Kossaïla, enfant surdoué et futé, est un boulimique de la lecture. Il dévore tout ce qui lui tombe sous la main, en arabe et en français. Ainsi, très jeune, il découvre les textes fondamentaux et en fait, évidemment, une lecture enfantine. Ainsi El Moutanabi, Abou Nouas, El Maârri, Les Mille et Une Nuits et bien sûr Le Coran. En français, l'enfant perspicace découvre Flaubert avec Madame Bovary, Henri Miller et sa trilogie, Georges Bataille et sa Mère, Marguerite Duras et ses premiers romans. C'est ainsi que se fait l'initiation littéraire de l'enfant, par lui-même et sans l'aide des adultes : un père très souvent absent et faussement porté disparu par son propre frère surnommé Ho Chi Minh, qui en profite pour se marier avec sa belle-sœur Hadile, la mère de l'enfant narrateur qui hait donc cet oncle vicelard qui lui enlève sa maman et le prive d'une maternité qu'il cherche à récupérer d'une façon obsessionnelle, voire incestueuse. Si l'initiation littéraire se fait dans les conditions de la découverte, de l'ouverture sur le monde et donc de la jubilation et de l'euphorie, l'éducation sentimentale (on pense au grand roman de Flaubert !) se fait dans la douleur, la peur et la culpabilité. D'autant plus que l'enfant, privé de sa mère par son oncle, va devenir l'amant de Louloua, sa tante et première femme de cet oncle haï et dont il se venge ainsi. Dans ce roman, l'initiation amoureuse et surtout sexuelle est réalisée grâce aux femmes qui prennent l'initiative le plus souvent et assouvissent les désirs les plus innocents et les plus pervers, à la fois, de cet enfant perdu dans les méandres d'un petit village aride et désertique, abandonné par les dieux et par les hommes. Passages relatant une sexualité torride et débridée, mais toujours cachée, toujours honteuse et toujours hypocrite qui installent dans la conscience de l'enfant une culpabilité douloureuse et permanente. L'inceste dans ce roman est -peut-être – le sujet principal, mais grâce à l'écriture d'Amin Zaoui, il reste flou, poétique, fantasmatique et surréaliste. Ainsi, l'enfant, qui ne cherche qu'à assouvir son amour détourné pour sa mère, va se mettre à n'aimer que les femmes beaucoup plus âgées que lui. Sa tante Louloua, bien sûr, pour laquelle il voue un amour dévorateur et réciproque. Sa cousine Jade qui le harcèle. Mme Loriot la femme de l'instituteur qui lui fait découvrir le raffinement occidental. Douja, la femme de ménage du collège où il est interne, situé à Tlemcen et où il découvre la neige pour la première fois de sa vie ; cette neige qui le faisait rêver quand il lisait les romans occidentaux. Puis une pléthore de prostituées qu'il rencontre dans les maisons closes de Tlemcen et dont une (Zouina, une juive) va le bouleverser et avec laquelle il va vivre une passion amoureuse etc. Il y a une troisième initiation que l'enfant, devenu adolescent et collégien, va entreprendre, c'est l'initiation politique à travers les informations de la radio et les colportages des adultes. Constamment, Festin de mensonges est traversé par des épisodes essentiels de l'histoire de l'Algérie indépendante : le coup d'Etat militaire de Boumediène en 1965 et la défaite arabe, lors de guerre des Six jours, en 1967. Ces deux événements politiques traumatisent l'enfant adolescent autant que cette atmosphère d'inceste et de lubricité qui règne tout le long du roman. Construit selon une structure abyssale et une poétique incantatoire, ce superbe roman d'Amin Zaoui innove dans la mise à nu des plaies de la tribu et des terreurs de l'enfance saccagée. Epoustouflant ! – (*) Auteur algérien Festin de Mensonges d'Amin Zaoui sortira le 24 mars aux éditions Barz (Algérie)