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De la problématique du remboursement anticipé de la dette extérieure algérienne
Publié dans El Watan le 04 - 12 - 2006

Suggérons-nous des qualités de visionnaire ? Loin s'en faut puisque la question de la dette était devenue dès les années 1970 un thème récurrent des médias et des discours politiques particulièrement avec les économies sud-américaines (Brésil, Mexique), lesquelles avaient largement utilisé les pétrodollars mis à leur disposition par les banques américaines. Ces dernières du fait de la législation US ne pouvaient développer leurs engagements sur la totalité du territoire américain. La compétence territoriale d'une banque était limitée à l'état de domiciliation du siège social, (Etat de New York, Etat du Kentucky). Car fondée sur un système fédéral.
A ce titre, la cascade de restructurations-rééchelonnements-remboursements anticipés a été inaugurée dès 1982 par les Etats-Unis du Mexique.
Avant d'aborder ce thème sous l'angle purement technique ou national, il y a lieu de rappeler que toutes les économies du monde ont utilisé et utilisent à ce jour l'endettement et que les nations les plus riches disposant même de surplus financiers sont elles-mêmes endettées et ne procèdent pas pour autant au remboursement anticipé.
Michel Pebereau, ex-PDG de BNP Paribas, vient de publier ce mois-ci un ouvrage intitulé "La France face à sa dette", celle-ci est évaluée à 1100 milliards d'euros. Or il n'est nullement question d'un remboursement par anticipation.
Car la dette n'est abordée ni sous l'angle moral, ni même sous l'angle de la souveraineté, ce dernier ayant évolué dans la composante de ses attributs.
La dette n'est par ailleurs nullement symptomatique d'un dysfonctionnement économique, bien au contraire si celle-ci est employée à bon escient, c'est-à-dire sous l'angle de l'utilisation d'une ressource et de son emploi.
La dette n'est pas non plus synonyme d'une dépendance politique puisque la mondialisation est l'expression même d'une interdépendance des systèmes politiques et des économies, la dette ou la créance n'étant qu'un facteur, certes important, parmi d'autres des rapports de forces entre nations.
L'entreprise naît de l'endettement puisque les fonds propres sont apportés par les actionnaires ou porteurs de parts sociales.
La banque naît de l'endettement (capital social) et se développe grâce à l'endettement vis-à-vis de ses déposants. Les investissements en valeurs mobilières des ménages, des entreprises ou des Etats, les fusions-acquisitions d'entreprises s'effectuent grâce à des capitaux empruntés.
Au plan juridique, la dette, à laquelle on oppose la créance, est synonyme au plan économique d'une ressource et d'un emploi.
Au plan comptable, la ressource ou la dette est inscrite au passif, l'emploi ou la créance à l'actif du bilan. Autrement dit, la dette est une ressource inscrite au passif, la créance est un emploi inscrit à l'actif.
Il en découle que l'emploi d'une ressource, de n'importe quelle ressource, de la plus insignifiante des ressources, détermine la qualité du gestionnaire. Or la première des ressources d'une nation, renouvelable par essence, est la ressource humaine puisqu'elle est le terreau du génie créateur de l'humain. A titre d'exemple, le budget de Microsoft et le patrimoine de Bill Gates sont supérieurs à ceux de beaucoup de pays. Et ce grâce à la Sillicon Valley.
Sous l'angle historique, ce qui différencie l'humain de l'animal est l'esprit, la rationalité permettant ainsi à ce dernier son développement physique et mental, sa reproduction dans les pires conditions grâce à sa capacité à maîtriser ses instincts et son environnement.
Dans le cas où cette rationalité n'est pas utilisée, il redevient incapable d'envisager son avenir immédiat et évidemment lointain, en cédant à ses instincts, perdant ainsi sa qualité d'humain. Car comme le dit si bien Colin Wilson, "l'homme n'est réellement lui-même que lorsqu'il contemple des perspectives".
De par cette rationalité, l'homme devient un agent économique s'exprimant ainsi par la formule suivante ressources = emplois. Au commencement, celle-ci se réduisait pour les ressources aux revenus résultant du seul facteur créateur de richesses, à savoir le travail, et pour les emplois en consommations + épargne.
D'où la première vérité historique, à savoir ne pouvoir consommer et épargner que ce qu'on a produit, la production quelle que soit son expression étant la résultante du facteur travail.
Le samouraï travaillait en offrant sa protection et son art de la guerre, l'érudit son art d'écrire et de lire, le chanteur son art de conter, de louer et de distraire… signifiant par là une production de biens et de services.
Tout comme l'acte de produire et de consommer pour survivre, l'acte d'épargner est aussi un acte ancestral. La fête berbère de Yennayer traduisait pour nos aïeux la possibilité de consommer une partie de ce qu'ils ont épargné du fait, du seul fait, que les perspectives de récolte sont bonnes et des expériences passées de famine. Que l'histoire est pleine d'enseignements que certains humains occultent, occultant ainsi une partie d'eux-mêmes.
Cette épargne (à laquelle s'associe le terme de prévoyance) se réalisait dans des marchandises non périssables et échangeables, donnant ainsi naissance à la monnaie marchandise. Et la marchandise qui remplissait le mieux ces conditions était évidemment le métal, d'où par la suite le passage à la monnaie métallique et à son expression la plus prisée, en l'occurrence l'or et à un degré moindre l'argent. Cette préférence universelle est illustrée chez les Berbères par l'utilisation de prénoms féminins se référant explicitement au métal, tels que Louisa, Ouiza, Dahbia pour l'or, Fatah pour l'argent et Djouher pour les perles (joaillerie).
Il en est de même de l'emprunt, acte ancestral codifié par la suite par l'interdiction du taux d'intérêt et de l'usure.
L'Eglise protestante, en admettant le jeu de l'offre et de la demande, autorise le taux d'intérêt et permet ainsi au système bancaire, qui comme souligné précédemment naît et se développe grâce à l'emprunt, de s'épanouir fortement dans les pays liés à cette Eglise, notamment aux Pays-Bas (Amsterdam), en Allemagne (Francfort), en Suisse (Genève, Zurich, Bâle), en Angleterre (Londres) et enfin aux Etats-Unis (New York), ces pays qui constituent aujourd'hui les places financières les plus performantes (sans oublier évidemment Tokyo mais pour d'autres raisons).
Il en ressort qu'au plan technique de gestion de la dette, celle-ci étant une ressource, un passif, son remboursement anticipé n'est envisageable que si la rémunération de l'emploi (qui est fait de la dette) est inférieur au coût de la ressource (coût d'emprunt).
Autrement dit, si on vous offre 7% pour votre épargne et qu'on vous propose 6% à l'emprunt pour la même durée, il n'y a pas lieu d'hésiter à emprunter pour placer.
A l'opposé, si le coût de l'emprunt est supérieur à la rémunération qui vous est offerte soit en intérêts soit en bénéfices que vous en escomptez, il vaut mieux éviter l'emprunt et/ou procéder par anticipation la dette contractée. Telle et la vérité économique fondée sur le seul critère de coûts avantages.
Et l'efficacité et la rationalité d'un remboursement de la dette s'appuient sur ces seules variables.
En l'absence d'une transparence des finances publiques en général et de ces variables en particulier, le remboursement en gros ou en vrac de la dette s'apparente plus à un fardeau dont on se débarrasse, donnant ainsi raison à un courant de pensée, lequel estime qu'un remboursement par anticipation vaut mieux qu'un mauvais emploi de ces ressources financières et qui plus est, permet d'économiser des intérêts sur le crédit non échu. On préserve ainsi les générations futures. Le dernier argument renforçant ce courant de pensée est l'absence de stratégie industrielle déclarée par le ministre de la Privatisation et des Participations industrielles.
L'expérience algérienne en la matière remonte aux années 1970 puisque des remboursements par anticipation de certains crédits onéreux ont été effectués durant les années 1975-1976. Mais le remboursement anticipé de toute la dette n'avait jamais été envisagé.
Ce remboursement de crédits onéreux avait été rendu possible du fait que notre pays a bénéficié du quadruplement du prix du pétrole suite à la guerre arabo-israélienne d'octobre 1973.
Cela n'a pas empêché, bien au contraire, l'Algérie à recourir à partir des années 1980 à des nouveaux emprunts pour financer la reconstruction de Chlef, le programme antipénurie (importation de fromage rouge et de cornflaks) et le financement du premier plan quinquennal.
A cet instant, il faut se rappeler ce que chantait Jacques Brel : "Il ne faut pas jouer au riche quand on a pas le sou."
De par le retournement de situation suite à la chute du prix du pétrole de 1986, année durant laquelle la Tunisie entame des réformes structurelles appuyées par le Fonds monétaire international, l'Algérie emprunte de plus en plus à des taux d'intérêts élevés au regard du marché (pratique des Sweetners) et sur des durées de plus en plus courtes, faisant ainsi l'impasse (très longue puisqu'elle dure depuis vingt ans) sur la nécessité des réformes et pratiquant une véritable fuite en avant préjudiciable pour les générations futures d'où le phénomène des harragua.
Le bon sens et la rationalité nous interpellent sur les motivations des créanciers qui ont continué à nous prêter au-delà de nos capacités alors que nos revenus étaient insuffisants à assurer notre consommation incompressible et à plus forte raison le service de la dette ? Parce que tout simplement, quand on vise le patrimoine d'un agent économique, l'une des techniques les plus avisées est de lui prêter au-delà de ses capacités objectives de remboursement et de lui signifier sa cessation de paiement par huissier.
Suntse, dans son ouvrage culte "L'art de la guerre", écrit en Chine (500 ans avant J.-C.) et ayant très fortement influencé Machiavel, avait pourtant énoncé que "l'Art suprême de la guerre, c'est soumettre l'ennemi sans combat".
Or les textes réglementaires définissant les conditions de gestion de la dette existaient et cernaient correctement la problématique de l'endettement. Nous rappellerons la circulaire du 30 janvier 1974 n°546/Finex ainsi que l'instruction du 15 juillet 1974 Finex portant sur les crédits intergouvernementaux.
Pourquoi ces textes ont-ils été perdus de vue alors que leur application aurait certainement permis de circonscrire le phénomène de l'endettement ? Parler aujourd'hui d'une gestion active de la dette est un pur pléonasme puisque la gestion d'une dette est par essence active, de même que claironner le principe de la banque assise signifierait qu'il existe une banque couchée. De ce qui précède, quel peut être le (les) mobile (s) ayant sous-tendu ce coup de tête, cette décision de remboursement anticipé de la majeure partie de la dette ?
Sûrement à l'origine, de mauvais conseils et une écoute insuffisante, enfreignant en cela l'enseignement de Suntse : "En matière de planification, jamais de mouvement inutile ; en matière de stratégie, nul pas en vain."
"Car si le prince éclairé et le général avisé défont l'ennemi chaque fois qu'ils passent à l'action, c'est grâce à l'information préalable."
De fait et à notre avis, le remboursement anticipé de la dette ne peut se fonder que sur un seul mobile apparemment logique mais également faux et absurde, à savoir la diminution du niveau du risque pays et une garantie supplémentaire offerte aux investisseurs étrangers quant au rapatriement de leurs bénéfices.
Faux et absurde peut paraître une appréciation sévère et même dirons-nous présomptueuse de notre part.
Telle n'est nullement notre intention mais l'objectivité impose de rappeler que le risque pays s'établit sur plusieurs critères autres que purement monétaires et/ou financiers. Ces critères sont du domaine public et peuvent être consultés sur n'importe quel site internet. Or même la réunion de certains critères ne suffit pas toujours à obtenir une appréciation AAA ou AA (aucun risque) car comme le dit si bien Lao-Tseu (Ve siècle avant J.-C.), philosophe chinois (encore un ami), "l'ensemble des parties ne constitue pas nécessairement un tout". Réunir les meilleurs musiciens, chacun dans son domaine, ne suffit pas. Tout dépend de la qualité de la partition qu'on joue et de la qualité du chef d'orchestre. De même, réunir tous les matériaux de construction ne suffit pas. Tout dépend de l'architecte et du maçon.
L'objectivité nous impose également de rappeler la très forte concurrence de tous les pays, y compris les pays du G7, pour attirer les capitaux étrangers et que la Suisse demeure à ce jour leur destination préférée.
L'objectivité nous impose également de rappeler que la Chine a été le premier pays à nous accorder un don de 50 millions de dollars dès 1963, don ayant servi à la construction du Club des Pins et de l'hôtel Aurassi.
Cet objectif visé de réduire le risque pays Algérie sera-t-il atteint ? Quel sera le taux de réussite et à quel coût ?
Suntse fondait son "art de la guerre" sur cinq principes ou facteurs, dont le premier cité est "l'influence morale des dirigeants, c'est-à-dire ce qui fait que le peuple est en harmonie avec ses dirigeants". Ce qu'on traduit aujourd'hui par les règles de transparence et de bonne gouvernance. On n'invente pas le fil à couper le beurre ni l'eau tiède puisque ancestraux.
Or il s'agit de l'un des critères déterminants de l'appréciation du risque pays.
Comment peut-on apprécier la qualité d'un agent économique qui sur une période de vingt ans (c'est très peu pour un Etat) emprunte au-delà de ses capacités, ne produit pas, procède au rééchelonnement de sa dette et la dévaluation de sa monnaie et rembourse par anticipation sans qu'il n'y soit obligé. A ce propos, Teilhard de Chardin énonçait que "ce qui est déterminant n'est pas ce que l'on regarde, mais d'où l'on regarde".
Quel est le regard porté sur un tel comportement sur l'Algérie ?
Il en ressort très nettement que la stratégie de l'Etat n'existe pas mais qu'il existe des stratégies de pouvoirs, lesquelles ont nécessairement une vie réduite à la durée de l'exercice de ce pouvoir, à la différence du Vietnam, pays ami, qui après onze années de rationnement alimentaire et vingt ans de réformes vient d'accéder à l'OMC.
Au jeu de la guerre on n'improvise pas. On gère, ce qui veut dire prévoir tous les scénarios, évaluer les avantages et inconvénients de chacun d'eux et réaliser le meilleur résultat au moindre coût, et ce, de manière froide, impersonnelle et sans état d'âme, et ce, sur la base de toutes les variables qu'il y a lieu de recenser avant de décider.
A ce niveau, le contradicteur aurait certainement posé la question suivante : qu'aurions-nous pu faire de ces ressources ? L'une des réponses aurait été d'acheter une partie du capital social des sociétés étrangères opérant au moins en Algérie telles que Mittal Steel (SNS Annaba), Anadarko (gisements pétroliers) ou même BNP Paribas, très intéressée par la privatisation du Crédit populaire d'Algérie, respectant en cela le diction populaire "Techka bcheka". On appelle cela l'art de la guerre, de la dissuasion ou des intérêts mutuels. Grâce aux dividendes perçus sur les bénéfices de ces sociétés, dividendes obtenus grâce à leur propre argent qu'ils nous ont prêté, respectant en cela le diction populaire "Men lahaytou bakharlou", nous aurions remboursé les échéances de la dette, laquelle à son terme nous aurait toujours permis de rester actionnaires de leurs propres sociétés, respectant en cela un autre diction populaire "Ma djouaâ edhib, ma tbaki araîi" (n'affame pas le loup et ne fais pas pleurer le berger).
De plus, le rapatriement de ces dividendes compenserait en partie les sorties de capitaux étrangers investis en Algérie, ce qui consoliderait la viabilité de la balance des paiements à moyen terme et par la même aurait certainement influé positivement sur l'appréciation du risque pays. Bien plus que cela, les intérêts croisés de nos participations réciproques dans le capital des sociétés auraient inéluctablement conduit à une réévaluation positive du risque pays puisque ne s'agissant plus seulement de nos intérêts, mais surtout des leurs. Autrement dit "je te tiens par la barbichette, tu me tiens par la barbichette et si je tombe, tu tombes".
On appelle cela l'art de la finance.
A notre respecté et défunt H. Bourguiba, lequel avait reproché tant au FLN qu'au général de Gaulle le secret des négociations arguant l'amitié existante entre la Tunisie et la France, ce dernier répondit que "la France n'a pas d'amis, mais des intérêts".
Qu'en est il des nôtres ? Sans l'art de l'histoire, l'art de la guerre et l'art de la finance ?


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