Berlin : De notre envoyé spécial Puis vient le combat organisé contre l'épidémie dans la deuxième partie du film. Image très soignée, mise en scène sculptée avec un art remarquable, acteurs surprenants de maîtrise : Emmanuelle Béart, Michel Blanc, Sami Bouajila, Johan Libérau, Julie Depardieu. L'histoire se passe entre l'été 1984 et l'été 1985 à Paris et sur les rives de la Méditerranée. La voix d'Emmanuelle Béart, qui est romancière dans le film, accompagne le récit, tout en tapant sur sa machine son roman. A mesure que le film avance et que s'accélère l'affrontement entre les personnages (l'un est médecin, spécialiste du sida, l'autre est officier de police ; et aussi : une chanteuse d'opéra et son jeune frère fragile dont la survie est éphémère), on sent que Téchiné veut livrer un message fort contre le silence et l'indifférence qui entourent les ravages de la maladie, en France, mais aussi en Afrique et ailleurs. Le spectateur, au regard du sujet de ce film, pourrait sortir de la projection pétrifié, raidi de colère contre la cruelle épidémie. Rien de cela. Le message est au contraire celui de l'espoir, du miracle de la survie quand ça arrive. La mère de la romancière lui dit : «Chaque jour est un miracle parce qu'on est en vie.» Les Témoins est une œuvre qui fait partie des lumières du Festival de Berlin. Il y a quelques ombres aussi. Dans le programme, quelques films fort hasardeux. Comme le film américain de Ryan Eslinger : A Man Falls in the Forest, avec Sharon Stone, dont on s'interroge sur les raisons de sa sélection en compétition. L'histoire d'un homme qui tente de vivre la vie de son double, c'est dans le film argentin El Otro, d'Ariel Rotter. C'est un thème cher à Jorge-Luis Borgès. On court vite à la projection. Hélas, les plans se suivent et l'ennui s'installe. Rien n'accroche le regard dans El Otro. Une autre ombre au tableau du festival. Depuis le Festival de Berlin, les yeux parfois se tournent vers les prochains oscars d'Hollywood. Au marché du film, si les noms des gagnants étaient connus, cela provoquerait une sorte de secousse (tellurique) en dollars. Pour le moment, c'est le cinéma européen surtout qui provoque quelques petites convulsions. Le journal Variety, toujours au service des producteurs, annonce la surprise d'une jeune cinéaste française Pascale Feran (qui a remporté la caméra d'or en 1993 à Cannes) qui a vu son dernier film : L'Amant de Lady Chatterley (une énième adaptation du fameux roman de D. H. Lawrence) susciter la convoitise d'un grand nombre de distributeurs du monde entier (Japon, Nouvelle-Zélande, Scandinavie, Espagne, Allemagne). Son film avait été refusé par plusieurs festivals, y compris celui de Cannes. Cela prouve qu'au marché de Berlin, on peut vendre tous les films, les bons, les mauvais, les moyens.