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Questions-réponses : Abus de biens sociaux et banqueroute frauduleuse (II)
Publié dans El Watan le 02 - 07 - 2007

Dans la pratique algérienne, il est rare qu'une entreprise communale, individuelle ou sociétaire, devenue insolvable, se soumette aux exigences de la loi qui lui font obligation de déposer au greffe du tribunal territorialement compétent, une déclaration constatant son état de cessation de paiement.
Etre déclaré en faillite est psychologiquement et moralement insupportable pour le débiteur lui-même et infamant vis-à-vis de son entourage. Alors on préfère trouver des arrangements avec les créanciers ou encore disparaître commercialement sans crier garde quitte à se rétablir plus tard, ailleurs, dans une autre activité ou encore en utilisant le registre du commerce d'un tiers complice, pratique très répandue dans le circuit informel. Il y a aussi la réaction des créanciers qui, souvent, font, « contre mauvaise fortune bon cœur » se résignant à passer leur préjudice par « pertes et profits ». A cela s'ajoute l'ignorance par les gestionnaires du droit complexe de la faillite : on ne sait pas par exemple, qu'en tant que créancier, on peut introduire une procédure tendant à faire admettre l'état de faillite de son débiteur si celui-ci n'a pas déposé au greffe du tribunal, dans un délai de 15 jours, sa déclaration d'état de cessation de paiements comme l'exige la loi. Dans l'étude précédente, il a été précisé que la banqueroute peut être qualifiée, par le juge, de « simple » ou de « frauduleuse » ; ont été rapportées les critiques qui motivent la première qualification dite « simple ». La banqueroute est réputée frauduleuse lorsqu'elle est d'une façon générale caractérisée par un détournement d'actifs. C'est l'article 374 du code de commerce qui fixe les contours de l'infraction en ces termes : « Est coupable de banqueroute frauduleuse, tout commerçant en état de cessation de paiement qui a soustrait sa comptabilité, détourné ou dissipé tout ou partie de son actif ou qui, soit dans ses écritures, soit par des actes publics ou des engagements sous signature privée, soit dans son bilan, s'est frauduleusement reconnu débiteur de sommes qu'il ne devait pas. » Ces dispositions sont complétées par celle de l'article 382 selon lesquelles : « sons punis des peines de la banqueroute frauduleuse :
1 les personnes convaincues d'avoir dans l'intérêt du débiteur, soustrait, recelé ou dissimulé tout ou partie de ses biens meubles ou immeubles, le tout sans préjudice des autres cas prévus par les articles 42 et 43 du code pénal ;
2 les personnes convaincues d'avoir frauduleusement produit dans la faillite ou le règlement judiciaire, soit en leur nom, soit par interposition de personnes, des créances supposées ;
3 lees personnes qui, faisant le commerce sous le nom d'autrui ou sous un nom supposé, se sont rendu coupables de l'un des faits prévus à l'article 374 du présent code. » Pour information, les articles 42 et 43 du code pénal susvisés concernant les complices d'une infraction. En matière de banqueroute frauduleuse sont donc passibles de sanctions pénales aussi bien les auteurs principaux que leurs complices au sens général de la loi pénale. On rappellera aussi que « le conjoint, les descendants ou les ascendants du débiteur ou ses alliés aux mêmes degrés, qui auraient détourné, diverti ou recelé des effets, dépendant de l'activité de la faillite, sans avoir agi de complicité avec le débiteur, encourent les peines prévues à l'article 380 alinéa 14 du code pénal » : emprisonnement de 3 mois à 3 ans à une amende de 20 000 à 100 000 DA. En ce qui concerne la sanction de l'auteur de la banqueroute frauduleuse, le code pénal la fixe à un emprisonnement d'un an à cinq ans. « En outre, l'interdiction pendant un an au moins d'un ou plusieurs des droits mentionnés en l'article 14 du présent code, peut être prononcée à l'encontre du banqueroutier frauduleux. » Ledit article 14 dont la rédaction résulte de la loi n° 06 23 du 20 décembre 2006 prévoit que « lorsqu'il prononce une peine délictuelle, le tribunal peut, dans les cas déterminés par la loi, interdire au condamné l'exercice d'un ou plusieurs droits civiques visés à l'article 9 bis 1 et ce, pour une durée n'excédant pas cinq ans. » Indépendamment des sanctions prévues pour la répression de l'un et de l'autre des deux délits, qu'est-ce qui distingue celui de banqueroute frauduleuse de l'abus de biens sociaux ? Si l'un et l'autre sont inhérents à la gestion de l'entreprise et qu'ils sont caractérisés par des éléments constitutifs similaires, deux critères au moins les séparent : l'environnement de la commission de l'infraction et la sanction légalement infligée dont celles dites complémentaires valables en matière de banqueroute frauduleuse seulement (article 14 du code pénal). En ce qui concerne tout particulièrement les aspects comptables et leurs incidences en matière de banqueroute, il convient d'insister sur les défaillances qui peuvent soit consister en l'absence pure et simple de tenue des comptes conformément aux prescriptions des lois y relatives (code de commerce, plan comptable…) soit s'en tenir à la tenue d'une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière donc non conforme aux exigences de la loi. S'y ajoutent la tenue d'une comptabilité fictive ou la substitution de pièces et documents comptables de l'entreprise. Il existe autour du sujet de nombreuses décisions de la jurisprudence française dont on évoque quelques-unes pour information qui pourront inciter utilement nos dirigeants sociaux :
a été condamné aux peines de banqueroute, le gérant d'une Sarl pour ne pas avoir présenté la comptabilité pourtant régulièrement tenue au sein de l'entreprise aux organes de la faillite et aux autorités judiciaires (cass.crim 19 octobre 1992 n° J 91.86-761 D). L'argument selon lequel la comptabilité est détenue, à son cabinet, par l'expert-comptable ne serait pas recevable.
deux gérants d'une Sarl ont respectivement été condamnés à 10 mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 F… du fait notamment du délit de banqueroute, les juges ayant relevé, entre autres, qu'une comptabilité de factures et d'extraits de comptes n'est pas une comptabilité probante et qu'à défaut des documents nécessaires, le bilan de la société n'a pu être établi. Constitue en effet, le délit de banqueroute, « par abstention » de tenue de toute comptabilité, le fait de s'abstenir, de procéder, au mépris des obligations du code de commerce, à l'enregistrement chronologique des mouvements affectant le patrimoine de l'entreprise et à l'établissement de l'inventaire des éléments d'actifs et passifs de ce patrimoine (cass.crim 6 décembre 1993, bull. crim 1993 n° 370). Selon un arrêt de la cour de Riom, 3e ch. civ du 13 mars 1992, jamais contredit, objet d'un commentaire paru dans la Gazette du Palais, en 1992, som. 537, le délit est constitué « quand bien même il existerait des pièces permettant de reconstituer la comptabilité de l'entreprise ; en effet, l'existence de ces documents n'équivaut pas à l'existence d'une comptabilité. » Précisons que la banqueroute du fait d'une comptabilité manifestement incomplète, ou irrégulière, au regard des dispositions légales, a été introduite en France par la loi n° 94-475 du 10 juin 1994, qui constitue l'un des fondements majeurs du droit comptable. Ces commentaires spécialement consacrés à l'importance de la comptabilité dans la décision des juges prononçant la banqueroute frauduleuse devraient être, à eux seuls, de nature à convaincre nos dirigeants sociaux sur les obligations comptables qui leur incombent et leur strict respect.


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