Les élites politiques algériennes et le Pouvoir, une relation souvent empreinte de compromission et quelquefois d'opposition, suivant les conjonctures et les bords d'appartenance politique et idéologique de chacun. Le rendez-vous des Débats d'El Watan s'est attelé à mettre sous la lumière du jour ce lien entre l'élite politique et la pratique du pouvoir, en invitant des éminences grises algériennes à porter leur regard d'analystes sur la réalité algérienne. En historien spécialiste de l'Algérie, Mohamed Harbi s'est livré à un exercice de recherche sur les conditions d'émergence de l'élite politique algérienne qu'il renvoie aux années trente. De prime abord apparaît une primauté des acteurs collectifs sur l'individuel. « Quand on parlait de Nation c'est d'abord une virtualité, elle n'a pas de base dans la réalité sociologique, excepté l'entité religieuse et idéologique qui va façonner l'identité nationale », explique Harbi qui estime que l'ordre social vertical qui avait prévalu est encore à l'œuvre. Résumant les principales forces ayant érigé la pensée politique algérienne sous l'ère coloniale, l'historien parle des adeptes de la modernité d'abord (proches de la colonisation), ainsi que des adeptes de la religion d'abord, puis ceux de la classe d'abord et enfin les adeptes de la nation d'abord. Quatre thèmes qui animeront, tour à tour, l'espace politique des années 1920 et 1930. L'avènement du PPA qui se présente comme parti national va permettre une imprégnation plus profonde du tissu politique algérien, « un anti-intellectualisme s'est fait sentir suite à l'image reflétée par le courant moderniste », indique Harbi en notant qu'à partir des années 1940, des intellectuels vont venir de plus en plus nombreux au PPA. Ce fut le point de départ de l'anti-intellectualisme devenant objet des luttes intestines. « L'idéalisation du passé et le mythe des origines vont forger la pensée politique, créant une société où le communautarisme s'oppose à l'individu », explique Harbi en déplorant l'adoption de pratiques politiques de type hégémonique. « On est passé par des périodes où la carte d'affrontements brutaux a été jouée entre partis politiques jusqu'au début des années 1950 où il y a eu un renoncement de cet affrontement au profit du mouvement national », indique le conférencier qui considère que le FLN a opposé la règle de blocage des possibilités d'évolution politique pacifique. Le ralliement massif des intellectuels dans les rangs du FLN a créé le syndrome de l'évolué, « contrairement à Zighoud, Abane Ramdane va essayer d'obtenir une homogénéisation de la représentation populaire dans le mouvement national et se heurtera à ceux qui veulent d'un Etat minimal pour qui la question de l'identité nationale importe moins que l'identité communautaire », note l'historien. Ce dernier estime qu'une cassure s'est fait jour entre le FLN-ALN qui voulait réaliser des brassages régionaux au sein de l'armée, et la société dans laquelle il y avait des divisions qu'on ne voulait pas voir. « On cherchera un compromis en essayant d'incorporer la société dans le FLN, sans toutefois poser les vraies questions, à savoir comment aller vers une nation. Il ne fallait pas toucher au débat sur le fondement de l'identité politique et donc ignorer la diversité de la société ce qui va peser plus tard avec l'apparition de petites guerres civiles », dira Harbi. Si la culture du secret fera partie de la vie du PPA ayant activé dans la clandestinité, le FLN obéira à la ruralisation et à la militarisation massive de son encadrement, « au lieu d'être un arbitre, le pouvoir commande, ce qui fait que le FLN, et depuis 1957, a fonctionné selon la logique de comment avoir des dirigeants faibles et faire que ceux qui sont forts passent leur temps à mener des transactions les uns avec les autres », soutient l'historien qui note que cette logique s'éclipsera au lendemain de l'indépendance au profit de l'Etat-personne. « Quand on parle d'élite politique, il faut faire attention, une élite est censée recevoir sa source d'en bas, en Algérie c'est le contraire », précise Harbi en déplorant l'absence de transparence dans la sélection des élites. « Les attributions ministérielles ne sont pas de vraies attributions, les règles de fonctionnement de l'Etat on les trouve dans des groupes politiques qui reconduisent son mode de fonctionnement qui est l'autoritarisme. Un fonctionnement qui obéit à une conception patriarcale, intégriste et manichéenne de l'autorité politique », soutient Harbi. Se basant sur une étude effectuée sur les origines et itinéraires d'un échantillon de 100 ministres, le sociologue Nacer Djabi est arrivé à la conclusion que l'élite politique est loin de la réalité sociale. « C'est une élite tout ce qu'il y a de plus normal qui évolue dans un système politique anormal », note le professeur.