le besoin d'accomplissement.
– II. 2 Conflit de motivations et frustrations
L'importance centrale de la notion de frustration dans le comportement humain est actuellement communément admise. Celle-ci se rapporte à une situation dans laquelle un obstacle ou un événement frustrant s'oppose à la réalisation d'un désir et contrarie le comportement motivé visant l'assouvissement d'une pulsion. Cette modification du comportement peut s'accompagner de représentations mentales
conscientes. Comme les motivations sont inconscientes, le sujet éprouvera généralement des émotions comme la colère ou l'angoisse, en réaction à la frustration, sans pouvoir en déceler la cause ou les origines. Le conflit est une situation de frustration secondaire résultant d'obstacles internes, généralement les plus importants en psychologie humaine. Il s'agit de conflit de motivations où la satisfaction de l'une entraîne le blocage de l'autre. La plupart des conflits sont causés par des buts qui sont à la fois positifs et négatifs devant lesquels l'attitude de l'individu est ambivalente, à l'exemple du conflit approche-évitement. Un exemple-type, particulièrement difficile à résoudre, résulte de l'affrontement entre l'assouvissement d'exigences instinctuelles et les scrupules éthiques de la conscience morale. Ces conflits entre pulsions primaires et motivations secondaires qui en dérivent, d'une part, et motivations opposées, résultant de l'apprentissage d'interdits moraux et sociaux, d'autre part, constituent le noyau du complexe pulsionnel de l'homme.
Les réactions à la frustration vont dépendre de nombreux facteurs tels que la nature de l'obstacle frustrant, l'intensité de la motivation qui sous-tend le comportement frustré (ou le rapport des intensités des deux motivations opposées, en cas de conflit) et les caractéristiques de personnalité du sujet.
L'hypothèse de la frustration-agression est la plus généralement adoptée. Elle postule en gros que si l'agression contre la source de frustration est la réaction directe et cela, en relation de proportionnalité, cette agression directe peut être inhibée du fait de l'appréhension des conséquences, ce qui peut entraîner le déplacement de l'agressivité sur un autre objet, quelquefois en différé, ou sa transformation en formes plus subtiles et socialement plus acceptables (ironie caustique, bouderie, sadisme moral, harcèlement), voire exceptionnellement, quand l'hétéro-agressivité est fortement inhibée, elle peut donner lieu à de l'autoagression.
– III Modalités d'expression actuelles de la pratique sociale
Sans risque de nous tromper, nous pouvons affirmer que de toutes les obligations religieuses le respect du jeûne du Ramadhan est celle qui caractérise le mieux lslam algérien traditionnel et est la plus massivement appliquée, alors que sa transgression est frappée d'anathème. En effet, l'accusation de «manger le Ramadhan» est la pire des insultes pour l'Algérien et la marque d'une stigmatisation sociale, particulièrement infamante. C'est également et quasiment un rite d'initiation incontournable devant clore l'enfance et marquer le passage à l'adolescence et, de fait, la promesse d'intégration à la société des adultes. C'est ainsi que, traditionnellement, sa venue est célébrée en grande pompe, que les ménages procèdent au grand nettoyage des demeures et au renouvellement de la vaisselle ainsi qu'à la constitution des stocks de denrées, victuailles, épices et condiments et que les fidèles se pressent en masse à la prière des taraouih, etc. Néanmoins, force est de constater que souvent l'on assiste, indigné si ce n'est médusé, au détournement de la signification et de la finalité du rite.
– III. 1 Le dévoiement de la signification et de la finalité du rite
Ce dévoiement se caractérise essentiellement par une déviation perverse de ses principales valeurs avec l'émergence du «retour du refoulé» et le triomphe de l'instinct et de la jouissance des sens. On ne peut qu'être atterré alors par le spectacle désolant de toutes ces conduites nocives pour la santé et l'équilibre psychique du sujet, et toutes les conduites à risque dommageables pour les tiers et la communauté.
En effet, le Ramadhan est devenu, dans bien des cas et par la force des choses, le mois de tous les excès, surtout de table, avec des dépenses tout autant excessives qu'inutiles, et souvent endettement, voire surendettement.
Il se produit également une inversion du rythme veille-sommeil, dont les conséquences sont souvent la suralimentation nocturne suivant l'abstinence diurne, quand il n'y pas usage, voire abus de toxiques et, de façon générale, la réduction, quelquefois massive, du temps global de sommeil. L'allongement de la veille en résultant est alors le plus souvent consacré à tout à fait autre chose qu'à la prière et l'adoration. Parallèlement, l'on déplore un désinvestissement du travail avec oisiveté, désœuvrement, absentéisme et, de façon générale, baisse du rendement professionnel, le tout contrastant avec une fréquentation assidue et excessive des marchés, grandes surfaces et autres boulangeries, pâtisseries. Dans le même temps, l'on dénote une multiplication et une exacerbation des conflits en milieux familial, professionnel ou social, avec souvent voies de fait et scandales, quasi exclusivement dans la journée, ainsi que des bagarres et rixes sur la voie publique avec échanges d'injures et d'obscénités de la part de conducteurs automobiles, pour des refus de priorité, dépassements, encombrement et gêne au passage, voire collisions.
En fait, toutes ces manifestations sont surtout l'œuvre de certaines personnes très peu ou pas du tout motivées dénuées de foi véritable, et qui se conforment seulement à des pratiques sociales, inspirées d'un rituel exotérique, dépouillé de toute signification ésotérique. A fortiori, quand elles ont décidé d'évacuer de leur existence toute préoccupation mystique ou religieuse, pour ne pas avoir à se poser les questions fondamentales qui risqueraient de leur compliquer singulièrement l'existence, du moins le pensent-ils, de surcroît quand chez eux, le paraître l'emporte sur l'être authentique et qu'ils préservent les apparences, soit par hypocrisie sociale, soit pour s'acheter une honorabilité, dans un but intéressé.
– III. 2 La récupérationmercantilisme véreuse
Par ailleurs, quand on pense que des commerçants véreux, et apparemment force est d'admettre qu'ils sont légion, font flamber la mercuriale des prix, par de sordides calculs dictés par l'égoïsme, l'avidité et la cupidité, méritant aussi la sinistre réputation «d'affameurs du peuple», tout ceci est petit, vil et mesquin devant l'inéluctabilité et l'inexorabilité de la mort, de sa souveraine majesté et de son emprise sans partage sur le monde des vivants, selon la volonté du créateur, le plus juste d'entre les justes. Heureusement que l'exemple des plus édifiants de tous ces généreux donateurs et de tous ces admirables bénévoles qui s'évertuent à ménager, tant bien que mal, un espace d'hospitalité et de convivialité, desserrant pour un temps et pour nombre de nécessiteux et de démunis, l'étau de la famine, conjurant momentanément le spectre de la précarité, en atténuant quelque peu les rigueurs d'un sort implacable.
– III. 3 Le retentissement sur l'économie biologique
Par ailleurs, chez certains sujets velléitaires, un tantinet égotistes et particulièrement enclins à l'écoute de leurs corps, on peut exceptionnellement enregistrer une baisse énergétique générale avec fléchissement du dynamisme général et du niveau d'activité, pouvant aller jusqu'à la passivité avec immobilisme. Chez d'autres sujets plus pusillanimes et grincheux, particulièrement impressionnables et sensibles, il est possible de relever, de temps à autre, une exacerbation de l'anxiété vitale avec un certain degré de morosité de l'humeur et un caractère maussade.
En fait, le plus souvent, la majorité des sujets plaignants n'allègue que de la lassitude avec défaut d'attention et de concentration et baisse du rendement intellectuel, avec simultanément une réduction de l'initiative et de l'incitation à l'action.
En fait, tous ces malaises perturbations, et autres tracas de santé, se rapportent essentiellement à certains sujets souffrants, potentiels ou avérés, plus ou moins conscients de leur état et qui s'obstinent à jeûner, malgré les dérogations licites et en dépit de l'épuisement qu'il leur procure.
Au terme de cet exposé cursif, on peut retenir que les motivations représentent le véritable moteur du comportement. Il y en a de primaires, d'essence biologique, telles que la faim, la soif, la sexualité, qui représentent les exigences pulsionnelles mises en place par l'évolution biologique pour assurer la survie de l'individu et de l'espèce. Il y en a de secondaires dérivées des précédentes, d'essence sociale, telles que les principes moraux et les codes éthiques, mises en place par l'apprentissage et le conditionnement social, pour la réalisation des conduites adaptatives devant contribuer à l'édification des acquis civilisationnels et la promotion des valeurs culturelles.
C'est ainsi qu'on peut avoir un conflit de motivation entre exigence pulsionnelle et interdit socio-culturel, par exemple une pulsion oro-alimentaire ou sexuelle et la prescription religieuse du jeûne avec toutes les valeurs rattachées et tout le poids de l'investissement communautaire. La résultante étant la frustration dont la réaction la plus communément admise et la plus fréquemment relevée est l'agressivité. Cela éclaire d'un jour nouveau la plupart des comportements négatifs observés pendant le jeûne chez nombre de nos concitoyens. Toutefois, si ceci expliquait cela, ceci ne devrait pas pour autant justifier cela !
Pour finir, il importe de souligner l'importance capitale d'un aspect qu'on a fini par perdre de vue et qu'on ne devrait jamais se lasser de répéter. Pour la majorité des croyants indemnes d'affections incapacitantes, qui s'acquittent humblement et discrètement de leur obligation religieuse, les désagréments, l'inconfort ou même la souffrance qu'ils peuvent endurer et supporter dignement, soulignent, s'il s'en fallait, l'importance du sacrifice à consentir et le mérite qui en découle. Même s'il n'y avait qu'une poignée d'heureux élus qui feraient honneur à la communauté, par leur observance intégrale et sans faille des exigences du Ramadhan et par l'exemplarité de leur conduite, l'espoir resterait permis. Si en plus, au moins une fois dans leur vie, la rareté étant la rançon de la vertu, chacun d'entre eux pourrait parvenir à l'exceptionnelle sublimation ou atteinte de l'équilibre, de la plénitude et de la sérénité dans l'accomplissement de cette obligation sacrée, l'espoir serait encore plus permis, dans la mesure où cela redonnerait tout son sens et sa portée au jeûne du Ramadhan, au-delà de toute expression, et cela justifierait du même coup le prix à en payer. Après tout, s'il demeure vraisemblable que pendant encore très longtemps, les hommes continueront à «aspirer au bien et succomber au mal», les actions ne valent-elles pas que par leurs intentions ?
L'auteur est Professeur en psychiatrie et psychologie médicale à la faculté de médecine d'Alger, Chef de service à l'hôpital psychiatrique universitaire Drid Hocine


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