-Quelle appréciation pouvez-vous faire du travail des enfants dans notre pays ? Il n'y a quasiment pas de statistiques officielles, ou plus ou moins fiables, sur ce phénomène au niveau dans notre pays et plus particulièrement à Bouira, une wilaya où le phénomène est toujours perçu comme un sujet tabou, mais dont les proportions sont pour le moins alarmantes. L'exploitation des enfants est une réalité criante. Il s'agit principalement de ramassage de déchets de récupération (cuivre, caoutchouc…), la cueillette des fruits et légumes, les parkings clandestins, le commerce informel, (tables de tabac ou autres…) la vente de galette sur les routes, les marchands ambulants… Certaines familles vont jusqu'à louer leurs enfants à des mendiants pour apitoyer les citoyens. Ce sont là des exemples parmi tant d'autres qui dévoilent l'ampleur catastrophique du fléau. En tant qu'inspecteur de l'éducation, dans quelles limites sont situées vos interventions, notamment pour ce qui est de la prévention et de la sensibilisation ? Nous intervenons au niveau des écoles qui dépendent de notre circonscription. Quand l'enfant est dit faible et n'arrive pas à suivre avec sa classe, il est intégré dans une classe spéciale avec un enseignement adapté. Sinon une troisième solution se présente : il est orienté vers les centres d'alphabétisation ou les centres ou instituts de formation professionnelle. Notre tutelle, la D.E., est évidemment informée. Sinon, pour ce qui est de la sensibilisation, seul moyen viable pour faire barrage à l'ascension de ce qui convient d'appeler « l'esclavage moderne », des rencontres sont organisées au profit des enseignants afin de mieux les orienter dans le sens de mieux appréhender le phénomène. D'ailleurs, le ministère de l'Education nationale, a même intégré dans les programmes un cours introductif relatif à ce sujet. D'autre part, la tutelle a instauré une séance d'un quart d'heure quotidiennement, portant éducation morale. Cette séance peut être exploitée par les enseignants pour la sensibilisation au sujet du travail des enfants. Cependant, et pour ce qui est des efforts, il convient de rappeler que la lutte contre ce fléaux dépasse de loin les limites du secteur de l'éducation, ce qui nécessite l'implication de tous les secteurs, chacun dans son domaine de compétence. Dans quelle mesure intervenez-vous, dans le cadre de la réinsertion des élèves en abandon de scolarité ? Nous avons notre travail, mais la société civile (associations de protection de l'enfance, de parents d'élèves…) a aussi un rôle très important à jouer. Dans le cas d'abandon définitif et de toutes les options de formation, (cursus scolaire, alphabétisation, formation professionnelle…), la législation donne le droit à tout responsable de l'éducation, à quelque niveau que ce soit, de déposer plainte contre les parents et/ou tuteurs qui seraient coupables d'un quelconque manquement à la règle. Cependant, faut-il déplorer le manque d'un mécanisme de suivi à tous les niveaux, notamment au niveau des services d'état civil des communes, et par une prise en charge à la base des cas d'enfants non scolarisés à dessein, que ce soit par leurs parents ou autres tuteurs légaux. Quelles démarches peuvent être enclenchées pour amener certains parents à scolariser obligatoirement leurs enfants ? D'abord, j'insiste, il y a un travail de coordination à faire impérativement avec les APC, en matière de recensement des effectifs à scolariser et de statistiques relatives aux familles démunies. Dans ce cas comme dans le cas d'enfants qui abandonnent l'école, nous devons chercher les raisons de cet abandon. Il s'agit en général de familles démunies, mère divorcée… c'est-à-dire dans la majorité des cas : le père ne travaille pas ou disparu. Nous essayons à tout prix de faire reprendre l'école à cet enfant. Dans une première étape, les parents ou les tuteurs sont convoqués en vue de les amener à « renvoyer » leur enfant à l'école, et souvent ça marche, et l'enfant est réintégré. Mais il faut toujours savoir s'y prendre et surtout réagir à temps. Pour cela, des orienteurs spécialisés en psychologie de l'enfant sont mis à la disposition des établissements de l'éducation, notamment au niveau des collèges et lycées, dont la mission est de traiter les enfants concernés au cas par cas. L'objectif étant bien sûr de mieux les préparer pour une réintégration efficace et porteuse.