Par Hadj Ramdane Yahia-Cherif(*) La Bourse d'Alger est l'objet depuis plusieurs années de nombreux articles de presse, de contributions publiées, de séminaires organisés, d'interviews accordées, d'assistance étrangère sollicitée. Pour cette dernière, nous citerons celle de l'Union européenne, dans le cadre du Programme d'appui à la modernisation du secteur financier, effectuée en 2002, et la plus récente, celle du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) en 2010-2011. Malgré toute cette ressource humaine de qualité déployée, toute cette énergie sollicitée et dépensée, tous ces financements consommés depuis plus d'une décennie, le constat reste le même, à savoir que la Bourse ne veut pas démarrer puisqu'à ce jour seuls trois titres de capital Saidal (public) El Aurassi (public) et Alliance Assurances (privé) sont cotés. Nous passons outre les émissions obligataires pour les examiner plus tard.Sollicité à plusieurs reprises pour y exprimer notre point de vue (un de plus diriez-vous !) je ne pus m'empêcher d'esquisser un sourire narquois et moqueur à l'évocation de ce vieux couple, qui, sur insistance de la vieille dame éprise d'art et de culture, visitait au Mama une exposition de peinture consacrée au surréalisme. Soudainement, le vieil homme grabataire, inculte mais néanmoins riche s'écria : «Qu'il est moche, qu'il est laid ce tableau !» Et son épouse à l'oreille de lui murmurer : «Mon chou, ceci n'est pas un tableau mais un miroir.» Il en est ainsi de la Bourse d'Alger. D'aucuns s'indigneront de cette appréciation péremptoire, sans appel et définitive, d'autres, sans prendre la peine de lire la démonstration, l'accepteront, habitués et désabusés qu'ils sont, aux éternelles prorogations. Mais un tel jugement présuppose des attendus que le lecteur est en droit d'exiger et le rédacteur dans l'obligation de présenter. De la naissance et de la finalité des marchés financiers Si le XIXe siècle est la période charnière de cette histoire des marchés financiers, car liée à la révolution industrielle, il s'en faudrait de beaucoup qu'il la résume tout entière. Plus d'un demi-millénaire avant notre ère, la trace de titres mobiliers se retrouve près de l'Euphrate où règnait un certain Hammourabi, fondateur de Babylone et auteur d'un code célèbre réglementant les opérations de prêt avecv intérêt, le contrat de commission, la perception des impôts. Au VIIe siècle avant J.C, les Babyloniens traitaient déjà avec les Phéniciens et les Grecs. De cet héritage babylonien et de leur apport philosophique, les Grecs déclarent la liberté de s'associer. Ils inventent de nouvelles techniques, notamment «le prêt à la grosse aventure», précurseur du contrat d'assurance maritime et surtout la société en commandite. A leur suite, à Rome, la classe des publicains (1) s'était assurée de la collecte des impôts, d'adjudication des constructions de navires et des routes ainsi que de l'approvisionnement des légions. Or, de telles opérations nécessitaient d'importants investissements, donc des besoins de financement. S'inspirant du legs grec, les Romains inventaient, il y a plus de deux millénaires, la Société par actions, permettant ainsi de pouvoir collecter des capitaux auprès de ceux qui en disposaient, sous réserve de se partager les bénéfices. Après la chute de Rome, Byzance reste le dernier centre commercial en activité. L'arrivée d'envahisseurs venus du Nord (Mongols et Tartares) fait régner pendant cinq siècles l'insécurité. Le commerce périclite, le troc remplace la monnaie, laquelle est thésaurisée. Au Moyen-âge et prenant le contre-pied de l'Eglise catholique, l'Eglise réformatrice protestante représentée par Luther qui exalte l'activité économique se rapprochant ainsi de notre religion musulmane qui l'avait sur ce point devancé, et Calvin lève la prohibition du prêt à intérêt, réintroduit l'activité économique et l'organisation bancaire. La loi sur l'usure est abrogée en Angleterre dès 1571, aux Etats-Unis à la fin du siècle, en Hollande à partir de 1668. Ces décisions favorisent l'arrivée des Juifs(2). Ce qui expliquera plus tard l'essor des places financières de Londres, Genève, Bâle, Frankfort, Amsterdam et New York. L'accumulation et l'utilisation du capital financier ont été rendues possibles au terme d'une série d'événements, qui, comme la formation du capitalisme commercial, s'est échelonnée sur plusieurs siècles.L'essor des techniques de navigation et de construction de nouveaux bateaux de gros tonnages, associés aux nouvelles techniques de financement vont accélérer la naissance et le développement des marchés financiers. La découverte et la conquête de nouveaux mondes en quête d'abord de métaux précieux se traduisent par des expéditions sur les pays d'Afrique, d'Amérique, du Moyen-Orient et de l'Inde. Cortez découvre l'or des Aztèques au Mexique et Piuzzaro fit main basse sur l'or des Incas au Pérou en 1532. La Grande-Bretagne et les Pays- Bas s'orientent sur les pays du Moyen-Orient, de l'Inde et de l'Amérique du Nord. En un siècle, 300 tonnes d'or se déversent sur l'Europe et 7000 incas sont tués en un après-midi. Ces nations, autrefois guerrières et génocidaires, se posent, aujourd'hui, comme les apôtres de la défense des droits de l'homme et de la lutte contre la corruption qu'elles ont bafouée pour la première et inculquée pour la seconde. Avec l'essor de ce capitalisme mercantile (commercial), la création de sociétés commerciales se multiplie, nécessitant de plus en plus de fonds propres, d'où la naissance et le développement de Bourses de valeurs mobilières. L'usage de la lettre de change et du contrat de société, par lesquels plusieurs marchands s'associent pour financer une expédition commerciale, s' est lentement vulgarisé, chacun d'eux possédait une partie de l'entreprise et encaissait une fraction proportionnelle de bénéfices ; c'est ainsi que naissent la Compagnie des Indes orientales et la Compagnie du Canada. Les premières Bourses apparaissent à Anvers, Amsterdam et Lyon. On y négocie des parts transmissibles de sociétés. A Bruges se tenait un marché de change dans l'hôtel particulier de la famille Van der Burse. D'où l'origine du terme Bourse. A cette époque, le secteur bancaire n'existait pas encore sous sa forme institutionnelle et ne pouvait donc collecter des ressources pour les affecter au financement de ses activités commerciales. Ce n'est qu'au XVIIe siècle que la Banque d'Amsterdam, considérée comme la première banque universelle, consent des avances à la Compagnie des Indes orientales. Cette très courte rétrospective millénaire et universelle nous permet de tirer les enseignements suivants : La création des Bourses de valeurs mobilières a précédé celle des banques. Ces deux créations sont l'œuvre de l'initiative privée pour la collecte de ressources financières, en vue de les affecter vers des activités porteuses de profit et de rentabilité. La forme juridique de ces sociétés financières ou bancaires relève du droit privé, sous forme de sociétés de capitaux, dont la seule et unique finalité est de rémunérer les associés, lesquels sont des investisseurs mus par les bénéfices pouvant en résulter.L'existence préalable d'une offre et d'une demande de capitaux s'accompagne par la suite d'une organisation et d'une réglementation.
Contrairement à ces enseignements, la Bourse d'Alger a été créée sous l'impulsion des Pouvoirs Publics et non de l'initiative privée Bien plus, cette création n'avait pas pour premier objectif la collecte de ressources pour les affecter au financement de nouvelles activités porteuses de rentabilité, mais, plutôt, la privatisation des entreprises publiques. Or, celle-ci a été totalement improvisée et bâclée, et ce, pour la seule raison citée plus haut, à savoir que seules les entreprises compétitives présentant le meilleur taux de rentabilité associé au moindre risque peuvent disposer du statut d'emprunteur sur les marchés financiers. Or les entreprises publiques souffraient d'un déficit chronique d'exploitation, nécessitant des besoins de financement de fonctionnement et d'investissement et n'ont pu être maintenues à flot que grâce aux restructurations financières et à des recapitalisations répétées. De plus, cette privatisation n'a porté que sur 20% du capital social permettant ainsi à l'actionnaire public de garder le contrôle de la société. Qui voudrait dans ce cas s'associer à l'Etat ? Ce dernier de par sa double fonction d'agent économique et d'arbitre ne peut privilégier l'unique objectif de rentabilité. Il devra tenir compte d'autres impératifs, tels que la préservation de l'emploi, l'aménagement du territoire, la lutte contre l'exode rural, l'équilibre régional, etc. en d'autres termes ses missions de service public. C'est cette dichotomie, cet antagonisme entre rentabilité et service public de l'Etat propriétaire qui n'a toujours pas été, à ce jour, tranché. Or, le marché financier a depuis toujours opté d'emblée pour la seule règle de la rentabilité. Apprécier aujourd'hui l'entreprise publique sous cet angle serait intellectuellement malhonnête, car elle n'a pas été créée pour cette finalité. A l'opposé du processus historique, la création de la Bourse d'Alger a démarré sur une base légale et réglementaire suivie de la mise en place de la Cosob, puis de la Sgbvm, du dépositaire central de titres, d'un siège, de capitaux publics, mais en oubliant l'essentiel, à savoir les principaux intéressés, c'est-à-dire les demandeurs et les offreurs de capitaux. Les pouvoirs publics n'ont toujours pas compris qu'«à vouloir trop embrasser, on étreint mal» De la réglementation et de l'organisation des marchés financiers Ces deux piliers ne précèdent pas et ne créent pas le marché. Ils naissent d'un besoin exprimé d'abord par les agents économiques. Et celui-ci naît d'une réalité historique, à savoir les crises financières et la spéculation boursière. Car l'histoire, chers amis lecteurs, n'est qu'un éternel recommencement. Tout le monde parle aujourd'hui des crises bancaires, des crises financières, comme s'il s'agissait de faits nouveaux dans l'histoire de l'humanité. Hélas non ! Parmi les exemples fort nombreux de ces faillites bancaires et financières, nous en citerons deux : La Compagnie Orientales des Indes, l'aventure de John Law (1720) Spéculateur écossais, il obtient grâce à ses amitiés avec le Régent Philippe d'Orléans (éternel recommencement !) l'autorisation de créer une banque disposant du monopole sur le raffinage de l'or et de l'argent. Celle-ci, deux ans après sa création, s'appellera désormais la Banque royale de France, alors qu'il s'agit d'une entreprise privée. John Law a un grand projet : créer et développer la Compagnie des Indes orientales, qui jouit de l'exclusivité du commerce avec les provinces du Mississippi (notamment la Louisiane), des Indes orientales, de la Chine et des mers du Sud. Son objectif est de vendre des actions pour collecter des capitaux et lancer des expéditions commerciales. Son prospectus et sa promesse de dividendes de 120%, en 1719, font qu'à la première émission, plus de 300 000 souscripteurs achètent l'action. La valeur «les bons du Mississippi» passe en moins d'un an de 500 à 18 000 livres. On vendait terres et maisons contre l'achat de ces titres. Mais en 1720, le prince de Cotti, hostile à Law, vend d'un seul coup ses 60 millions de livres de titres. Ses amis l'imitent, entraînant une panique chez les détenteurs. Le cours baisse à 40 livres, entraînant la ruine et la faillite des souscripteurs, de la banque et de la compagnie. Compagnies de chemin de fer en Grande-Bretagne (1845). Dès 1830, les Anglais découvrent les premières locomotives à vapeur. L'arrivée au pouvoir, en 1842, de la jeune reine Victoria, (la jeunesse est toujours favorable aux innovations et l'auteur décline une fois de plus tout rapprochement), propulse ce nouveau mode de transport. Chaque contrée anglaise veut avoir sa voie ferrée. Les sociétés se multiplient et les actions sont cotées avant même que le Parlement n'autorise la ligne. En 1845, les trois premières compagnies de chemin de fer paient des dividendes de 10%, soit trois fois le taux d'intérêt courant. La folie collective démarre. Au mois d'août 1845, le Parlement adopte plus d'une centaine d'autorisations pour la construction de 3000 km de voie ferrée, soit environ 1200 projets pour un budget dépassant le Produit national brut anglais. La seule ville de Leeds dispose de trois places de cotation, où 3000 courtiers traitent chaque jour 500 000 transactions. Comme toute bulle spéculative, elle finit, à force d'enfler, par éclater, entraînant l'effondrement du marché, la faillite des entreprises et la ruine des particuliers, la liquidation des banques dont les crédits étaient gagés sur la valeur financière des titres mobiliers d'où la crise systémique de 1847. Parler aujourd'hui de la crise financière, de la faillite de Lehman Brothers, de la crise de l'euro, en présentant ces faits comme s'il s'agissait de génération spontanée est l'insulte suprême adressée à l'histoire de l'humanité. Et cette insulte ne peut être proférée que par des individus acculturés. Ces deux exemples, parmi tant d'autres, portent un coup sévère et jettent le discrédit sur ces nouveaux mécanismes, entraînant un repli stratégique des investisseurs, lesquels vont préférer opter pour des placements plus sûrs et sécurisés. Ces tentatives malheureuses vont contraindre les pouvoirs publics à organiser et à réglementer. Aujourd'hui encore, les crises successives, y compris la dernière touchant l'Europe des 27 et sa monnaie, poussent les autorités à réorganiser et encore réglementer, au point d'inscrire la règle d'or (relative au déficit budgétaire) sur le texte fondateur d'une nation, à savoir la Constitution. Ici aussi, l'auteur décline tout rapprochement avec la transparence de nos finances publiques. De ce point de vue historique, la création de la Bourse d'Alger s'est effectuée en inversant l'ordre naturel des choses. On a organisé, réglementé puis par la suite cherché des offreurs et des demandeurs de capitaux, lesquels ne se sont pas du tout empressés d'y adhérer. Au-delà de la défiance habituelle exprimée vis-à-vis des pouvoirs publics qui ne porte pas sur ce seul aspect, on ne peut comprendre cette attitude que par l'examen des mobiles naturels qui animent les comportements de ces acteurs. Des mobiles, des offreurs et des demandeurs de capitaux. Partant du principe ancestral que toute action humaine est motivée par l'intérêt, qu'il soit d'ordre instinctif, spirituel, matériel, sentimental ou culturel, il est primordial de cerner les mobiles des offreurs et des demandeurs de capitaux. Pour les offreurs, la règle est simple : l'investissement en valeurs mobilières résulte d'abord de l'épargne, laquelle résulte d'un choix économique en l'espèce d'une limitation de la dépense de consommation dont on s'est privé dans l'immédiat en vue de lui donner un emploi plus utile, plus judicieux avec l'espoir de le faire augmenter afin de disposer de plus de biens à consommer. D'où l'absolue nécessité de préserver ce pouvoir d'achat. Aujourd'hui, l'épargne étant conservée en monnaie, le rôle d'une Banque centrale étant donné sa première fonction, celle d'émettre de la monnaie, est de préserver ce pouvoir d'achat c'est-à-dire lutter contre l'inflation. Dans le cas contraire, l'épargnant épargnera dans une autre monnaie, quitte par la suite à la thésauriser. Le rôle de la Banque centrale européenne vis-à-vis de la crise de l'euro résume on ne peut mieux le débat actuel entre les tenants de l'orthodoxie monétaire et ceux favorables à l'utilisation de la monnaie comme un levier de financement. Epargner présuppose, donc, une rémunération au taux d'intérêt réel positif, ce qui signifie un taux supérieur au taux d'inflation. Investir ou employer plus intelligemment son épargne présuppose une rémunération plus forte que celle offerte par l'épargne en contrepartie de l'acceptation d'un risque. Ayant pris ce risque, il en exige une plus forte rémunération. Le seul mobile de l'offreur, en sa qualité d'investisseur, est la recherche du meilleur taux réel de rentabilité associé aux moindres risques. Pour ce faire et évaluer les risques liés aux emprunteurs, ils peuvent faire appel aux agences de notation, sociétés privées de services dont le fonds de commerce est d'évaluer les perspectives des emprunteurs et de leur capacité à remplir leurs obligations. Les demandeurs de capitaux, devant être dotés de la personnalité morale pour pouvoir accéder aux marchés, sont l'Etat et les sociétés de capitaux. Mais ces agents économiques ne peuvent emprunter au-delà de leur capacité. Et celle-ci se détermine par deux critères à savoir les revenus et le patrimoine, lesquels ne sont que l'expression finale de la création de richesses, elles-mêmes résultante de deux facteurs de production, en l'occurrence le travail et le capital. Plus ces deux facteurs sont de qualité et en quantité, plus la production est de qualité et en quantité, plus elle est demandée, plus il y a de rentabilité. El les équipements eux-mêmes (contrepartie du capital) ne sont que l'expression du facteur travail. Comme quoi, seul le travail est créateur de richesses. Pour des raisons d'espace et du fait que le Trésor public dispose d'une capacité de financement donc a priori non éligible aux marchés de capitaux en qualité d'emprunteur, nous nous intéresserons exclusivement à l'entreprise, source principale de création de richesses. Or, l'entreprise subit quatre contraintes : -1- vis-à-vis des associés investisseurs qu'il y a lieu de rémunérer au meilleur taux du marché. -2- vis-à-vis des créanciers dont il faut assurer le service de la dette (principal et intérêts). -3- vis-à-vis de la demande des biens et services exprimés par le seul rapport qualité/prix. -4- vis-à-vis de la concurrence nationale et étrangère en termes de compétitivité. Pour lever ces contraintes et continuer d'exister, l'entreprise n'a d'autres choix que celui de la rentabilité, en maximisant le chiffres d'affaires et en diminuant les charges, quitte à délocaliser ou à compresser. Car l'entreprise n'a pas d'état d'âme. Elle ne peut en disposer qu'une fois cet objectif réalisé. Elle est réputée commerçante, à but lucratif de même que la Zakat n'est exigée que de ceux qui créent des richesses ou qui disposent d'un patrimoine. Or, cet objectif de chiffre d'affaires ne peut être atteint que si les facteurs de production sont de qualité et de dernière génération. Mais, le classement de nos universités et les budgets de recherche et de développement sont là pour témoigner du peu d'empressement à la compétitivité. Cette exigence de compétitivité oblige l'entreprise à solliciter, en permanence, des financements pour réactualiser son appareil de production, et elle ne peut les obtenir que si elle est capable de les transformer en rentabilité, gage de fidélité des associés et des créanciers. Parmi ces derniers, citons les banquiers, lesquels, comme chacun sait, ne prêtent qu'aux riches, c'est-à-dire ne prêtent qu'à ceux qui créent des richesses et/ou qui disposent d'un patrimoine. Et les banques, tout comme les marchés de capitaux, allouent leurs ressources vers des emplois rémunérateurs, c'est-à-dire vers des secteurs porteurs de profitabilité. Et cela est d'autant plus vrai pour les banques qu'une grande partie de leurs ressources ne leur appartient pas. Et le premier critère d'octroi d'un crédit est le niveau de fonds propres, car il exprime d'abord et avant tout la confiance des associés dans la capacité de l'entreprise à générer de la rentabilité à même de garantir la rémunération et le remboursement de leurs apports. Sous d'autres cieux, ce sont les banques qui poussent les entreprises vers les marchés de capitaux pour augmenter et renforcer les fonds propres. Or ce processus exige, outre le respect du sens de l'entreprise (lieu de création de richesses), la nécessité d'une transparence totale de l'emprunteur ; celle-ci doit porter sur la sincérité des documents comptables, du niveau réel des fonds propres et de l'endettement, de la valeur réelle des actifs surtout immatériels, du chiffre d'affaires (pas de fraude et d'évasion fiscale) et surtout de la qualité des propriétaires réels de l'entreprise, mettant ainsi à nu les parrains de l'entreprise. Quelle est l'entreprise publique algérienne qui peut satisfaire l'exigence de rentabilité ? Quelle est l'entreprise privée algérienne qui peut satisfaire la double exigence de rentabilité et de transparence ? Et pourquoi celles-ci s'obligeraient-elles à solliciter les marchés de capitaux alors que les banques publiques, en surliquidités, continuent d'octroyer des financements au-delà de leurs capacités. Car l'actionnaire des banques publiques, qu'est l'Etat, se soucie peu de l'exigence de rentabilité. Ce qui a fait dire à Ahlers Theodore, directeur au département Maghreb de la Banque mondiale que «le système bancaire actuel est coûteux pour le contribuable algérien». L'ouverture du secteur bancaire aux capitaux privés aurait dû s'accompagner, et ce pour affinités, d'une domiciliation bancaire des entreprises privées auprès des banques privées. Or, cette translation ne s'est pas opérée. Du fait que les banques publiques sont moins disantes et surtout peu regardantes sur les critères de transparence et de rentabilité. Ce qui explique le niveau de leurs créances non performantes et de profitabilité (4% après rachat par le Trésor de créances improductives contre plus de 20% pour les banques privées).D'où l'une des raisons majeures de cet entêtement de la Bourse d'Alger à ne pas vouloir démarrer est l'existence d'un secteur bancaire public par lequel transite une partie de la rente pétrolière. Et ce n'est pas sans raison que la privatisation de ces banques est, d'année en année, retardée et reportée. Là où existe un marché financier, le secteur bancaire est privé ! Car mû par la seule exigence de rentabilité laquelle ne peut résulter d'un comportement rentier. Dans les économies qui disposent d'un marché financier, l'Etat lui-même est soumis aux règles de transparence et de bonne gouvernance au profit de ses administrés. Car dans ces pays développés, l'Etat n'est qu'une société par actions dont les actionnaires sont les citoyens et chaque actionnaire n'a droit qu'à une seule voix. Faut-il rappeler que la bonne gouvernance de l'Etat et de l'entreprise n'est rien d'autre que l'exigence d' «El Amana» au sens de dépôt et que notre religion oblige de la restituer dans les meilleures conditions et la transparence absolue aux déposants ! La monnaie, tout comme les valeurs mobilières dont elles ne sont qu'une expression, sont des titres de créances pour ceux qui en possèdent et qui en disposent et des titres de dettes pour ceux qui les émettent. Or seul l'Etat de droit peut obliger le débiteur et garantir le créancier, car il permet d'affirmer que la loi est la même pour tous, fondement de la «confiance» sans laquelle aucune économie ne peut s'instaurer. Vérité que nous n'avons cessé de rappeler dans nos précédentes contributions. (3)Vous conviendrez, chers amis lecteurs, que nous ne pouvions indéfiniment nous taire devant ce vaudeville clownesque qui nous est imposé et surtout exposé à la vue de l'étranger, lequel doit bien s'esclaffer de la perte de notre sens des réalités et constater dans le même temps la sortie des capitaux vers l'étranger. En d'autres termes peut-on planter sur la banquise un palmier dattier ? (*)Docteur en économie monétaire et bancaire. Ancien magistrat, premier conseiller à la Cour des comptes et membre fondateur de l'Ordre des commissaires aux Comptes.
NOTES : -(1) Publicains : société civile formée d'hommes d'affaires à but lucratif autorisée à collecter, par contrat avec l'autorité civile, les taxes en son nom. Jaques Attali : les juifs et l'Argent -(2) René Sedillot histoire morale et immorale de la Monnaie -(3) du remboursement anticipé de la dette (El Watan du 10/12/2006) de la primauté de Montesquieu et de Tocqueville ses Keynes (El Watan du 15/04/2009).