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Protection des victimes des violations et abus
Publié dans El Watan le 25 - 06 - 2007

Dans son rapport, le professeur John Ruggie note que l'obligation de protection “lie” les Etats et constitue le “fondement du régime du droit international des droits de l'homme”. Tous les Etats ont l'obligation de respecter et faire respecter les droits de l'homme ainsi que celle de protéger toute victime des violations et autres abus des entreprises en matière de droits de l'homme. En dépit de cette obligation, les Etats manquent soit de volonté soit de capacité pour y faire face. Or, quand les Etats échouent dans la réalisation de leurs obligations, ce sont les mécanismes de la soft law et les initiatives volontaires qui s'y substituent. Et, tandis que ces mécanismes de soft law sont mis en oeuvre, cette “innovation considérable” se traduit par des initiatives volontaires. Or, celles-ci sont défiées et critiquées dans leurs dispositions relatives à la responsabilité. C'est, en bref, la conclusion principale du rapport du professeur John Ruggie ici résumée en quelques lignes, un rapport de 20 pages mais au contenu aussi dense que riche.
Ce rapport est le résultat du travail du professeur John Ruggie, dont le mandat(3) porte sur l'identification et la clarification des normes relatives à la responsabilité sociale et à la transparence des entreprises au regard des droits de l'homme. Par ce mandat, l'ONU a demandé au professeur “d'identifier et clarifier les normes internationales, le rôle et les pratiques, la responsabilité des transnationales et autres entreprises, ainsi que celles des Etats, eu égard aux droits de l'homme ainsi que les implications des concepts de complicité et sphère d'influence des transnationales dans leurs pratiques”. Le mandat inclut aussi la mission de “développer des méthodologies” et de “compiler les meilleures pratiques” en la matière.
Le rapport a été présenté en mars 2007 au nouveau Conseil des droits de l'homme. Il résulte de deux douzaines d'analyses et des résumés de trois forums régionaux. C'est ce qui constitue la base matérielle du rapport. Le représentant spécial des Nations unies avait, en outre, participé à différents séminaires et rencontres des parties prenantes sur les cinq continents, avait visité des sites de production de quatre secteurs industriels dans des pays en développement. Il avait aussi aidé à l'organisation de quatre groupes de travail d'experts et deux consultations de parties prenantes sur l'industrie extractive et les services financiers et engagé de multiples discussions tant avec des représentants d'institutions multilatérales qu'avec des envoyés gouvernementaux.
Les résultats du rapport focalisent sur cinq axes :
– Obligation de l'Etat de protéger les victimes
– Responsabilité des entreprises pour des crimes internationaux
– Responsabilité des entreprises pour d'autres violations des droits de l'homme en vertu du droit international
– Mécanismes de soft law (ou loi non impérative)
– Autorégulation.
Ces axes permettent de découvrir les normes et les pratiques régissant les responsabilités et obligations des entreprises.
Responsabilité
des entreprises
La responsabilité est définie comme étant celle des obligations juridiques, sociales et morales de l'entreprise. L'accountability (devoir de rendre compte) est quant à elle un mécanisme qui permet d'exiger de l'entreprise le respect de ces obligations. Le devoir de l'Etat de protéger les droits de l'homme “existe sur la base des conventions des Nations unies portant sur les droits de l'homme telles qu'elles sont interprétées par les organes des traités, ainsi que sur la base de la coutume internationale”. Malheureusement, les Etats apparaissent comme ne respectant pas leurs obligations, selon le rapport. Une autre conclusion centrale de ce rapport est la tendance actuelle du droit international vers une extension du concept de complicité. Cette extension a des conséquences sur la responsabilité pénale des entreprises, tenues pour directement responsables de crimes internationaux. Néanmoins, cette tendance n'inclut pas le domaine des “autres violations des droits de l'homme” n'atteignant pas le degré du crime. Selon John Ruggie, “ceci n'indique pas que les instruments internationaux des droits de l'homme analysés imposent une responsabilité juridique directe des entreprises”. Le développement initial du domaine incluant les droits de l'homme dans les activités des entreprises peut être trouvé dans un nombre important d'initiatives de soft law, des normes volontaires dites douces. John Ruggie trouve qu'il s'agit d'une “innovation considérable” malgré “d'évidentes faiblesses”, et que ces normes pourraient, avec le temps, se cristalliser sous forme d'impératifs exigibles.
Finalement, le rapport insiste sur les initiatives volontaires, mais alors que ces dernières montrent un potentiel assez riche en innovations, leur image globale reste fragmentaire et insuffisante par manque de consensus des différents acteurs.
En se basant sur ses propres résultats, John Ruggie conclut à la tendance vers l'extension de la complicité en matière de crimes internationaux, au développement des mécanismes de soft law. Il constate des lacunes dans l'engagement des Etats pour accomplir leur devoir de protection des droits de l'homme ainsi qu'une insuffisance des initiatives volontaires en tant que fondement de la RSE.
Les réactions et réponses au rapport du professeur John Ruggie ont principalement porté sur le devoir des Etats de protéger les droits de l'homme et sur la reprise des discussions autour du volontarisme en matière de RSE. Il y a accord quasi unanime sur le fait que les Etats sont les premiers concernés et que leurs carences sont une cause de grand souci. Tous les commentaires insistent sur la nécessité des mesures qui devraient être prises pour mettre fin à ces lacunes dans la protection par omission des droits de l'homme par les Etats.
Dans un article publié par The Guardian le 30 mars dernier, John Hilary écrit : “Ruggie rejette le blâme sur les gouvernements.” Cette remarque est communément soutenue par des ONG telles la Commission internationale des juristes, ESCR-Net, Human Rights Watch, etc., lesquelles appuient totalement le point de vue de John Ruggie : les Etats ne respectent pas leurs engagements. “La régulation nationale de la conduite des entreprises par rapport aux droits de l'homme n'est souvent pas satisfaisante et les victimes des violations des droits de l'homme par les entreprises n'ont généralement pas ou peu d'accès à la justice.” Elles recommandent aux Etats de faire beaucoup plus pour réguler les activités des compagnies et de
permettre aux victimes d'accéder à la justice.
Le résultat du rapport a déjà donné lieu aux pressions exercées par des ONG sur les Etats en raison de leurs négligences. Dans un communiqué de presse du 28 mars, l'organisation de lutte contre la pauvreté War on Want prend ce rapport comme point d'appui pour sa critique du gouvernement britannique, lequel est parmi les Etats celui qui n'a pas répondu adéquatement aux défis et exigences des conventions internationales des droits de l'homme. Quant au débat sur les persectives du volontarisme, les points de vue sont plus divers. D'une part, un certain nombre d'entreprises, sous la férule de la Chambre internationale de commerce, soutiennent le principe du volontariat dans le domaine des droits de l'homme. Le représentant de la CIC basé à Paris, Stefano Bertasi, écrit sur le Financial Times du 9 mars 2007 que le rapport “confirme le rôle primaire de l'Etat, non des entreprises, pour la protection des droits de l'homme”. D'autre part, une large fraction des ONG supporte la demande de ActionAid pour des “mesures musclées”. Dans un article paru sur Ethical Corporation le 4 avril 2007, sir Geoffrey Chandler appelle au débat “dans la polémique entre les partisans des mesures volontaires et ceux des mesures obligatoires, l'histoire prouve que le volontarisme n'a jamais fonctionné et que la loi seule n'est pas la solution satisfaisante pour contrôler une activité aussi complexe que le business”. Pour John Hilary, “une chose est claire (…) la communauté internationale – et en particulier les Nations unies – doit travailler pour un cadre approprié de normes obligatoires afin de protéger les victimes contre des violations de droits de l'homme par les entreprises. L'autorégulation volontaire n'est pas une option”. Les représentants des gouvernement au conseil des droits de l'homme des Nations unies ont également réagi au rapport de John Ruggie. A travers les réponses officielles, deux perspectives apparaissent. Les USA et le Royaume-Uni (RU) sont tous deux pour une approche volontaire. Le représentant du RU déclarait que le Global Compact des Nations unies est supposé combler l'insuffisance dans différents secteurs des affaires en matière de normes internationales. Warren W. Tichenor soutenait que “les USA restent favorables aux initiatives volontaires concernant la RSE des entreprises dans différents secteurs à travers le monde”. Contrairement au RU et aux USA qui supportent le volontarisme, Mustafizur Rahman a mis l'accent sur le lien entre les entreprises transnationales et les violations des droits de l'homme, disant que si ce domaine n'est pas convenablement pris en charge, les effets positifs de la globalisation disparaîtront. Son pays, le Bangladesh, défend cette idée et supporte la nécessité d'un instrument obligatoire de régulation. L'explication possible d'une telle différence de points de vue réside peut-être dans le ”pouvoir” attribué aux entreprises en tant qu'acteurs internationaux. Les plus grandes entreprises du RU et des USA ont des pouvoirs immenses et croient qu'il est de leur intérêt de limiter au minimum toute régulation en la matière. Elles trouvent que des normes seraient en contradiction avec leurs intérêts alors qu'elles cherchent à maintenir leurs bénéfices réalisés au moindre coût dans les pays du tiers monde. Ceci explique aussi la position de la Chambre internationale de commerce en Chine au sujet des normes de travail, où une législation proactive risque de léser la flexibilité des entreprises et accroître les coûts de production. Néanmoins, malgré ces divergences, un consensus peut être trouvé. On constate que ce rapport laisse au moins une porte ouverte au dialogue, alors que la discussion se trouvait auparavant dans une impasse.
“Avec l'indisponibilité de l'ange Gabriel, le choix sur le professeur John Ruggie était excellent. Ruggie a rempli son mandat avec une compétence consommée, répondant promptement et toujours poliment aux nombreux messages qu'il a reçus (…) Il a eu besoin de patience et de finesse pour orienter entre le Scylla de l'hostilité des entreprises et le Charybde du manque de réalisme des ONG.” C'est avec ces mots que sir Geoffrey Chandler salue le rapport dans son article précité.
Conclusion
En conclusion, John Ruggie a peint un excellent tableau de la RSE contemporaine par rapport aux droits de l'homme, une image principalement noire qui inclut toutefois des points de lumière. Considérant que l'utilisation par Rembrandt de la lumière apporterait à ses travaux la grande renommée qu'il a obtenue, nous pouvons espérer que la communauté internationale accélère sa conscientisation et s'assure que les points de lumière contenus dans ce rapport donneront vie à la création rapide d'un chef d'oeuvre contemporain. La lecture de ce rapport est fortement recommandée. Avec ce travail, Ruggie a créé les conditions requises pour sortir d'une situation insoutenable.
Cependant, son mandat, quoique prolongé d'une année, demeure au centre d'une confrontation entre intérêts politiques et économiques divergeants et exigera la grâce diplomatique. Ruggie a réalisé ce qui peut sembler être un point de départ idéal. Plusieurs Etats montrent de l'intérêt pour le sujet. Le monde des entreprises semble opter pour le pragmatisme après que l'exigence de “normes” obligatoires ait été rejetée. Les ONG gardent, malgré un certain scepticisme, la porte ouverte au dialogue. Juste après la prolongation de son mandat pour une année, le professeur John Ruggie a demandé, le 1er mai, en s'adressant aux organes des Nations unies, de l'informer des violations des droits de l'homme par les entreprises à travers le monde. L'espoir est donc permis et permet d'échapper au choix initial : une RSE obligatoire ou basée sur l'initiative volontaire. Nous avons quant à nous toujours défendu la différence entre responsabilité sociétale des entreprises (Corporate Social Responsibility), qui implique le respect des normes obligatoires existentes, et la Corporate Opportunities fondée sur l'initiative volontaire et allant au-delà de ce qui est déjà obligatoire.
Notes
(1) Editorial Sous le titre “Inadequate Human Rights Measures”, Business and Human Rights, no. 5, may 2007 Lawhouse.dk; voir aussi à : www.lawhouse.biz
(2) Rapport à consulter :
http://www.business-humanrights.org/Documents/SRSG-report-Human-Rights-Council-19-Feb-2007.pdf
(3) La création de ce mandat avait été demandée par la commission des droits de l'homme des Nations unies dans sa résolution 2005/69 et approuvée par le conseil économique et social le 25 juillet 2005.


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