L'historien spécialiste de l'Algérie, Mohamed Harbi, s'est livré hier lors des Débats d'El Watan consacrés à un thème des plus intéressants, « Les intellectuels et le pouvoir en Algérie », à un exercice de recherche et de comparaison quant au rôle des intellectuels avant et après l'indépendance et leur résistance à un pouvoir qui a de tout temps tenté de les coopter. Mohamed Harbi a parlé d'intelligentsia et de l'élite en évoquant au passage les personnages ayant marqué l'histoire de l'Algérie, à l'instar de Messali Hadj, Aït Ahmed, Debaghine... Des groupes qui ont pesé de leur poids avant l'indépendance. Ces intellectuels qui ont pu cohabiter avec les couches illettrées tiennent leur pouvoir social dans leur compétence et leur capacité à produire et à diffuser des idées. En comparant le passé avec le présent, l'historien ne parle pas de régression mais plutôt d'un contexte différent et d'une formation également différente. Le conférencier est remonté dans le temps pour évoquer le rôle joué par le mouvement général des étudiants musulmans algériens (UGEMA), le Parti du peuple algérien (PPA) et le FLN. « Par la suite, explique Mohamed Harbi, le pouvoir a joué la carte de la récupération. » Certains de ses intellectuels ont accepté pour de multiples raisons de rentrer de plain-pied dans la sphère politique non pas pour mettre en œuvre leur savoir, mais pour appliquer la vision et les idées du pouvoir en place. « Après l'indépendance, il y a eu une fraction de l'intelligentsia qui s'est traduite par l'autosoumission. Le pouvoir a séduit certains producteurs d'idées et a interdit toute opposition et la contestation a été mise entre parenthèses. Les intellectuels qui ont refusé d'abdiquer ont été, soit liquidés, soit marginalisés ou exilés », a-t-il souligné, ajoutant que « l'université a perdu de sa crédibilité et n'a plus fonctionné, d'où la sélection de l'élite du pays sur des critères autres que l'intelligentsia, c'est-à-dire la soumission absolue. » Ce qui a engendré dans les années 1980 une véritable panne. Faute de révision du système politique, le pays s'est acheminé vers l'effet de trouble qui s'est traduit par des bombes à retardement, notamment la mise en place d'un système éducatif orienté vers le contrôle social et la formulation du nationalisme qui n'a jamais pris en compte la réalité de la diversité algérienne. L'historien estime que chaque pouvoir produit ses propres intellectuels et chaque groupe social peut produire des intellectuels. De l'avis de l'orateur, il y eut de tout temps des préjugés à l'égard des intellectuels. « Durant la guerre, les Français ont élaboré un projet consistant en l'élimination de certains acteurs politiques faisant partie des intellectuels, assure-t-il. Ils ont réussi car il y avait des préjugés vis-à-vis de cette catégorie. »