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Festival de Cannes : une si longue présence
Publié dans El Watan le 17 - 05 - 2007


Evoquant son expérience personnelle de juré du festival, le cinéaste français Claude Lelouch— palme d'or en 1966 avec Un homme et une femme — a rappelé que des pressions existaient pour attribuer la récompense suprême à un réalisateur déterminé par avance. En 1967, le cinéaste italien Antonioni n'avait accepté de se déplacer à Cannes que s'il obtenait de la direction du festival la garantie de recevoir la palme d'or. Lelouch raconte, dans Ce soir ou jamais, sur France 3, que membre du jury en 1967 il avait refusé les injonctions de Favre le Bret et démissionné pour rester fidèle à sa conviction que le film d'Antonioni ne méritait pas la palme d'or. Il fallait à cette époque que les dirigeants du festival de Cannes fassent preuve de beaucoup de diplomatie et d'un sens aigu du compromis. Le cinéaste français Alain Resnais a fait les frais de cette politique, car nombre de ses films pressentis pour le festival de Cannes en ont été écartés, car ils étaient susceptibles de créer des incidents avec des puissances étrangères. Ainsi ses films La guerre est finie, Hiroshima mon amour ou Muriel n'avaient-ils pas été retenus sur demande des Espagnols, des Américains et même des Français, car un film comme Muriel était implicitement consacré à un thème tabou en ces temps-là, la guerre d'Algérie. Alain Resnais était si peu en odeur de sainteté sur ce thème que son film, L'année dernière à Marienbad, fut également refusé sur intervention des autorités politiques françaises qui n'oubliaient pas que le cinéaste avait été l'un des signataires du Manifeste des 121 contre la guerre d'Algérie. Agé aujourd'hui de 85 ans, Alain Resnais est l'incarnation d'une expression intelligente qui transcende le cinéma, même si ce moyen a été pour lui un moyen de dire sa vérité — à la fois militante et philosophique — sur l'état du monde. C'est une carrière exceptionnelle que celle de cet immense cinéaste qui mérite la reconnaissance universelle. Qu'aurait ajouté une palme d'or à cet extraordinaire itinéraire ? Alain Resnais appartient à cette génération de grands artistes qui se sont impliqués dans les causes humaines et ce concept d'engagement n'a rien à voir avec la nationalité. Il y a eu des cinéastes courageux et intellectuellement intègres, même à Hollywood. Et il faut d'ailleurs le démarrage du festival de Cannes pour que le nom de Dalton Trumbo soit cité dans une émission de télévision. Qui se souvient maintenant que l'Américain Dalton Trumbo avait été l'une des victimes de la chasse aux sorcières lancée par le sénateur Joseph McCarthy ? Il avait fallu l'intervention du cinéaste Jean Renoir pour que le film de Dalton Trumbo, Johnny got his gun, soit sélectionné par le festival de Cannes. Autres temps, autres mœurs, l'emprise des Etats ne s'exerce plus sur les dirigeants du festival de Cannes qui choisissent désormais librement les films en compétition. Mais la manifestation s'adapte aux normes de l'époque, car il ne s'agit pas d'opposer les générations mais de préserver la grande mémoire universelle du cinéma, mise à mal par la mondialisation. Il n'est évidemment pas question de disqualifier les jeunes cinéastes sous le prétexte qu'ils n'égaleraient jamais Bunuel, Bergman ou Carol Reed. Godard avait été l'un des jeunes cinéastes qui s'étaient insurgés contre l'académisme du cinéma français. Mais qui croit encore que la nouvelle vague, qu'il a si fortement incarnée, n'a pas échappé aux travers qu'elle entendait dénoncer ? Il faudra par exemple reparler de Pedro Almodovar dans dix ou vingt ans et on verra alors si ses films n'auront pas pris beaucoup de poussière, voire un coup de vieux. Si Hollywood a la réputation d'être une usine à rêves, Cannes est, par parallèle, tout autant une piste aux étoiles que l'esplanade des artifices, car tout ce qui y brille n'est pas or, pas même les palmes du même métal, car au bout du compte les critères de consécration dépendent beaucoup du facteur de subjectivité qui peut, chez des jurés, faire préférer un cinéaste à un autre. Ainsi le réalisateur grec Theo Angelopoulos a-t-il été récompensé contre toute attente lors d'une édition du festival de Cannes. C'était parce que son homologue américain Martin Scorsese ne voyait nul autre que le cinéaste grec être digne de la palme d'or.

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