En 1987, Edmond Charlot accordait � son ami po�te Fr�d�ric Jacques Temple une s�rie d�entretiens. En hommage au libraire-�diteur alg�rois disparu en avril 2004, les �ditions Domens les r��ditent sous le titre, Souvenirs d�Edmond Charlot, pr�fac� par Michel Puche, son biographe. Un document pr�cieux � bien des �gards. T�moignage d�un acteur et animateur d�un demi-si�cle de vie culturelle et artistique entre Alger et Paris, cet hommage nous r�v�le un homme vou� tout entier � ses deux passions, le livre et l�amiti�. C�est d�ailleurs cette intimit� du dialogue qu�il choisit pour se livrer, plut�t que des m�moires, exercice qu�il refuse au m�me titre que l��criture : �Je ne suis pas �crivain. Et puis �crire m�ennuie.� Trop humble pour se risquer � cette pratique : �La renomm�e, je n�y crois pas une seconde.� Et trop curieux du pr�sent, trop avide de projets pour se pencher sur son pass�. Fr�d�ric-Jacques Temple, po�te, romancier, traducteur entre autres des �uvres de Miller et de Tennessee Williams, sait � merveille stimuler les souvenirs de son ami. Il nous entra�ne � sa suite dans cette histoire litt�raire des deux rives qui s�affirme dans l�universalit�. �Je dois avoir une vocation, je crois que j�attire les livres.� Si Edmond Charlot doit � son grand-p�re maltais son go�t des livres, c�est Jean Grenier, son professeur de philo � Alger en classe de terminale, qui sera � l�origine de la cr�ation en novembre 1936 de sa librairie Les Vraies Richesses. Une place � prendre dans Alger o� la vie culturelle est alors assez pauvre. Ce local minuscule concentre � la fois un cabinet de pr�t et un lieu d�exposition. Et comme Charlot ne con�oit pas l�activit� de libraire ind�pendante de celle d��diteur, Les vraies Richesses vont devenir le rendez-vous des �crivains et lecteurs de litt�rature. C�est ce c�t� artisanal de l��dition qu�il affectionne, ce contact entre �fabricant et consommateur�. Jean Grenier, son voisin � Hydra, le conseille et l�encourage. Les quelques centaines d�abonn�s deviennent vite ses lecteurs et les livres de Grenier, ceux de Camus parmi les premiers publi�s. Il oriente d�instinct sa ligne �ditoriale vers la M�diterran�e et cr�e en 1939 la revue Rivages, revue de culture m�diterran�enne. Son regret demeure de ne pas avoir publi� Dib, Mammeri, Feraoun, �mais � l��poque, on ne les connaissait pas�. Entre 1936 et 1948, il publie Camus, Gide, Philippe Soupault, Max-Pol Fouchet, Jules Roy qui dirigeront chez lui des collections, et encore Robl�s, Jean Amrouche, Garcia Lorca, Joseph Kessel, Arthur Koestler, Vercors� Toutes ces rencontres, il nous les restitue � travers ses entretiens. Comment il d�couvre avec Camus, en 1936, les premiers Kafka, les premiers Faulkner. Camus, encore, s�installant spontan�ment dans un petit bureau jouxtant le sien pour se plonger dans l��criture. Camus toujours qui, apr�s la d�couverte des Nourritures terrestres de Gide, re�oit comme une r�v�lation cette certitude qu�il peut et qu�il doit �crire. Apr�s le d�barquement am�ricain en 1942, il devient l��diteur de la France libre, soutenant ouvertement ceux qui r�sistent, ce qui lui vaut en f�vrier de la m�me ann�e une mise au secret � Barberousse en tant que �pr�sum� gaulliste, sympathisant communiste �. Tout ce qui compte alors dans le monde des id�es se croise entre Tunis et Alger, les intellectuels mais aussi les politiques, Vincent Auriol, Mend�s France, Edgar Faure. Edmond Charlot nous raconte Gide faisant des tours de cartes ou jouant aux �checs avec Saint-Exup�ry, l�adieu � Kessel de l�aviateur �crivain. Il �voque ses propres d�boires avec les d�put�s communistes qui demandent � la chambre sa comparution devant les tribunaux militaires pour avoir r�imprim� Le Silence de la mer de Vercors � 25 000 exemplaires �puis�s en 8 jours, rien qu�en Alg�rie. Puis, ce sont les projets �ditoriaux inaboutis avec le peintre et enlumineur au destin tragique Mohammed Racim. Et tant d�autres moments sauv�s de l�oubli. Pour chacun de ses amis, il a le mot, la formule g�n�reuse : Philippe Soupault �l�amiti� faite homme�, Max-Pol Fouchet �un orateur-n�, l�homme de presse Marcel Sauvage �un merveilleux ami�� L�apr�s-guerre n�en est pas moins glorieuse pour l��diteur qui publie � cette �poque 12 � 15 volumes par mois � Camus, Robl�s toujours, Jules Roy, Bosco, Koestler � et qui poss�de sous contrat presque toute la litt�rature italienne. Les prix litt�raires affluent et les concurrents parisiens redoublent d�animosit�. C�est le d�p�t de bilan et le retour � Alger. Des succ�s toujours jusqu�� l�ultime explosion de haine, le plasticage des Vraies Richesses par l�OAS en 1961 qui laisse en ruine la librairie, le stock et les archives. Homme de culture, Charlot sillonne alors la M�diterran�e, charg� de mission sous les ordres de Stefan Hessel, Alger, Izmir, Tanger jusqu�� sa retraite en 1980 o� il s�installe dans le sud de la France, � P�zenas, cit� du livre et de Moli�re. Il am�nage une boutique au rez-de-chauss�e de sa demeure, y vend des livres, divers objets et publie sous le nom de Haut Quartier, dans la collection M�diterran�e vivante, S�nac et Jules Roy. Il c�dera plus tard sa collection � cet autre libraire-�diteur de P�zenas, Jean-Charles Domens qui publie aujourd�hui les �uvres de notre confr�re, l��crivain journaliste Arezki Metref. Quand on l�interrogeait � la fin de sa vie sur sa carri�re d��diteur, il r�pondait : �Une carri�re manqu�e comme toutes les carri�res interrompues.� Il meurt sans avoir r�alis� les grands projets qu�il esp�rait, une collection de romans policiers, une collection �Le Sina� avec Albert Memmi. Marqu� par l��chec d�une �amiti� litt�raire collective�, il avoue avoir nourri l�espoir en venant � P�zenas de voir se lancer dans l��dition des jeunes � qui il aurait conseill� d��tre d�abord libraires puis de se fier � l�instinct. Avec plus de 400 ouvrages publi�s, ouvrages majeurs de notre temps, Edmond Charlot restera celui dont Jules Roy �crivait : �Charlot �tait comme la porte g�n�reuse par laquelle on entrait dans le monde de l�esprit. � Meriem Nour Souvenirs d�Edmond Charlot, Editions Domens, P�zenas, janvier 2007.