Sont tout spécialement ciblés les très nombreuses personnes propulsées aux fonctions de mandataires sociaux (gérants, administrateurs, liquidateurs…) qui, si pour la plupart sont d'excellents managers, sont peu ou prou, voire pas du tout initiés aux aspects juridiques en relation avec la gestion des entreprises. «Nul n'étant censé ignorer la loi», nous le rappelle solennellement la Constitution : tout membre associé ou actionnaire d'une société et à fortiori tout dirigeant se doit au moins de lire attentivement l'acte constitutif de la société appelé «statuts» ceux modificatifs intervenant ultérieurement et les procès-verbaux des délibérations des associés ou actionnaires avant d'y avoir opposé sa signature. Le rédacteur d'un contrat à l'obligation de vous donner lecture de l'entier contenu du document qu'il a rédigé, de vous fournir toutes les explications nécessaires à sa bonne compréhension et même en cas de besoin, de faire intervenir un interprète-traducteur assermenté lorsque les parties (ou l'une d'entre-elles) ignorent la langue de rédaction. Mieux encore : la lecture des dispositions du code de commerce consacrées aux sociétés commerciales confortera vos connaissances tant en ce qui concerne vos droits que pour ce qui est de vos obligations. Les délits abordés précédemment sont des infractions pénales (abus de biens sociaux, de crédit, de pouvoirs, banqueroute frauduleuse) qui résultent de malversation en relation directement avec la gestion de l'entreprise. Ils sont généralement l'œuvre de mandataires sociaux prévaricateurs. On ne s'attardera pas sur l'élément légal qui a déjà été évoqué : il suffit de rappeler l'article 1er du code pénal selon lequel «il n'y a pas d'infraction ni de peine ou de mesures de sûreté sans loi». Donc pas de loi… pas d'infraction et encore moins de sanction. On s'arrêtera là pour cet aspect, notre propos n'étant absolument pas de faire ici un cours de droit pénal. En revanche, l'élément intentionnel dit aussi moral, mérite que l'on s'y attarde en raison à la fois de son importance dans sa portée délictuelle et de sa complexité. Qu'est-ce que l'intention ? Voyons d'abord la définition de l'intention donnée par le dictionnaire (Robert méthodique) : «Le fait de se proposer un certain but est aussi un acte commis avec intention de nuire». Plus percutante est celle du Lexique de termes juridiques, ouvrage du collectif édité par Dalloz et qui s'inscrit bien dans notre contexte ! «Conscience éclairée et volonté libre de transgresser les prescriptions de la loi pénale». On s'en tiendra à cette dernière à la fois simple de compréhension et utilisable comme introduction aux explications correspondantes. On enseigne en droit pénal géréral que l'élément moral de l'infraction réside dans la volonté de commettre un acte prohibé par la loi ou de ne pas respecter une prescription légale. Ce qui découle du principe selon lequel «il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre». Etant entendu que «lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d'autrui». Est «il y a également délit lorsque la loi le prévoit en cas d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou les règlements, sauf si l'auteur des faits a accompli les diligences normales, compte tenu, le cas échéant de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait». Ainsi donc, à défaut d'intention d'imprudence, de négligence ou de mise en danger d'autrui, point de délit. On citera, pour en finir avec les principes généraux qui régissent l'élément moral, cet arrêt de la cour de cassation, chambre criminelle du 12 juillet 1994 (bulletin crim. 1994, n°280) : «La seule constatation de la violation en connaissance de cause d'une prescription légale ou réglementaire implique de la part de son auteur l'intention coupable». Ce sont là quelques explications, on ne peut plus élémentaires nécessaires aux gestionnaires non-juristes, pour qu'ils puissent aborder avec un minimum de connaissance de cause les délits sociaux auxquels en pourraient s'exposer en tant que mandataires sociaux. Voyons maintenant comment les éléments constitutifs de tout délit s'adaptent à ceux liés à la gestion de l'entreprise et tout spécialement ceux d'abus de biens sociaux et de banqueroute frauduleuse. Pour l'élément légal, l'un et l'autre sont prévus par des textes de loi qui précisent leurs champs d'application respectifs et les sanctions correspondantes : – pour le délit d'abus de biens, de crédit et de pouvoirs : article 800 du code de commerce dans le cas de la Sarl, article 811 pour la SPA et article 840 pour les liquidateurs. – pour la banqueroute frauduleuse : article 374 et suivants du code de commerce. L'élément matériel a déjà été explicité notamment par la citation de plusieurs exemples volontairement choisis parmi les plus simples. Quelques précisions complémentaires tirées de cas pratiques dont certains vécus à travers des dossiers d'expertises judiciaires pourraient être de nature à confondre les connaissances bien que sommaires qui ont pu profiter aux lecteurs des précédents articles. Dans l'un et l'autre des deux délits, ce sont les agissements contraintes à l'intérêt social alors que dans la banqueroute, on est préoccupé par «la sauvegarde de l'entreprise, le maintien de l'activité et de l'emploi et l'épurement du passif. Autre facteur à prendre en considération : le détournement qui est au centre des malversations motivant la commission du décret. Si les éléments matériels sont apparemment similaires, en matière de banqueroute ils correspondent à une notion moins large que «l'usage de l'abus de biens sociaux». Il est de règle, pour les juristes de retenir la notion de détournement en banqueroute par référence à sa définition donnée par la jurisprudence, à savoir «tout acte de disposition volontaire accompli sur un élément du patrimoine du débiteur après la cessation des paiements en fraude des droits des créanciers». Quelques décisions jurisprudentielles vraiment instructives pour ceux qui souhaitent approfondir le sujet : – cass.crim. 10/05/1993 n°92.83-004 (note Petel JCP (E) 1993 – 1-1298, P538) ; – cass.crim 22/08/1995, (note I. Oh, Rev. soc 1996, P339) ; – cass.crim. 26/02/1995 ; – cass.crim. 22/02/1996 (note Sordine, Pet. Aff. déc 1996 n°154, p7) ; – cass.crim. 23/10/1997 n°96.84-717 (note J. H. Robert JCP (E) février 1999 n°7, p 321). Sur la relation entre les deux infractions, quelques points méritent d'être précisés : – On sait qu'un simple usage abusif peut caractériser un abus de biens sociaux : aurait-il également pour effet de constituer le délit de banqueroute frauduleuse ? Non, a répondu la jurisprudence : il y a exigence d'un acte positif de disposition («des opérations graves qui entament, engagent ou transforment le patrimoine, pour le présent et pour l'avenir comme par exemple de ventes, donations, legs, constitution de garanties et parfois les aliénations et constitutions ). Mais pas seulement un simple usage abusif (plusieurs arrêts dont cass.crim, 5/8/1998, note B. Bouloc, Rev. Soc. janvier-mars 1999, p. 170). Autre élément significatif : l'absence en principe d'intérêt personnel en matière de banqueroute alors qu'il est prédominant dans l'abus de biens sociaux, bien qu'en pratique, les manigances qui déterminent la banqueroute sont fréquemment réalisées dans l'intérêt personnel du dirigeant (cass.crim. 7/12/1992 n° 91.83-937). – Le déclenchement de l'action répressive diffère selon qu'il s'agit d'une banqueroute ou d'un abus de biens sociaux. Tant qu'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire n'a pas été ouverte, le délit de banqueroute n'est pas consommé : la tenue manifestement irrégulière ou incomplète de la comptabilité ne fait pas partie des infractions susceptibles de devoir être révélées au procureur de la République par le commissaire aux comptes. Est le fait que la continuité de l'exploitation de l'entreprise apparaisse au censeur légal irrémédiablement compromise, comporte des conséquences sur sa mission qu'il lui appartient d'apprécier, indépendamment de toute comptabilité irrégulière ou incomplète, notamment en mettant en mouvement la procédure d'alerte, tout à fait sibylline dans notre squelettique droit comptable alors qu'ailleurs elle est d'une limpidité exemplaire.