Il soulignait que la colonisation a été une domination étrangère imposée aux populations autochtones, qu'elle a été destructrice des sociétés et des cultures. Mais sans céder à la démagogie de la «colonisation positive», il refusait de faire des Français de Nouvelle-Calédonie des boucs émissaires en montrant la diversité des raisons de leur émigration, de leur condition et de leurs comportements. Peut-être notre classe politique, si elle en a le temps, devrait-elle lire le manuel d'école primaire issu de ces accords et qui s'efforce d'aider les enfants des diverses communautés à élaborer un devenir commun. Quant aux historiens, ils doivent crier casse-cou. Casse-cou contre l'article 3 de la loi du 23 février 2005 «portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés», qui crée une «Fondation pour la mémoire de l'Algérie et des combats d'Afrique du Nord», dont les fonctions prévoient des interventions dans l'enseignement. Singulier si l'on pense aux guerres de mémoires qui continuent à opposer rapatriés, harkis, anciens du contingent, activistes de l'OAS, immigrés et anticolonialistes ! Singulière fondation sur laquelle un rapport de faisabilité déposé en juin 2005 n'est toujours pas publié. Le risque est grand de voir les maigres crédits attribués aux universitaires détournés vers cette fondation, où des associations représentant des nostalgiques extrémistes de l'Algérie française chercheraient, comme pour le mémorial de la France d'outre-mer à Marseille, à imposer leur point de vue et leur pouvoir. Fondation portée par un ministre des Anciens combattants qui traite les historiens ayant réclamé l'abrogation de l'article prétendant imposer l'enseignement du «rôle positif» de la colonisation de «spécialistes auto-proclamés» et de «pseudo historiens». Ce risque est d'autant plus grand que dans sa lettre au Clan (Comité de liaison des associations de rapatriés), M. Sarkozy prône une révision de l'histoire au profit de ce courant. Dans une phrase ambiguë, il affirme même qu'il est hors de question de «réécrire notre histoire avec l'Algérie». Depuis quand écrire l'histoire relève-t-il du pouvoir présidentiel ou d'un ministre dans une démocratie qui se respecte ? Les études historiques en France, par tradition depuis plus de deux siècles (la fin du Second empire, sauf sous Vichy), ne sont pas soumises aux décisions du pouvoir. Or une fois de plus, après la loi du 23 février 2005, les mêmes prétendent dicter leur copie aux historiens. Casse-cou aussi contre ceux qui s'obstinent, sous prétexte d'anticolonialisme, à assimiler coloniser et exterminer, à réduire la colonisation à un crime contre l'humanité, le colonisé au statut de «victime absolue», c'est-à-dire à considérer le FLN et le pouvoir algérien comme au-dessus de toute critique. Casse-cou encore contre ceux qui oublient la belle formule d'Anatole France selon qui nous devons notre compassion aux victimes et la vérité aux vivants. La demande par des associations de rapatriés d'accorder le statut de «morts pour la France» aux manifestants du 26 mars 1962 rue d'Isly à Alger, victimes d'une fusillade par les forces de l'ordre, est d'autant plus inacceptable qu'on a refusé ce statut à des enseignants chargés des centres d'éducation sociale, assassinés par l'OAS le 15 mars 1962, tels Feraoun, Ould Aoudia et Max Marchand. Ce n'est pas une raison pour faire de la rue d'Isly une «manifestation insurrectionnelle» (site de la LDH de Toulon). Faut-il rappeler que les manifestations du 17 octobre 1961 et de Charonne le 8 février 1962 étaient elles aussi interdites ? Il est temps d'en finir avec les manichéismes affrontés ! Les participants d'Isly ont été victimes aussi bien de provocations de l'OAS, qui les a appelés à débloquer le quartier de Bab El Oued où étaient piégés ses commandos, que du cynisme de la politique gaulliste. Le gouffre entre les études historiques et la crise des mémoires de notre société (comme de la société algérienne) appelle un effort de notre métier et d'abord l'exigence de la liberté totale de la recherche et de l'enseignement, d'un travail en commun des spécialistes des deux rives. Si les candidats souhaitent vraiment apaiser les conflits de mémoire qui déchirent la société française et les risques de communautarismes opposés, ils doivent s'engager à ne pas mettre en cause l'indépendance de l'histoire à l'égard du pouvoir. A chacun son métier.