Lettre ouverte à Madame Agnès Spiquel J'ai eu la surprise de constater que vous mettez en ligne à l'intention des camusiens et des internautes (camusgeneralinfo.html) votre lettre adressée au quotidien El Watan le 25 mai 2006, et ce, à la suite de mon article scientifique intitulé «La vérité sur L'étranger d'Albert Camus, le coauteur Stefan Zweig» paru dans l'édition de ce journal du 23-24 avril 2006, ce qui relève de votre liberté. Mais à travers ce site, vous ne mâchez pas vos mots allant jusqu'à qualifier mon article de pernicieux et de délirant. Non seulement cela, mais votre lettre adressée à El Watan est complétée par des propos non exprimés en premier chef et donnés comme tels. Comme si votre lettre du 25 mai 2006 n'avait pas calmé votre colère injustifiée, vous voilà persistant dans le dénigrement et l'insulte, pointant du doigt ce que vous appelez ma malhonnêteté intellectuelle et mon manque de modestie. Cette nouvelle version de votre lettre adressée à El Watan, à travers laquelle vous m'accusez d'avoir voulu «tuer» Camus et me déniant la qualité de chercheur, plus précisément disons en littérature : «Quant à Madame Benmansour, elle est ‘'docteur en communication'' et nous lui reconnaissons des talents de romancière, mais la ‘'recherche'' en littérature implique une rigueur et une honnêteté dont elle semble bien dénuée.» Madame, si votre lettre du 25 mai 2006 relevait de votre droit à la liberté d'expression, cette dernière doit-elle être agression, et pourquoi aujourd'hui cet acharnement à travers camusgeneralinfo ? Au nom du droit de réponse (El Watan du 31 mai 2006) je vous avais dit ce que je pensais de votre lettre du 25 mai 2006, qui n'avait en rien ménagé le labeur du chercheur, et qui plus est avait été insultante à l'égard de la femme que je suis. L'affaire était close, mais la vérité sur L'étranger d'Albert Camus continue à faire des vagues, et tant mieux qu'il en soit ainsi, car c'est cela qui la fera vivre. Mais la manière dont vous la ravivez, vous personnellement, en modifiant le contenu de votre lettre adressée à El Watan, démontre que cette vérité vous reste en travers de la gorge. Lorsqu'on a fait une thèse sur Victor Hugo, comme c'est votre cas Madame, on est mal placé pour juger celle dont la thèse traitait d'Albert Camus. Je ne veux pas dire par là qu'il faille rester confiné dans le sujet d'une thèse, et heureusement ! Et si vous pensez que je suis arrivée à Stefan Zweig comme par enchantement, vous vous trompez lourdement. L'intuition a joué son rôle, certainement (et le chercheur n'est-il pas guidé le plus souvent par son intuition), il y eut par la suite un travail de fourmi que seul un chercheur chevronné est capable de mener. Vous mettez en avant mon manque de modestie. Mais Madame, ce travail post-thèse a pris des années de ma vie, il est normal que je tire fierté du travail bien accompli. Et pourtant, il ne me semble pas avoir exprimé quoi que ce soit en ce sens. Je ne connais pas un seul livre sur L'étranger d'Albert Camus qui ne soit pas venu avec sa vérité, et je n'ai pas lu un seul livre où il ne fut pas mentionné que L'étranger reste une énigme, pour ne citer que Mariel Morize qui dit dans un passé récent soit en 1996 : «Tout a été écrit sur L'étranger, et pourtant l'œuvre résiste. Plus de 50 ans ont passé et le lecteur naïf, comme le plus renseigné, referme la dernière page sur le sentiment qu'il n'est pas venu à bout de son étrangeté.» (L'étranger de Camus col repères. Hachette) Et j'ai lu plusieurs ouvrages où il est fait mention de certaines influences, dont Camus se serait imprégné dans l'écriture de son roman. Pour seul exemple l'influence de Kafka pour le procès. On ne les a pourtant pas cloués au pilori ! L'on se demande Madame, quel est vraiment l'objet de votre courroux ? Cette vérité est criante et les camusiens ne sont pas dupes. Il est à coup sûr certain que nombre d'entre eux ont vérifié cette vérité et ont constaté que le lien Camus-Zweig est l'évidence même, et il n'y a que «les aveugles» que Camus dénonce à travers La chute qui ne veulent pas voir. Mon aptitude à la recherche académique, ne vous en déplaise Madame, a été reconnue en haut lieu. Et la compétence en ce domaine ne relève pas d'une fonction au sein d'un organisme, mais par les preuves que l'on donne du travail accompli. Vos confrères (preuves à l'appui) au sommet de la recherche scientifique française qui, ont eu à me lire avant la publication de cet article, ont été les premiers à me dire que «cette vérité mérite d'être connue et non seulement lue». Vous pointez du doigt une certaine malhonnêteté intellectuelle. Est-ce être malhonnête que de chercher la vérité, de la trouver et de la dire ? Comme l'a si bien dit Jean Jaurès : «Le courage, c'est de chercher la vérité et de la dire.» Et j'ajouterai : «La lâcheté, c'est de la nier.» Votre réaction, celle du justicier, venu sauver Camus de l'assassinat programmé, prouve que la recherche sur Albert Camus est une chasse gardée. Mais, Madame, l'œuvre d'Albert Camus est universelle, et la recherche qui la concerne n'est la propriété privée de personne. Quant à dire que la recherche en littérature ne revient qu'aux spécialistes en littérature, c'est une hérésie. Vous m'obligez à revenir à ma thèse où cherchant à démontrer si le livre est un média ou un hors média, j'ai pris pour base de travail des œuvres littéraires (dont L'étranger de Camus). Et mon travail de thèse apporte la preuve que la littérature peut contribuer, à l'instar d'autres disciplines, à la recherche sur les médias (et vice-versa). Robert Escarpit n'avait pas cessé depuis les années 1960 de le clamer, mais jusqu'à ma soutenance de thèse, personne n'avait pris le risque d'essayer de le démontrer. En déniant la portée scientifique à mon article, qui est la suite logique de mon travail de thèse, où j'avançais déjà l'hypothèse selon laquelle le jeu d'échecs expliquerait l'énigme de L'étranger, pointeriez-vous du doigt la compétence de ceux qui ont statué sur ma thèse, me reconnaissant apte à la recherche académique (attestation à l'appui) ? Si chaque discipline s'enfermait sur elle-même, la recherche, Madame, n'irait pas loin. «C'est dans la différence que naît la créativité.» Ce qui a jusqu'ici enrichi la recherche sur Albert Camus et son œuvre, c'est bien parce que des chercheurs de diverses disciplines et de divers pays sont venus chacun avec sa compréhension des choses, pour éclairer l'œuvre et le combat de l'homme. La recherche en communication n'a trouvé son salut que grâce à Marshall Mac Luhan, pourtant historien, et que beaucoup ont moqué, jusqu'au jour où son «médium, c'est le message» est devenu la bible des spécialistes en communication. Et puisque vous montrez du doigt mon manque de modestie, je vais aller dans le sens de vos propos pour vous rappeler qu'Albert Camus lui-même a dit à l'intention des Parisiens : «Vous pouvez comprendre Meursault, mais un Algérien rentrera mieux dans sa peau.» Albert Camus cité in Camus L'étranger. Pierre Louis Rey, éd. Hatier 1970. Et si L'étranger de Camus a été la réussite que l'on sait, c'est après avoir fait maintes tentatives avec La mort heureuse, ensuite abandonnée (car si la plume du journaliste coulait de source, celle du romancier a eu du mal à émerger) pour donner naissance à ce roman hors normes qu'est L'étranger, parce que Camus était animé par un défi, celui de donner à Stefan Zweig, interdit d'écriture par les nazis, la place qui lui revient de droit dans la littérature mondiale. Et cela au nom de la fraternité universelle et au nom de la liberté d'expression. C'est ce qui lui a donné la foi, c'est ce qui explique ce coup de génie. Albert Camus, plus que quiconque, savait ce que voulait dire la censure. Lui interdit d'écriture en Algérie à la suite de ses articles dérangeants sur la misère en Kabylie, exilé à l'ouest de l'Algérie, condamné à enseigner (alors qu'en premier chef, on le lui avait refusé prenant pour cause sa maladie, la tuberculose). Interdit de pratiquer cette noble profession pour laquelle il était doué, il ne pouvait qu'être sensible à la terrible censure infligée à Stefan Zweig parce que juif. Je ne vois pas en quoi, Madame, cette vérité nuirait au souvenir d'Albert Camus, puisqu'elle le rehausse à plus d'un titre ? Il fallait du courage en 1942, pour braver le nazisme, alors que la France est sous occupation allemande, pour véhiculer l'œuvre de Stefan Zweig, brûlée par les nazis, et donc condamnée à l'extinction. Tout possesseur de son œuvre risquait la peine de mort. Madame, c'est l'humaniste qui a bravé le danger en véhiculant l'œuvre de Zweig à travers L'étranger afin de lui permettre de perdurer, car en 1942, personne ne croyait encore que l'Europe sortirait victorieuse des nazis. Albert Camus comme tout le monde. Vous me conseillez de lire la pléiade pour mieux comprendre pourquoi Camus se trouvait à Paris en 1940. Permettez-moi à mon tour de vous conseiller de lire ma thèse, vous apprendrez ce que vous semblez méconnaître sur Albert Camus, avec tout le respect que je dois à votre haute fonction en tant que présidente de la société des camusiens. Mais je vous conseille surtout de lire l'œuvre de Stefan Zweig ainsi que tout ce qui a été écrit sur lui, vous apprendrez certainement beaucoup de choses (du moins je l'espère), ainsi que les vraies raisons qui ont fait que Camus et Zweig se trouvaient au même moment et au même endroit en avril 1940. Et vous découvrirez plus encore, que non seulement Albert Camus mais probablement d'autres écrivains ont été protecteurs de l'œuvre de Stefan Zweig, pour la sauver, et ceci est tout à leur honneur. Mais pour arriver à ce résultat, il vous faudra passer des années de votre vie dans les bibliothèques comme je le fis. Que sont devenus ces manuscrits de Stefan Zweig confiés pour protection ? Albert Camus les aurait-il rapportés avec lui à Paris en 1942, ou bien les aurait-il laissés derrière lui en Algérie ? Que sont devenus ceux confiés aux autres protecteurs ? Ces manuscrits confiés pour protection n'expliqueraient-ils pas le suicide de Stefan Zweig au Brésil le 22 février 1942 ? Est-ce que la nouvelle Le joueur d'échecs de Stefan Zweig faisait partie des manuscrits confiés ? Ce sont là, Madame, les vraies questions auxquelles la recherche se doit de répondre, et non un règlement de compte, au nom de je ne sais quelle cause au sujet du résultat d'une recherche qui, loin de nuire à Albert Camus ou à qui que ce soit, est une nouvelle brèche ouverte pour la recherche sur cet écrivain prestigieux dédoublé d'un homme d'honneur. Mais aussi une bouffée d'oxygène pour la recherche sur Stefan Zweig quasi inexistante en France. L'auteur est Docteur en communication