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Publié dans El Watan le 07 - 04 - 2007

Etait-ce une révolution ou une guerre de libération ? C'est à la fois l'une et l'autre certainement. Une révolution, cela suppose le renversement total d'un pouvoir par un autre pouvoir lui succédant aux affaires de l'Etat d'un pays. Ici c'est bien le cas. Nous avions renversé le pouvoir colonial par l'instauration d'un pouvoir national qui, malheureusement, s'est avéré aussi déplorable qu'indigne de confiance. Une guerre de libération : nous avions libéré l'Algérie pour mettre fin à l'état d'esclavage avilissant du colonialisme pour le bénéfice d'un Etat national d'hommes libres, de citoyens responsables de leur sort et de celui de leur pays.
Sommes-nous réellement libres ainsi ? Assurément non ! Nous sommes en train de vivre depuis l'indépendance dans un système despotique, sans foi ni loi qui a accaparé le pouvoir par la force et qui gère le pays comme un fonds de commerce personnel sans se soucier du sort de tout un peuple qui se trouve pris en otage, et dont les libertés fondamentales sont bafouées jusqu' à ce jour.
Grande confusion
Qu'a-t-on fait pour mériter ce triste sort ? Quelle est l'origine du mal ? Interrogeons notre conscience sans concession et donnons notre témoignage en toute honnêteté et humilité. Il appartiendra aux historiens sérieux de tirer au clair ce qu'ils croiront être la vérité. Il est évident que rien ne vient de rien. Toute action, toute décision a un début et une fin. Toute fin (résultat) n'est que la conséquence logique de son début en bien ou en mal.
Une question fondamentale se pose donc pour nous. Avions-nous bien débuté notre action en novembre 1954 ? Si oui, le congrès de la Soummam n'aurait pas eu sa raison d'être. En effet, pour bien faire, celui-ci aurait pu se tenir à Alger avant la fin de l'année 1954 si la raison l'avait emporté chez les chefs autoproclamés qui avaient décidé du déclenchement précipité de la lutte armée, au cours de leur réunion du Clos Salembier, sans tenir compte des conseils et des avertissements de leurs homologues responsables au même titre qu'eux. Leur fameuse réunion n'avait été qu'une mise en scène instrumentalisée à dessein pour des objectifs personnels inavoués. Elle avait eu lieu à une époque de troubles, d'inquiétudes et de désespoir du mouvement national, le PPA/MTLD générant une grande confusion et une crise de confiance totale des militants en leurs dirigeants dans une période critique pour le pays. Des divergences anciennes, au sein du parti, d'ordre personnel plus que politique, opposant Messali à ses pairs (membres du bureau politique et du Comité central), s'étaient envenimées à la suite des décisions prises par le dernier congrès de 1953 à Alger, congrès qui avait procédé à de grandes réformes sur le plan politique et décidé des changements nécessaires à la direction afin de mener à bien les tâches futures qui s'imposaient.
Messali, mécontent, remettra en cause les résultats de ce congrès et demandera les pleins pouvoirs. Devant le refus de la nouvelle direction qui tenta de lui faire entendre raison, il décida de lancer un appel à la base en adressant aux militants une circulaire publique les incitant à la révolte contre leurs dirigeants qu'il accusa de trahison. Ces derniers, quant à eux, l'accusèrent d'être un dictateur mégalomane et incompétent. Cette situation créa un grand déchirement, une crise de confiance totale et un profond désarroi au sein de la base où les militants, divisés en messalistes et centralistes, en vinrent aux mains ; bagarres et agressions armées firent couler le sang de ceux-là mêmes qui hier étaient frères. Il s'ensuivit des batailles rangées à travers tout le pays ainsi que dans l'organisation en France où résidait Messali (en résidence surveillée à Niort).
Devant l'aggravation de la situation, Lahouel Hocine, membre du comité central et ancien secrétaire général du parti, appela Boudiaf qu'il fit venir de France pour reprendre en main l'organisation paramilitaire, l'Organisation spéciale (OS), dissoute en 1951. Il décida avec lui de la création du CRUA, dans le but de maîtriser la nouvelle situation et prendre les décisions qui s'imposaient pour le passage à l'action armée organisée dans l'unité retrouvée (mars 1954).
Boudiaf, pour se donner le beau rôle, décida à ce moment-là de jouer en solo à l'insu de Lahouel Hocine, son chef hiérarchique, et bien d'autres responsables de l'OS concernés en premier lieu et abusivement écartés.
Il constitua son équipe (Benboulaïd, Ben M'hidi, Didouche Mourad et Bitat) et convoqa à Alger pour un réunion 16 personnes de son choix (en grande partie issues d'un échelon subalterne) dont la composition était anormale et de plus régionale : 12 personnes du département de Constantine dont 6 de l'organisation de Constantine-ville, 3 du département d'Alger (Alger-ville) et une personne du département d'Oran ; cela sans même leur dire de quoi il s'agissait, ce qui fit que tous vinrent avec l'idée d'une concertation et d'une clarification relative au différend qui déchirait l'organisation du parti et opposait les deux clans. Ceci au lieu et place d'une réunion des responsables légitimes de l'OS, connus à l'échelle nationale, à égalité pour les 3 départements de l'époque ; réunion qui aurait eu pour objet d'abord de faire le bilan critique de l'échec de l'OS, des raisons de son démantèlement par la police coloniale en 1950 et de définir la responsabilité de chacun à ce sujet, en vue d'une meilleure efficacité pour l'avenir. Il aurait donc fallu tout faire pour reconquérir la confiance perdue des militants, ne pas user de mensonges et de manipulations afin d'être en adéquation avec l'idée du CRUA qui prônait une position de neutralité envers les deux clans, les incitant à l'union et au passage à l'action armée.
Tel ne fut malheureusement pas le cas de ceux qui se sont autoproclamés chefs pour décider quasi seuls et à leur manière de l'insurrection.
Diktat
C'était déjà le premier coup d'Etat du militaire contre l'autorité du politique. Dans la salle prévue pour la réunion, nous nous retrouvions face à un petit groupe déjà installé en «bureau» comme pour diriger les travaux ; ils sont au nombre de 5 : Boudiaf, Ben Boulaïd, Ben M'hidi, Bitat et Didouche.
Boudiaf, maître du jeu, prit la parole, passa en revue la situation du parti, connue de tous, sa division, le refus d'union de Messali, et sur le plan maghrébin, l'Algérie à la traîne alors que Tunisiens et Marocains étaient passés à l'action. Il dira qu'il est temps d'agir sans plus tarder et posa d'emblée la question piège cruciale : qui est pour ou contre le déclenchement de la lutte armée ? Une façon subtile d'éviter tout débat. La réponse fusa unanime et enthousiaste.
Il en avait déduit qu'il fallait donc élire une direction en choisissant 2 membres uniquement parmi les 5 du groupe composant le bureau qui, à leur tour, choisiront par cooptation les autres membres, sous-entendu parmi l'assistance, pour garder l'anonymat dans la clandestinité. Ce qui n'a pas été le cas, comme on le verra plus tard, le choix était fait, ce sont les mêmes membres du bureau. Puis, par un simulacre d'élection, le choix des 2 noms qui sortirent (inscrits par chacun de nous sur des petits bouts de papier qui nous furent remis) était, semble-t-il, ceux de Boudiaf et Ben Boulaïd. Aussitôt, la séance fut levée après qu'il nous ait été dit de ne pas assister au congrès de Messali en Belgique ni à celui du comité central à Alger et que les instructions nous seraient données par la suite. Personne ne posa de question spéciale. En dehors des meneurs du jeu qui avaient besoin de se donner une légitimité, aucun participant n'en sut davantage sur la manœuvre, les autres représentants n'ayant été appelés que pour servir de caution abusée. Cette situation avait choqué au plus profond d'eux-mêmes les éléments de Constantine lorsqu'ils prirent conscience de la tromperie et des manœuvres auxquelles ils avaient assisté sans s'en rendre compte sur place.
Ils feront appel à leur chef Abderrahmane Gherras (qui sciemment n'avait pas été averti de cette fameuse réunion) pour réfléchir mûrement ensemble sur ce grave état de fait malheureux qui risquait d'ajouter de la confusion à la confusion. Ils décidèrent alors de la tenue d'une petite réunion de conciliation à Constantine afin de lever les équivoques et les soupçons qui risquaient de nuire à l'idéal recherché. Réunion à laquelle avaient assisté quelques responsables du département : Gherras Abderrahmane, Habbachi Abdeslam, Benabdelmalek Ramdane, Mellah Slimane dit Rachid, Bouali Saïd dit Lamotta, Badji Mokhtar, Haddad Youcef, chez lequel s'est tenue la réunion, Bentobal Lakhdar, Mechati Mohamed, (Zighout Youcef aurait été empêché) et Didouche Mourad représentant Boudiaf. Cette réunion avait pour but de convaincre celui-ci de l'absolue nécessité d'une nouvelle rencontre à Alger avec la participation des responsables concernés à l'échelon supérieur, à égalité pour les 3 départements en vue de discuter ensemble des problèmes de l'organisation, de l'opportunité de la date de déclenchement de l'insurrection et du choix d'une personnalité d'envergure politique pour nous représenter à l'étranger. Nous avions proposé le nom du docteur Lamine Debaghine, l'initiateur principal, avec Belouizdad Mohamed, de la création de l'OS au congrès du PPA en 1947. Didouche Mourad ne voulut rien savoir. Ce serait comme ils l'avaient prévu eux (Boudiaf et son équipe), un point c'est tout. «Elli m'cha, m'cha, elli ma m'chach, irouh lel habs» pour toute réponse et sans explication : un diktat !
Raison pour laquelle ces derniers avaient décidé de punir le groupe de Constantine pour sa contestation en ne l'avertissant pas du jour du déclenchement. En effet, les éléments de Constantine, anciens membres de l'OS connus et fichés par la police coloniale, étaient dans l'ignorance de la date choisie. Conséquence prévisible grave : ils furent tous arrêtés le 1er novembre, torturés et condamnés. Et après avoir purgé leur peine, ils rejoindront le maquis où ils subiront, pour certains d'entre eux, le même sort que Abane Ramdane : on nous dira qu'ils étaient morts au champ d'honneur. Il s'agit là de Bakhouche Abdeslam, Zighet Smain, Zadi Chérif, Bouali Saïd et Mellah Rachid.
Voilà dans quel état d'esprit démarra la révolution qui heureusement fut revue et plus ou moins corrigée au congrès de la Soummam. Congrès qui aurait pu être tenu à Alger, en toute sérénité, pour le passage à l'action pesée, réfléchie et bien organisée avant la fin de l'année 1954 par des responsables concernés, connus et librement choisis. Cela dit, malgré toutes ces insuffisances et anomalies, nous étions tous convaincus que l'action, une fois enclenchée, ne pouvait pas échouer. Le peuple la voulait.
Il ne croyait plus à l'action politique, il en avait assez, depuis de nombreuses années, de subir la répression et l'humiliation. Il nous réclamait des armes pour se soulever. C'est ce qui fit dire à Ben M'hidi : «Jetons la révolution dans la rue, elle sera portée par le peuple.» Effectivement, le peuple l'avait reprise à sa façon. Le résultat est quand même là : l'indépendance conquise grâce aux sacrifices énormes de tout un peuple. Ce peuple merveilleux qui finalement, déçu, s'est senti frustré de sa victoire par suite de la trahison de certains de ses dirigeants préoccupés essentiellement par la course au pouvoir.
L'auteur est ancien militant du mouvement national, membre fondateur de la Ligue des droits
de l'homme


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