Dans les pas de Brice Hortefeux, l'actuel ministre de l'Immigration et de l'Identité nationale endosse naturellement le costume de son prédécesseur. Il veut faire aboutir ses projets, même les plus controversés. Sa réforme de la procédure de naturalisation suscite déjà de nombreuses critiques. Pour le ministre de l'Immigration, l'actuelle procédure, inutilement lourde et complexe, induit un délai de réponse trop long (durée moyenne de près de 20 mois) et extrêmement variable d'une préfecture à l'autre. Des doublons existent dans l'instruction des dossiers entre les préfectures et l'administration centrale, tandis que le nombre de demandes en instance de traitement est très important. En clair, L'argument avancé par le gouvernement est qu'il y aurait doublon entre l'échelon préfectoral et l'échelon ministériel. « La France reste fidèle à sa tradition d'accueil et d'intégration. Le choix de devenir français et d'épouser les valeurs de la République, ses droits, ses devoirs et son histoire est un moment fondateur de l'unité et de l'identité nationale », affirme Eric Besson pour qui cette procédure vise à raccourcir les délais. Faux, archifaux rétorquent ses détracteurs. « Aujourd'hui, c'est au niveau des préfectures que ça coince, pas de la SDN (Sous-direction des naturalisations). Pour obtenir un dossier de naturalisation en préfecture, ça peut prendre deux, trois ans. Et encore, ça n'est que la première étape. Si l'on décide maintenant de donner plus de responsabilités aux préfectures, cela va certainement provoquer des dysfonctionnements. Les préfectures n'ont pas les moyens juridiques et en personnel pour traiter ces dossiers, et elle ne les auront pas plus après la réforme. Si on avait vraiment voulu réduire les délais, on aurait pu prendre des mesures de bon sens, comme délivrer les dossiers de demande en mairie. Réduire les délais est un faux argument. Cette réforme est faite pour sélectionner qui on veut naturaliser ou non, suivant des critères qu'on n'ose pas évoquer aujourd'hui, comme l'origine nationale », s'alarme, dans Libération, Patrick Weil, spécialiste de l'histoire de la nationalité et de l'immigration. Et de donner un exemple : « En Seine-et-Marne, dans le Val-de-Marne ou en Seine-Saint-Denis, des départements à forte population immigrée, plus de 50% des demandes font l'objet d'une décision négative en préfecture. Dans les Landes ou l'Ariège, on a moins de 25% d'avis négatifs. On voit donc bien qu'avec cette réforme, on va aller vers plus d'arbitraire. C'est une atteinte au principe d'égalité. » Actuellement, le candidat doit déposer sa demande auprès de la préfecture de son lieu de résidence. Cette dernière constitue alors un dossier sur le candidat et émet un avis. Ce dossier fait état de la régularité du séjour de l'étranger en France et de sa durée, de sa connaissance de la langue française ainsi que de sa « bonne moralité ». Ce dernier critère fait l'objet d'une enquête préfectorale « qui porte sur la conduite et le loyalisme du postulant ». Désormais, c'est du ressort de la préfecture. En cas d'avis favorable, la procédure de naturalisation sera directement enregistrée. En cas de refus du dossier, ce sera désormais au demandeur d'engager les démarches de contestation. Chaque année, environ 100 000 étrangers acquièrent la nationalité française. Un chiffre qui a connu des pics début des années 2000 avant de se stabiliser, même si les chiffres ont globalement beaucoup évolué en dix ans. Près de 9 cas sur 10 se font par décret et le reste par mariage. Originaires pour la plupart du continent africain, principalement du Maghreb (pas loin de 50%), ces nouveaux Français ont entre 18 et 35 ans, travaillent et… sont plutôt des femmes. « Remettre l'intégralité de la procédure de naturalisation entre les mains des préfectures peut être contre-productif. Va-t-on instruire les dossiers de la même manière à Toulon, à Lille, à Strasbourg ou à Mende ? Les pratiques locales des services des étrangers des préfectures vont-elles amener un droit différencié ? Les dossiers des candidats à la naturalisation seront-ils traités en fonction du climat local, du moment politique ? », s'inquiète France Terre d'Asile. D'autres associations relèvent le caractère « arbitraire » de cette nouvelle procédure. « SOS Racisme, à l'instar de l'ensemble de la société civile (et notamment des chercheurs, des fonctionnaires, des syndicats et des associations) demande le retrait de cette réforme au profit d'une large concertation tendant à la simplification du droit de la nationalité française, tant au profit des futurs citoyens que de la France. Le risque d'arbitraire est tellement important que toutes les grandes démocraties ont choisi un système centralisé d'attribution de la nationalité. Si tel n'était pas le cas, nous en conclurions que désormais, l'arbitraire administratif est élevé au rang de mode de gouvernance », conclut SOS Racisme.