Au plan externe, l'Afrique - bien que démunie d'une véritable monnaie d'échange (hormis une ouverture plus grande de son marché et une déréglementation plus forte de l'investissement étranger) - doit gagner la coopération des pays développés au sein d'un véritable partenariat pour le codéveloppement, la misère de l'Afrique n'honorant pas l'humanité et ne servant pas à terme les intérêts des pays du Nord. L'Afrique devrait persuader ces derniers : d'ouvrir à nouveau le dossier de la stabilisation des prix des produits primaires à un niveau satisfaisant. Est-il équitable que la tasse de café servie dans un café européen, au prix de 2 ou 3 euros ou plus ne rapporte que quelques centimes au paysan africain ? Est-il équitable que les marges commerciales (qu'accaparent les firmes des pays développés) sur les seuls produits primaires puissent atteindre de telles proportions ? Le libre-échange sans un minimum d'équité est-il acceptable ? La question du « juste prix », présente dans les écrits des théologiens des grandes religions, est donc toujours d'actualité. Car, comme l'écrit G. Schröder, chancelier allemand, l'Afrique ne pourra continuer à se développer que si elle peut proposer ses produits sur les marchés mondiaux à « des conditions équilibrées »(3). Celles-ci appellent l'organisation des marchés et donc de mécanismes redistributifs. A la mondialisation, on ne saurait associer la seule efficience économique, comme le font les protagonistes du « laisser-faire, laisser-aller » ; dès lors qu'elle accentue l'interdépendance des nations, il est normal qu'elle véhicule plus de solidarité internationale et de redistribution du revenu mondial ; de mettre fin aux subventions massives à leur agriculture qui faussent la concurrence. A titre d'illustration, les Etats-Unis, la Chine et l'Europe aident la culture du coton aux dépens, entre autres, de pays africains du Sahel dont une grande partie de la population vit de ce produit agricole d'exportation. La compétitivité de l'Afrique sur certains produits agricoles est remise en cause par les politiques agraires des pays développés ; il n'est donc pas étonnant que la Cnuced réclame, en 2004, la « cessation rapide des mesures de soutien à l'agriculture qui portent atteinte aux pays les moins développés » ; de fluidifier l'accès des produits agricoles et industriels africains à leurs marchés, à l'horizon 2005, comme s'y est engagé le G8, en 2002. Présentement, les marchés africains sont excessivement ouverts, déréglementés sous la pression du FMI et au prix d'un marasme industriel dans certains pays (Algérie, Kenya, Zimbabwe, etc.) et d'une paupérisation inquiétante des travailleurs, soulignée par l'Organisation internationale du travail (OIT) ; il est donc naturel que l'Afrique attende de ses partenaires (qui subventionnent implicitement ou explicitement certaines de leurs branches) la même ouverture des frontières ainsi que la possibilité, en cas de besoin, de protéger, temporairement, sa jeune industrie, son « industrie naissante » (conformément à la doctrine libérale). C'est dans ce sillage qu'en 2000, les Etats-Unis adoptent l'Africa Growth and Opportunity Act qui abolit toute taxation et toute restriction quantitative sur plus de 180 produits africains ; cette mesure profite spécialement à l'industrie textile du Kenya et du Lesotho. En posant ainsi la problématique de la dette et du développement, nous revenons simplement au « leitmotiv » lancé, en 1964, par la Cnuced : « Trade but not aid ». Cependant de sérieux écueils attendent cette démarche. D'un côté, il y a de fortes possibilités pour que les pays africains (enjeux d'influences géostratégiques diverses et divergentes, minés par une propension à la mésentente) ne soient pas convaincus du besoin de promouvoir l'intégration économique, ne s'accordent pas sur le principe de la stabilisation des prix à l'exportation, rejettent toute forme de coordination des politiques de développement et soient tentés de persister dans la course facile aux financements extérieurs. Face à ce continent africain, plus divisé que ne le suggèrent les apparences, il est probable que les pays créditeurs récusent ces propositions hétérodoxes, en brandissant (comme à l'accoutumée) la prééminence obligée du marché et du libre-échange (même si dans leurs propres pratiques domestiques, les règles du marché n'ont droit de cité que si elles ne portent pas préjudice à des équilibres économiques et sociaux pré-déterminés politiquement). Par ailleurs, les pays créanciers ont tout intérêt à acquérir, à bon marché, les produits primaires, à défendre leur emploi susceptible d'être menacé par des produits du Sud et à ne pas envisager que les balances des opérations courantes africaines deviennent positives, car une telle évolution n'est pas arithmétiquement possible sans détérioration, à terme, des balances courantes de leurs partenaires commerciaux et financiers. Dans un tel contexte (qui perpétuerait l'actuel cours des choses), force est d'admettre qu'il n'y aurait plus aucune chance que l'Afrique émerge, avant longtemps, du cycle infernal de l'endettement et devienne un continent où les échéances qui tombent sont réglées honorablement par les Etats nationaux. L'autre bouée de sauvetage, que peut espérer l'Afrique, réside dans l'investissement direct international, susceptible de diversifier (en longue période) la composition de ses exportations, de générer une structure des exportations plus convenable, résistant mieux aux chocs externes. C. L'attraction de l'investissement direct international L'avantage de l'investissement direct étranger (par rapport à l'emprunt) est qu'il ne secrète pas d'obligations de remboursement à date fixe ; il peut véhiculer aussi un apport de technologie moderne. Son expansion, trait saillant de l'économie internationale depuis quarante années, participe amplement au processus de mondialisation, commerciale et financière ; intéressé par une trentaine de pays seulement, où sont déjà établies la quasi-totalité des firmes transnationales, il évite l'Afrique. Celle-ci doit effectuer les transformations à même de rassurer le capital étranger et de le convaincre à s'investir chez elle, où la profitabilité est relativement élevée. Ces transformations constituent la seule parade positive à la surenchère, sans limite, aux incitations financières et aux incitations fiscales dont il bénéficie, d'après la Cnuced, dans les pays développés (et aussi dans d'autres pays en développement). Pour séduire le capital international (et même l'initiative privée locale), les impliquer dans la croissance et la diversification des systèmes productifs, il convient que le continent africain minimise les facteurs de risque et d'incertitude : en inspirant une confiance générale dans la qualité et la stabilité de ses institutions. Atteindre un tel but requiert à la fois l'instauration de la paix et de la sécurité, mais aussi - selon le vœu du Nepad - une bonne gouvernance. Cette dernière devrait, en premier lieu, s'attaquer à la corruption qui, outre ses aspects éthiques ou juridiques, représente parfois une portion élevée du chiffre d'affaires de l'entreprise, renchérit les transactions et fausse le jeu de la concurrence. Alors que la fin de la guerre froide fait espérer un recul de la corruption, celle-ci ne fait que s'amplifier dans le sillage de la mondialisation, de l'ouverture économique ; dans certains pays africains, la corruption s'est amplifiée suite à la paupérisation due, en partie, aux programmes économiques des institutions financières de Bretton Woodds. Selon des études effectuées, sur une centaine de pays par l'organisation non gouvernementale Transparency International, en dehors du Botswana qui se classe tout juste après la Belgique et le Portugal, le rang des autres Etats africains étudiés est rarement moyen (Tunisie, Afrique du Sud) ; beaucoup d'entre eux (Nigeria, Ouganda, Kenya, Cameroun, Côte d'Ivoire, Madagascar, Tanzanie, etc.) appartiennent au groupe de pays où l'indice, le degré de corruption est le plus élevé. L'instauration d'une forte transparence (spécialement dans les activitées extractives) à travers, par exemple, les audits externes, peuvent contribuer à diminuer les risques de corruption et à améliorer le climat de confiance. Dans ce domaine, la tâche est rude : plus la corruption est répandue, plus son éradication sera compliquée ; en rassurant ses partenaires quant à sa ferme détermination de préserver les équilibres macroéconomiques et de contrer l'inflation qui, par le biais de la dépréciation des taux de change, crée une suspicion quant au taux de rentabilité réel du capital. En effet, il faut en finir avec l'image négative, collée à l'Afrique d'une région qui renonce aux réformes annoncées, à ses engagements dès l'apparition d'une embellie, d'une aisance (souvent éphémère) sur le marché des produits primaires. L'Egypte (bien qu'appartenant au dernier groupe des pays africains réformateurs), en s'engouffrant, avec le soutien du FMI et de ses créanciers, dans une libéralisation commerciale et financière rapide et avancée, parvient, non seulement, à rétablir ses équilibres macroéconomiques, mais aussi à attirer d'importants flux de capitaux étrangers (spécialement arabes) ; l'Algérie, l'autre pays africain à avoir, à juste raison, craint l'impact social des thérapies du FMI, finit par intérioriser les politiques économiques orthodoxes et par afficher, grâce au rééchelonnement et surtout à la tenue du prix extérieur des hydrocarbures, une situation financière satisfaisante. Mais la quête d'équilibres macroéconomiques (tirés de modèles néo-classiques, d'économies imaginaires où il y a plein emploi du travail) ne doit nullement ignorer la détresse des millions de chômeurs africains (sans perspective d'avenir digne). L'ajustement structurel ne saurait être une fin : il doit être un moyen au service du développement et donc de l'homme, dans son universalité. La libéralisation, associée à l'équilibre macroéconomique, qui détruit des emplois ne se justifie, spécialement dans les pays où les mécanismes de protection sociale sont inexistants ou inopérants, que si elle crée des emplois plus efficaces ; malheureusement, dans les faits, il reste à la libéralisation à démontrer sa capacité à remplacer les emplois qu'elle détruit par des emplois plus productifs et en nombre conséquent ; en progressant dans les réformes structurelles. Le Maroc qui, depuis son indépendance se rallie à l'idéologie capitaliste et jouit de l'assistance des institutions financières de Bretton Woods, persiste à décourager l'investissement extérieur par ses entraves à l'accès aux terrains d'assiette, un système judiciaire inapproprié et une lourde bureaucratie (source de corruption) ; le Mozambique dont le coût de la force de travail est très compétitif repousse le capital étranger par la lenteur de son administration économique et sa législation du travail, etc. Dans les réformes structurelles, la réhabilitation des systèmes bancaires, pour les rendre liquides, solvables et profitables, est cruciale ; de nos jours, seule l'Afrique du Sud possède un système bancaire moderne. Toutefois, la libéralisation financière, à laquelle l'Europe occidentale, par exemple, n'est parvenue que tardivement, ne peut être que prudente, graduelle, en fonction des possibilités de chaque pays et des avantages qu'elle peut lui procurer ; une libéralisation financière hâtive est susceptible de déboucher sur la création de banques nouvelles non viables, une hausse de l'intérêt (contraire à l'incitation à investir), une hémorragie de capitaux privés, etc. c'est-à-dire des situations défavorables au développement. Dans les réformes structurelles, les programmes de privatisation des entreprises d'Etat sont un élément central, du poinr de vue des institutions financières de Bretton Woods. Ici encore, le dogmatisme l'emporte sur le bon sens ; pourquoi exiger, imposer une désétatisation de l'économie à des pays sans bourgeoisie ni secteur privé dynamique alors que l'Etat est au centre du développement historique des économies du Nord, comme le rappelle J.E. Stiglitz, ancien vice-président à la Banque mondiale (4). Par ailleurs, quel crédit accorder au secteur privé dans le développement alors que jusqu'ici, sa carence a fait des Etats africains les principaux acteurs dans l'investissement productif. En d'autres termes, le pragmatisme doit l'emporter sur l'idéologie aveugle. S'il est vrai qu'en matière de privatisation, hormis quelques pays (comme l'Afrique du Sud et le Maroc), le continent a pris du retard, celui-ci est imputable, selon le cas, à l'indécision des dirigeants, à leurs exigences exorbitantes, aux pressions syndicales, mais également à l'absence de repreneurs, locaux ou étrangers. La privatisation ne doit pas être regardée seulement comme un signal d'adhésion ou de ralliement à l'idée que le progrès économique et social est inséparable du jeu des règles du marché mais aussi comme un moyen d'accroître l'efficacité et la productivité du système productif. Enfin, il est raisonnable de penser que si la « main invisible » d'Adam Smith, le marché ne stimule pas suffisamment l'investissement privé (tant dans des projets nouveaux que dans l'opération de privatisation des firmes publiques), il est du devoir de l'Etat d'occulter les thèses abstentionnistes, non interventionnistes pour ne pas donner naissance à des facteurs de dissolution sociale ; en agissant en baisse sur les éléments constitutifs des coûts de production pour garantir aux investisseurs éventuels une meilleure compétitivité et une meilleure profitabilité. Outre la consolidation des « actifs créés » (télécommunications, routes, système de transport, etc.), y compris dans un cadre régional, il y a lieu de mettre l'accent sur la formation des hommes car il existe une forte corrélation entre niveau de développement et qualité de l'investissement humain. Avec la robotisation et les nouvelles technologies de l'information et de la communication, des réserves abondantes de main-d'œuvre, peu ou non qualifiée, ne sont plus un stimulant à la délocalisation du capital fixe du Nord vers le Sud ; en relevant le taux d'investissement en déclin, afin de stimuler la croissance économique et élargir la taille du marché, en Afrique. Compte tenu des incertitudes liées au lancement de projets privés (même si les « placements » à l'étranger des élites africaines se montent à environ 200 milliards de dollars), il ne reste qu'à mettre l'accent sur l'investissement public, fortement comprimé lors de l'exécution des programmes d'ajustement structurel, au mépris du déficit impressionnant en infrastructures dont souffre l'ensemble du continent. Si on considère qu'en Afrique, la solution britannique de mobilisation d'emprunts affectés à des investissements en infrastructures pré-déterminés n'est pas réaliste, ni celle de l'instauration d'un partenariat entre secteurs privé et public pour réaliser ces opérations, il est crucial d'imaginer des formules de financement qui n'amplifient pas, à l'excès, le fardeau de la dette des pays à bas revenu. L'Afrique est loin d'être apte à se faire d'elle-même. Certes, les réformes domestiques, notamment celles en direction de la bonne gouvernance lui incombent. Cette dernière n'implique pas le « dépérissement » de l'Etat africain (prôné par les institutions financières internationales) mais plus de droit, de transparence, de participation populaire et donc de citoyenneté, etc. ; elle signifie également que l'Etat aujourd'hui, (peut-être des regroupements plurinationaux demain) a, en dépit de sa fragilité (comme l'atteste l'expérience récente de la Côte d'Ivoire) des devoirs envers son peuple dont il est censé être l'émanation. Ces devoirs lui dictent d'en couvrir les besoins de base (éducation, promotion de la femme, disponibilité d'eau potable, accès aux soins, etc.) pour faire reculer la pauvreté et corriger également les imperfections des marchés dans la sphère commerciale (puisque le marché parfait auquel se réfèrent les programmes du FMI est une hypothèse théorique et non une réalité). Dans la régulation du marché, l'Etat africain est alors convié à faire preuve du pragmatisme (qui a permis au fil des temps le développement remarquable des Etats-Unis, du Japon, etc.) ; mais dans la situation actuelle de l'Afrique, cette conception de l'Etat (largement érodée) n'a de chance de s'affirmer que si le FMI, notamment, cesse (par exemple, à l'occasion de « l'allégement de la conditionnalité » qu'il tente de promouvoir) de tirer un trait sur les conditions historiques de développement du Nord ; bien que le marché ne soit pas étranger à la prospérité qu'affiche le Nord, celle-ci n'aurait pas été possible sans l'intervention massive des Etats destinée à pallier la myopie du marché et certains de ses méfaits, (par exemple en matière de détermination des salaires ou d'écologie). La réhabilitation du rôle éminemment stratégique de l'Etat dans le développement entraînerait la prise en compte, dans les politiques économiques, de facteurs culturels, psycho-sociologiques propres à chaque peuple. Certes, la marge de manœuvre de l'Afrique est présentement restreinte par sa spécialisation internationale et le poids de l'endettement. Le progrès économique et social de l'Afrique demeure donc inséparable d'une diminution significative et durable de son endettement procédant d'actions énergiques, nouvelles et généreuses. De même, il est urgent d'inclure dans cette démarche redistributive de la richesse mondiale des mesures tendant à annihiler les effets négatifs du jeu de l'offre et de la demande sur le marché international des produits primaires. C'est dire que le développement de l'Afrique a besoin d'une vision à long terme, d'une humanisation du marché, au nom d'un impératif moral de solidarité internationale. En effet, dès lors que le moyen de survivre dans l'économie contemporaine (qui n'est qu'une reproduction organisée du système capitaliste d'il y a un siècle environ et que la grande dépression a malmené) est la concurrence effrénée, fondée sur l'innovation scientifique et technique, quel avenir peut réserver la mondialisation « pure » à des pays (comme ceux d'Afrique) qui n'ont aucune capacité de créer de la technologie pour soutenir la course à la compétitivité, à la création de richesse, au profit et à l'emploi ? 3) G.Schröder : Un continent prêt à prendre son destin en main, Le Monde, juin 2002, 4) J.E.Stiglitz : La Grande désillusion, Ed. Fayard, Paris 2002, p. 91.