Etait-ce une r�volution ou une guerre de lib�ration ? C�est � la fois l�une et l�autre, certainement. Une r�volution : cela suppose le renversement total d�un pouvoir par un autre pouvoir lui succ�dant aux affaires de l�Etat d�un pays. Ici, c�est bien le cas. Nous avions renvers� le pouvoir colonial par l�instauration d�un pouvoir national qui, malheureusement, s�est av�r� aussi d�plorable qu�indigne de confiance. Une guerre de lib�ration : nous avions lib�r� l�Alg�rie pour mettre fin � l��tat d�esclavage avilissant du colonialisme pour le b�n�fice d�un Etat national d�hommes libres, de citoyens responsables de leur sort et de celui de leur pays. Sommes-nous r�ellement libres ainsi ? Assur�ment non ! Nous sommes en train de vivre depuis l�ind�pendance dans un syst�me despotique, sans foi ni loi qui a accapar� le pouvoir par la force, qui g�re le pays comme un fonds de commerce personnel sans se soucier du sort de tout un peuple qui se trouve pris en otage, et dont les libert�s fondamentales sont bafou�es jusqu�� ce jour. Qu�a-t-on fait pour m�riter ce triste sort ? Quelle est l�origine du mal ? Interrogeons notre conscience sans concession et donnons notre t�moignage en toute honn�tet� et humilit�. Il appartiendra aux historiens s�rieux de tirer au clair ce qu�ils croiront �tre la v�rit�. Il est �vident que rien ne vient de rien. Toute action, toute d�cision a un d�but et une fin. Toute fin (r�sultat) n�est que la cons�quence logique de son d�but en bien ou en mal. Une question fondamentale se pose donc pour nous. Avions-nous bien d�but� notre action en Novembre 1954 ? Si oui ! Le congr�s de la Soummam n�aurait pas eu sa raison d��tre. En effet, pour bien faire, celui-ci aurait pu se tenir � Alger avant la fin de l�ann�e 54 si la raison l�avait emport� chez les chefs autoproclam�s qui avaient d�cid� du d�clenchement pr�cipit� de la lutte arm�e, au cours de leur r�union du Clos Salembier, sans tenir compte des conseils et des avertissements de leurs homologues responsables au m�me titre qu�eux. Leur fameuse r�union n�avait �t� qu�une mise en sc�ne instrumentalis�e � dessein pour des objectifs personnels inavou�s. Elle avait eu lieu � une �poque de troubles, d�inqui�tudes et de d�sespoir du mouvement national, le P.P.A/MTLD g�n�rant une grande confusion et une crise de confiance totale des militants en leurs dirigeants dans une p�riode critique pour le pays. Des divergences anciennes, au sein du parti d�ordre personnel plus que politique, opposant Messali � ses pairs (membres du bureau politique et du comit� central) s��taient envenim�es � la suite des d�cisions prises par le dernier congr�s de 1953 � Alger, congr�s qui avait proc�d� � de grandes r�formes sur le plan politique et d�cid� des changements n�cessaires � la direction afin de mener � bien les t�ches futures qui s�imposaient. Messali, m�content, remettra en cause les r�sultats de ce congr�s et demandera les pleins pouvoirs. Devant le refus de la nouvelle direction qui tenta de lui faire entendre raison, il d�cida de lancer un appel � la base en adressant aux militants une circulaire publique les incitant � la r�volte contre leurs dirigeants qu�il accusa de trahison. Ces derniers quant � eux, l�accus�rent d��tre un dictateur m�galomane et incomp�tent. Cette situation cr�a un grand d�chirement, une crise de confiance totale et un profond d�sarroi au sein de la base o� les militants, divis�s en messalistes et centralistes, en vinrent aux mains ; bagarres et agressions arm�es firent couler le sang de ceux-l� m�mes qui hier �taient fr�res. Il s�ensuivit des batailles rang�es � travers tout le pays ainsi que dans l�organisation en France o� r�sidait Messali (en r�sidence surveill�e � Niort). Devant l�aggravation de la situation, Lahouel Hocine, membre du comit� central et ancien secr�taire g�n�ral du parti, appela Boudiaf qu�il fit venir de France pour reprendre en main l�organisation paramilitaire, l�OS (Organisation sp�ciale) dissoute en 1951. Il d�cida avec lui de la cr�ation du CRUA, dans le but de ma�triser la nouvelle situation et prendre les d�cisions qui s�imposaient pour le passage � l�action arm�e organis�e dans l�unit� retrouv�e (mars 1954). Boudiaf, pour se donner le bon r�le, d�cida � ce moment-l� de jouer en solo � l�insu de Lahouel Hocine, son chef hi�rarchique, et bien d�autres responsables de l�OS concern�s en premier lieu et abusivement �cart�s. Ceci en lieu et place d�une r�union des responsables l�gitimes de l�OS, connus � l��chelle nationale, � �galit� pour les 3 d�partements de l��poque, r�union qui aurait eu pour objet d�abord de faire le bilan critique de l��chec de l�OS, des raisons de son d�mant�lement par la police coloniale en 1950 et de d�finir la responsabilit� de chacun � ce sujet, en vue d�une meilleure efficacit� pour l�avenir. Il aurait donc fallu tout faire pour reconqu�rir la confiance perdue des militants, ne pas user de mensonges et de manipulations afin d��tre en ad�quation avec l�id�e du CRUA qui pr�nait une position de neutralit� envers les deux clans, les incitant � l�union et au passage � l�action arm�e. Tel ne fut malheureusement pas le cas de ceux qui se sont autoproclam�s chefs pour d�cider quasi seuls et � leur mani�re de l�insurrection. C��tait d�j� le premier coup d�Etat du militaire contre l�autorit� du politique. Dans la salle pr�vue pour la r�union, nous nous retrouvions face � un petit groupe d�j� install� en �bureau� comme pour diriger les travaux, ils sont au nombre de 5 : Boudiaf, Ben Boula�d, Ben M�hidi, Bitat et Didouche. Boudiaf, ma�tre du jeu, prit la parole, passa en revue la situation du parti, connue de tous, sa division, le refus d�union de Messali et sur le plan maghr�bin, l�Alg�rie � la tra�ne alors que Tunisiens et Marocains �taient pass�s � l�action. Il dira qu�il est temps d�agir sans plus tarder et posa d�embl�e la question pi�ge cruciale : qui est pour ou contre le d�clenchement de la lutte arm�e ? Une fa�on subtile pour �viter tout d�bat. La r�ponse fusa unanime et enthousiaste. Il en avait d�duit qu�il fallait donc �lire une direction en choisissant deux membres uniquement parmi les cinq du groupe composant le bureau qui, � leur tour, choisiront par cooptation les autres membres, sous-entendu parmi l�assistance, pour garder l�anonymat dans la clandestinit�. Ce qui n�a pas �t� le cas, comme on le verra plus tard, le choix �tait fait, ce sont les m�mes membres du bureau. Puis par un simulacre d��lection, le choix des deux noms qui sortirent (inscrits par chacun de nous sur des petits bouts de papier qui nous furent remis) �tait, semble-t-il, celui de Boudiaf et Benboula�d. Aussit�t, la s�ance fut lev�e apr�s qu�il nous ait �t� dit de ne pas assister au congr�s de Messali en Belgique ni � celui du comit� central � Alger et que les instructions nous seraient donn�es par la suite. Personne ne posa de question sp�ciale. En dehors des meneurs de jeu qui avaient besoin de se donner une l�gitimit�, aucun participant n�en sut davantage sur la man�uvre, les autres repr�sentants n�ayant �t� appel�s que pour servir de caution abus�e. Cette situation avait choqu� au plus profond d�eux-m�mes les �l�ments de Constantine lorsqu�ils prirent conscience de la tromperie et des man�uvres auxquelles ils avaient assist� sans s�en rendre compte sur place. Ils feront appel � leur chef Abderrahmane Guerras (qui sciemment n�avait pas �t� averti de cette fameuse r�union) pour r�fl�chir m�rement ensemble sur ce grave �tat de fait malheureux qui risquait d�ajouter de la confusion � la confusion. Ils d�cid�rent alors de la tenue d�une petite r�union de conciliation � Constantine afin de lever les �quivoques et les soup�ons qui risquaient de nuire � l�id�al recherch�. R�union � laquelle avaient assist� quelques responsables du d�partement : Gherras Abderrahmane, Habbachi Abdeslam, Benabdelmalek Ramdane, Mellah Slimane dit Rachid, Bouali Sa�d dit Lamotta, Badji Mokhtar, Haddad Youcef, chez lequel s�est tenue la r�union, Bentobal Lakhdar, Mechati Mohamed, (Zighout Youcef aurait �t� emp�ch�) et Didouche Mourad repr�sentant Boudiaf. Cette r�union avait pour but de convaincre celui-ci de l�absolue n�cessit� d�une nouvelle rencontre � Alger avec la participation des responsables concern�s � l��chelon sup�rieur, � �galit� pour les trois d�partements en vue de discuter ensemble des probl�mes de l�organisation, de l�opportunit� de la date de d�clenchement de l�insurrection et du choix d�une personnalit� d�envergure politique pour nous repr�senter � l��tranger. Nous avions propos� le nom du Dr Lamine Debaghine, l�initiateur principal avec Belouizdad Mohamed, de la cr�ation de l�O.S au congr�s du PPA en 1947. Didouche Mourad ne voulut rien savoir. Ce serait comme ils l�avaient pr�vu eux (Boudiaf et son �quipe), un point c�est tout. �Elli m�cha, m�cha, elli ma m�chach, irouh lel habs� pour toute r�ponse et sans explication : un diktat ! Raison pour laquelle ces derniers avaient d�cid� de punir le groupe de Constantine pour sa contestation en ne l�avertissant pas du jour du d�clenchement. En effet, les �l�ments de Constantine, anciens membres de l�O.S. connus et fich�s par la police coloniale, �taient dans l�ignorance de la date choisie. Cons�quence pr�visible grave : ils furent tous arr�t�s le 1er novembre, tortur�s et condamn�s. Et apr�s avoir purg� leur peine, ils rejoindront le maquis o� ils subiront, pour certains d�entre eux, le m�me sort que Abane Ramdane : on nous dira qu�ils �taient morts au champ d�honneur. Il s�agit l� de : Bakhouche Abdesselam, Zighet Sma�n, Zadi Ch�rif, Bouali Sa�d et Mellah Rachid. Voil� dans quel �tat d�esprit d�marra la R�volution qui, heureusement, fut revue et plus ou moins corrig�e au Congr�s de la Soummam. Congr�s qui aurait pu �tre tenu � Alger, en toute s�r�nit�, pour le passage � l�action pes�e, r�fl�chie et bien organis�e avant la fin de l�ann�e 54 par des responsables concern�s, connus et librement choisis. Cela dit, malgr� toutes ces insuffisances et anomalies, nous �tions tous convaincus que l�action, une fois enclench�e, ne pouvait pas �chouer. Le peuple la voulait. Il ne croyait plus � l�action politique, il en avait assez, depuis de nombreuses ann�es, de subir la r�pression et l�humiliation. Il nous r�clamait des armes pour se soulever. C�est ce qui fit dire � Ben M�hidi : �Jetons la R�volution dans la rue, elle sera port�e par le peuple. Effectivement, le peuple l�avait reprise � sa fa�on. Le r�sultat est quand m�me l� : l�ind�pendance conquise gr�ce aux sacrifices �normes de tout un peuple. Ce peuple merveilleux qui finalement, d��u, s�est senti frustr� de sa victoire par suite de la trahison de certains de ses dirigeants pr�occup�s essentiellement par la course au pouvoir. M. M. * Ancien militant du Mouvement national Membre fondateur de la Ligue des droits de l�homme