Les procès et les affaires souvent rapportés par les journaux en apportent la preuve. Tout un arsenal législatif et réglementaire anachronique hérité de l'ère socialiste existe à cet effet. Un arsenal juridique que les autorités politiques n'ont jamais voulu abroger en dépit d'une nette transformation de la société algérienne et de l'option pour l'économie de marché. Ils s'en serviront à volonté dès lors que le dirigeant de l'établissement bancaire sort du chemin qui lui a été tracé. A moins qu'il bénéficie de solides protections permettant de commuer la faute reprochée passible en simple erreur de gestion ne lui coûtant qu'un licenciement, le PDG d'une Banque publique sans appui ou lâché par les siens peut se voir appliquer les pires sanctions prévues par le code pénal. Même les erreurs et manquements des instances de supervision de la Banque d'Algérie peuvent lui être imputés et parfaitement passer dans nos tribunaux dirigés comme on le sait par des juges peu ou mal formés au mode de fonctionnement des sociétés par actions. Pourtant, l'appréciation des fautes de gestion sous l'angle du droit civil plutôt que du droit pénal est le traitement qui devrait le mieux convenir à un pays qui a choisi de bâtir son économie sur la libre entreprise, c'est-à-dire des sociétés par actions régies par le code de commerce. Et il faut bien savoir que du point de vue de la législation algérienne, les banques publiques sont considérées comme des sociétés par actions ayant pour actionnaire unique l'Etat. Sous le régime de la société par actions, le seul droit valable est le code de commerce qui, rappelons-le, place les actes de gestion inhérents à cette catégorie d'entreprises sous le régime de la responsabilité civile. Les banques publiques algériennes en faisant partie, seuls les détournements et les abus de biens sociaux sont passibles de poursuites pénales à la condition qu'ils soient portés à la connaissance de la justice par le commissaire aux comptes ou les conseils d'administration habilités. Le code de commerce interdit à tout organe autres que ceux qui sont expressément désignés (PDG, conseil d'administration, assemblée générale des actionnaires et commissaire aux comptes) de s'immiscer dans la gestion courante de la société ou d'y effectuer des contrôles. Seuls ces organes sont habilités à qualifier une erreur ou une faute de gestion et à saisir les tribunaux en cas de malversation flagrante d'un ou plusieurs gestionnaires de l'entreprise bancaire. Le contrôle des sociétés par actions doit nécessairement être effectué a posteriori, l'objectif étant de donner un maximum de liberté de gestion aux managers qui sont, faut-il le rappeler, jugés sur les résultats économiques et financiers qu'ils sont appelés à réaliser en vertu d'un contrat de performance qui les lie aux conseils d'administration de leurs banques. Se pose alors la question de savoir pourquoi les autorités algériennes persistent à faire coexister deux approches totalement contradictoire, l'une à caractère pénal et l'autre de droit civile, si ce n'est être manipulées au gré des conjonctures et des rapports de force. C'est en tous cas l'intime conviction des gestionnaires de banques qui en ont fait les frais de ce traitement bicéphale de l'acte de gestion, plus que jamais convaincus que la pénalisation de l'acte de gestion est une épée de Damoclès que le pouvoir en place veut constamment maintenir au-dessus de la tête des chefs d'entreprises. Prises de risques Il y a certainement du vrai dans cette affirmation. Sinon comment expliquer que les autorités algériennes n'aient jamais songé à abroger les lois héritées des années 80, l'occasion leur ayant été mainte fois offertes par le processus de réformes (lois sur l'autonomie des entreprises, promulgation du code de commerce), mais aussi et surtout à l'occasion de la modification du code pénal en juin 2001. La coexistence de deux législations, l'une moderne (code commerce) et l'autre archaïque (code pénal), permet aujourd'hui encore aux détenteurs du pouvoir politique d'infliger des sanctions pénales aux gestionnaires qui seraient pour une raison ou une autre dans leur collimateur. Et ce n'est évidemment pas ainsi que l'on pourra promouvoir l'autonomie des entreprises et encore moins l'excellence en matière de management. Tétanisés par la sagas des procès intentés à leurs collègues, les gestionnaires des banques publiques préfèrent adopter aujourd'hui une démarche exagérément prudente plutôt que de prendre un quelconque risque qui pourrait se retourner contre eux. Une attitude confortable qui sied à ces gestionnaires, qui demeurent, il est bon de le rappeler, des employés du secteur public ne percevant aucune gratification supplémentaire au cas où le risque qu'ils ont pris génère de gros bénéfices pour leurs banques. Faire le moins possible constitue dans ce cas l'attitude la plus sage, et le drame pour nos banques publiques serait de voir cette attitude défaitiste et passéiste se généraliser à l'ensemble des cadres. De ce fait, il est important et urgent de laisser libre court aux sociétés par actions, parmi lesquelles les banques publiques, de fonctionner selon la législation qui leur est propre. Cette législation existe, elle est fonctionnelle même si elle demande à être enrichie, notamment pour permettre aux organes de gestion et de contrôle habilités (administrateurs et commissaires aux comptes) de remplir convenablement leurs missions. Hormis les malversations sujettes au dépôt de plainte par le commissaire aux comptes, tous les autres actes de gestion ne devraient en principe relever que de la compétence des organes de gestion et de contrôle habilités. Les erreurs de gestion ne devraient donner lieu qu'à des sanctions disciplinaires (licenciement, rétrogradation, suppression de primes, etc.), les poursuites et les sanctions pénales devant être réduites aux seules affaires criminelles (détournement, corruption, abus de biens sociaux, etc.) portées à la connaissance des tribunaux par les commissaires aux comptes, tel que stipulé par le code de commerce en vigueur.