C'est avec émotion que nous empruntons de nouveau la bretelle qui commence dans la commune de Aïn Torki, au nord de Miliana, et qui mène à Aïn N'sour, une bourgade située sur les hauteurs du Zaccar par une route praticable sur 7 km. Signalons que ce n'est que récemment que des familles osent s'aventurer les week-ends sans trop de frayeur dans cette région interdite à la population pendant plus d'une décennie à cause du terrorisme. Aujourd'hui, un poste de gardes communaux surveille l'accès qui n'est pas toujours autorisé à tout visiteur. Ce sont surtout des cultivateurs, dont le nombre est encore restreint, qui circulent librement pour travailler leur terre. Les traces de dix années de violence sont encore visibles : buissons piétinés, périmètres boisés incendiés... En fait, même le silence des montagnes du Zaccar rappelle les carnages qui s'y sont déroulés. La route qui serpente en altitude nous livre également la beauté du paysage et les bienfaits écologiques de la région. L'exode... puis le silence A 1200 m d'altitude se trouve un détachement des forces combinées qui a élu domicile dans l'ancien hôtel, autrefois berceau du tourisme qui accueillait entre les années 1980 et 1990 des équipes sportives de haut niveau, des délégations officielles et un grand nombre de touristes à la recherche du calme dans une nature presque vierge. En fait, un lieu de villégiature que tout le monde recherchait pour une oxygénation totale. Actuellement, c'est le silence qui l'emporte, brisé seulement par notre présence. Au bord d'un énorme précipice, nous apercevons, étalées à nos pieds, plusieurs habitations éparses, vides de leur âme. Pour rappel, dans cette bourgade vivaient, selon l'un de nos interlocuteurs, 3885 personnes qui, par une nuit de l'année 1995, ont quitté massivement et dans la précipitation leurs maisons, abandonnant tous leurs biens pour fuir la violence. Un exode qui a conduit cette population à la périphérie des agglomérations proches de Miliana, Khemis Miliana mais aussi en dehors de la wilaya. On continue notre marche sur un chemin verglacé. Aux cimes des montagnes persiste encore la neige en ce jour ensoleillé de janvier. Tout en haut d'un sommet, à 1400 m d'altitude, nous pouvons voir une tour de contrôle, édifiée par l'armée française et qui domine une grande partie de la plaine du Chéliff. Des terres généreuses et fertiles qui peuvent tout donner, dira un intervenant originaire de la région. Un garde communal ne manquera pas d'évoquer une embuscade tendue par un groupe armé nous rappelant que nous étions dans le fief des groupes armés qui vivaient là avec leur famille. On nous montre un puits saccagé à l'intérieur duquel se trouvent encore des carcasses d'animaux ayant servi de nourriture. Ici, à l'exception de la nature, tout n'est que silence pesant et désolation. L'hôtel et ses chalets attendent d'être réhabilités. Des toboggans disséminés ici et là sont rongés par la rouille et débordent de détritus. Un peu plus loin, l'école primaire à moitié détruite. A côté, un véhicule calciné. Au milieu de ce décor presque chaotique, des habitations neuves, construites dans le cadre du programme de l'aide à l'habitat rural, attendent les candidats au retour. D'autres édifices publics ont gardé malgré les saccages leurs structures comme l'APC ou le dispensaire. A un kilomètre plus bas, tout à fait à l'extrémité, apparaît un bâtiment imposant de plusieurs étages : le centre pour insuffisants respiratoires. Très endommagé à l'intérieur, il garde plus ou moins intacte son ossature. A proximité, les chalets réservés au personnel médical semblent attendre des locataires. Un sentiment d'insécurité nous étreint malgré tout. Selon nos interlocuteurs, la dernière opération a été enregistrée après l'Aïd El Fitr, ajoutant que les groupes armés se sont repliés au sud de la wilaya et que la région de Aïn N'sour ne présente pas, à l'heure actuelle, de réels dangers. D'ailleurs, 11 familles ont décidé d'y revenir. D'autres manifestent le même désir. Cependant, le véritable retour doit être précédé de mesures d'accompagnement afin de rassurer la population sachant que nombreux sont ceux qui se sont implantés définitivement dans les villes, renonçant ainsi au retour, tandis que d'autres vivent d'une manière précaire aux alentours des agglomérations et ne demandent qu'à rejoindre leur région d'origine. Pour ceux-là, le temps de la reconstruction a sonné à la faveur de la politique de l'amnistie générale qui redonnera sans doute vie à cet endroit paradisiaque.