Deux films documentaires récents (2005 et 2007) et surtout deux ouvrages viennent de rappeler la grandeur de ce petit éditeur. Après avoir publié une bibliographie raisonnée et illustrée, Edmond Charlot, éditeur (Domens, mai 1995), Michel Puche préface une livre de Souvenirs d'Edmond Charlot, entretiens avec Jean-François Temple (Domens, février 2007), un poète du fonds et ami de Mohamed Racim. Edmond Charlot est entré dans l'histoire des belles-lettres en «inventant» un certain… Albert Camus et toute une pléiade d'écrivains regroupés autour d'une hypothétique «Ecole d'Alger», un cénacle d'amis plus qu'un mouvement ou un courant littéraire. Dans ce sillage, il devient l'éditeur des lettres françaises en exil lorsque Paris était sous occupation allemande, en publiant notamment L'Armée des ombres (1943) du résistant Joseph Kessel ou les Pages de journal (1939-1941) (1944) du défaitiste André Gide. Après 1945, Charlot jumela sa maison algéroise avec une autre parisienne, concurrençant sérieusement ses grandes consœurs, Gallimard et Grasset. Celles-ci étaient fort irritées par l'attribution de prestigieux prix littéraires (Renaudot, Femina) aux auteurs d'un confrère ayant eu l'audace de traverser la Méditerranée, avec en sus une prestigieuse revue littéraire, L'Arche. Le parisianisme et les réticences bancaires finissent par étrangler Charlot qui, après un dépôt de bilan, revient à Alger en 1950 pour n'éditer que quelques ouvrages et ouvrir une nouvelle librairie doublée d'une galerie d'art. Libéral pendant la guerre d'Algérie, sa librairie fut plastiquée par l'OAS à deux reprises en 1961 parce qu'il recevait son ami Himoud Brahimi * (lequel lui ramena un jour ses économies pour une éventuelle relance de la maison d'édition) et exposait Hacène Bénaboura*, grand Prix artistique de l'Algérie. Après l'indépendance, l'éditeur voulut poursuivre mais les autorités de l'époque le dissuadèrent, ayant opté pour une politique monopolistique du livre… Il quitta l'Algérie en 1969, laissant une de ses parentes, Mme Charlot, diriger sa première librairie jusqu'au début des années 1990. Située au 2 bis, rue Hamani (ex-rue Charras), ce lieu de lecture n'a pas perdu de sa dénomination initiale, Les Vraies richesses, puisqu'il se métamorphosa — et c'est heureux de le souligner — en bibliothèque municipale. Jusque dans les années 1970, la pancarte qui ornait la vitrine était restée, enseignant sentencieusement ce qui suit : «Un homme qui lit en vaut deux.» Dans cette minuscule librairie, Camus rédigea une partie de L'Etranger et on a vu défiler de grands auteurs, tels Saint-Exupéry qui, entre deux missions aériennes, acheva à Alger Le Petit Prince. Avisé, Charlot s'est très tôt intéressé aux écrivains algériens. Il publia les Chants berbères de Kabylie (1946) de Jean Amrouche (lequel joua un rôle considérable dans la gestion de l'entreprise et de la revue) ainsi que le premier roman de sa sœur, Marie-Louise Amrouche, Jacinthe noire (1947). L'éditeur reprocha à son ami Mouloud Feraoun de ne pas lui avoir soumis Le Fils du pauvre, objet d'une fin de non-recevoir de la part du seul Amrouche qui n'informa point Charlot. Toutefois, ce dernier commercialisa, sous son nouveau label, Rivages, le stock invendu du livre publié à compte d'auteur en France. Charlot faillit aussi publier le premier recueil poétique de Jean Sénac, Terre possible, et La Grande maison de Mohamed Dib, que seules les lancinantes contraintes financières empêchèrent. Sur la base de fines questions, l'éditeur relate avec pudeur et sérénité son itinéraire et ses pérégrinations autour de la Méditerranée (Algérie, Maroc, Turquie). Vers la fin de sa vie, Charlot ouvrit une ultime librairie-maison d'édition à Pézenas (sud de la France), une ville-foire où l'obscur Jean-Baptiste Poquelin devint véritablement l'illustre Molière. Avec le grand âge, cet «homme qui attirait les livres» sans en devenir riche céda son fonds à Jean-Claude Domens, un autre passionné qui poursuit l'esprit méditerranéen, en éditant particulièrement l'œuvre de notre compatriote Arezki Métref (dix titres parus). Himoud Brahimi, dit Momo, fut à la fois une grande figure et le chantre de La Casbah. Mohamed Zinet lui donna une consécration nationale et internationale en lui faisant jouer son propre rôle dans le film Tahia Ya Didou. Hacène Bénaboura (1898-1960), peintre algérien, classé parmi les peintres naïfs. Ses œuvres ont été exposées le mois dernier au Musée national des Beaux-Arts d'Alger.