La célébration du 29e anniversaire du printemps berbère, couplée au 8e anniversaire des événements du printemps noir, s'annonce sous des auspices frappés d'un sacré paradoxe. Au moment où le pouvoir politique consolide son assise hégémonique, comme l'illustre le plébiscite à des taux brejnéviens de l'homme qui le représente, la revendication réprimée dans la violence en avril 1980 s'offre les tribunes officielles et intègre le calendrier national des dates ayant reçu l'onction bienveillante des farouches gardiens de l'unité et des « constantes nationales ». On ne voit plus d'un œil mauvais aujourd'hui, du moins sur la forme, que l'on reparle de l'identité amazighe et que l'on se remémore la longue liste des sacrifices consentis par des générations de militants. Bien plus, les salles de conférences et les halls des maisons de la culture sont grands ouverts aux expositions et autres débats célébrant l'héroïque soulèvement de ceux qui ont pourtant été damnés des décennies durant par les tenants de la pensée unique et du pouvoir autocratique. La revendication identitaire a, certes, fait du chemin et a imposé sa légitimité par la force et de coûteux engagements. Faire la fine bouche sur ce plan équivaut en effet à remettre en cause l'abnégation et le courage de contingents de militants forgés dans l'adversité la plus délétère. Mais tout se passe aujourd'hui comme si la grande opération de normalisation et d'élagage politique des saillies revendicatives dans la société, lancée tous azimuts par le pouvoir, a atteint jusqu'à la substance même de ce combat d'émancipation fondateur et dont on oublie souvent qu'il a été porteur surtout d'un rêve de refondation démocratique. L'élan formidable d'avril 1980 tend ainsi à être réduit, au mieux, à un sursaut générationnel contre le déni identitaire, sinon à une compréhensible exigence « socio-linguistique » injustement brimée par l'idéologie stalinienne post-indépendance. Avril 2001 ? L'expression radicale d'un marasme social qui trouvera sa solution dans des plans de développement spéciaux pour la Kabylie. Exit donc la possibilité d'offrir des prolongements politiques à la revendication, comme ont tenté de le faire les artisans du printemps berbère. Ce n'est sans doute pas un hasard que la quasi-totalité de ces militants se retrouvent encore, 29 ans après, pour les plus coriaces d'entre eux, à crapahuter sur les chemins ingrats de l'opposition, lors même où la Kabylie est conviée à festoyer et à « tourner la page ». L'histoire est un éternel recommencement, dispose l'adage, et l'on a vu le même groupe politique qui structure globalement la substance symbolique d'avril 1980 se faire traiter de traître pour avoir appelé au boycott de l'élection du 9 avril dernier, comme il le fut lorsqu'il a impulsé les événements qui ont suivi la fameuse interdiction de la conférence de Mouloud Mammeri à Tizi Ouzou. C'est là une autre prouesse du pouvoir politique qui réussit ainsi à bouter sur la touche des hommes et des courants politiques qui ont porté un combat pour subrepticement, et moyennant une œuvre de récupération au long cours, s'octroyer les mérites de l'œuvre de « réconciliation avec soi-même ». A y regarder de près, bien au-delà du paradoxe, c'est un instantané révélateur des mœurs et mode de gestion politiques que donne à apprécier ce double anniversaire. L'opposition démocratique n'est plus seulement traquée sur l'espace public et médiatique. Il s'agit désormais de s'approprier son patrimoine symbolique et ses mythes fondateurs pour achever de la neutraliser.