Selon de nombreux témoignages, c'est le nombre impressionnant de jerrycans pleins d'essence qui, depuis un certain temps, encombrent la mer. A priori, il pourrait s'agir d'un stock de réserve dont se délestent les harragas à la vue d'une vedette des gardes côtes qui patrouillent au large. Le plus intriguant dans ces histoires est que dans la plupart des cas, les bidons de 30 litres sont liés entre eux. Un chapelet de 4 et 5 bidons, fait de suite penser à un largage ou à un chavirage d'une barque; mais lorsque le nombre dépasse la dizaine, voire la vingtaine de bidons, ce qui fait 600 litres, il est permis de se poser des questions. La seconde hypothèse voudrait qu'une fois repérés par les gardes côtes où un hélicoptère l'ANP, les harragas et leur passeur aient pris la décision de soulager l'embarcation pour s'échapper. Mais cette hypothèse est peu convaincante car dans ce cas, les occupants ne pouvaient manifestement jeter à l'eau autant de bidons solidement reliés à une corde. L'embarcation aurait rapidement perdu son équilibre. Il aurait été plus judicieux de détacher d'abord les jerrycans pour ensuite s'en débarrasser un à un. Reste la seule hypothèse qui tienne la route et que les habitués des expéditions à travers le désert où ceux en charge de la lutte contre la fraude avec les pays du Sahel connaissent parfaitement. C'est le balisage du trajet à l'aller et au retour par de véritables réservoirs de carburant et d'eau, voire de nourritures. Disposés en différents points stratégiques, ces réserves ont le double avantage d'alléger les véhicules de charges inutiles et de faire des trajets aussi tortueux que possible afin de dérouter tout poursuivant potentiel. Avec cette technique, il est possible de choisir le trajet le plus long mais le moins risqué. Manifestement, pour les passeurs et leurs nombreuses victimes, la trouvaille est réellement géniale. Car outre qu'elle dispense des regards indiscrets, elle permet de disposer à tempérament d'une réserve accessible à tout moment tout en libérant de la place sur l'embarcation. Fini le temps des pannes sèches et des embarcations surchargées d'essence. Tout jerrican en moins c'est autant de passagers en plus. Désormais il sera possible de refaire le plein à la station flottante la plus proche. Il suffira alors de disposer d'un simple GPS. Et ça, les passeurs l'ont déjà expérimenté à partir de Annaba pour rejoindre la Sicile. Reste le moyen de transport utilisé pour acheminer dans la discrétion autant de carburant. Rien de plus facile, il suffit d'un bateau équipé d'un radar et d'un GPS et le tour est joué. Moteurs «Hors-bord» Le carburant peut être soigneusement embarqué à partir d'un port. Une fois sur le lieu choisi pour y larguer la réserve, le GPS marque de manière irréversible l'endroit, les bidons solidement attachés sont alors glissés soigneusement dans la mer. Aux extrémités de la corde il convient de disposer d'un petit flotteur en surface et d'un lest pour l'accrocher au fond. Exactement comme on le ferait pour un filet de pêche. Il suffira alors d'attendre le gros poisson. Il arrive souvent que la corde qui sert de lest lâche pour que la cargaison disparaisse au grès des vagues. C'est probablement ce qui se passe depuis un certain temps au large de Mostaganem. Mais pour une opération de ratée, combien ont été concluantes ? Le record de tentatives de départ qui sont répertoriées à la faveur d'une mer relativement calme, sont quotidiennement rapportées par les médias et confirmées par la vox populi. Certains de nos interlocuteurs font état d'une raréfaction des moteurs hors-bord de grande puissance. Alors qu'un petit moteur de 15 CV qui se monnayait entre 10 et 12 millions, vient d'atteindre les 17 à 18 millions, qu'en est-il des moteurs plus puissants et donc plus demandés ? Selon un marin pêcheur possédant une embarcation artisanale, la flambée des prix aura atteint son paroxysme à la faveur de ce mois d'août. Un moteur de 30 CV, les plus demandés par les clandestins, a vu son prix passer en l'espace de deux mois de 15 à 30 millions. Alors que les échecs continuent de défrayer la chronique, c'est curieusement le nombre de réussites que retiennent les candidats à l'émigration clandestine. Le moindre coup de fil depuis les rives espagnoles est fêté comme un véritable exploit par la famille, les proches mais aussi par ceux qui, tapis à l'ombre d'un rocher, n'attendent que le moment propice pour embarquer. Le prix du passage qui se négociait autour de 5 millions, il y a de cela une année, atteint actuellement les 15 à 20 millions. De quoi s'acheter un bon moteur, une boussole, une frêle barque et plusieurs jerrycans d'essence. Et attendre la nuit du destin. Celle où les éléments sont le plus favorables et où la surveillance se relâche.