Cet événement mérite à notre avis un détour historique pour rappeler que la présence consulaire française à Oran ne date pas de 1962. Ce qui nous donne également l'occasion d'évoquer les liens qu'entretenaient avec Oran les membres de la «nation française», déjà fort présents dans la ville au XVIIIe siècle. Interrompues par la longue nuit coloniale, les relations diplomatiques avec l'Algérie sont rétablies par la République française au lendemain même de la déclaration d'indépendance du 3 juillet 1962. Outre l'ouverture de son ambassade à Alger, la France ouvre, en même temps, un certain nombre de chancelleries, dont celle d'Oran, élevée au rang de consulat général. Le consulat général de France à Oran est immédiatement installé dans les locaux que venait de quitter la direction des constructions et armes navales de la marine en Algérie du 3, square Cayla. Par cet acte refondateur, une nouvelle page de l'histoire de la représentation consulaire française dans notre ville venait de commencer. Pour marquer l'importance de ce poste diplomatique, le général de Gaulle approuve la désignation de Claude Chayet, ancien négociateur des accords d'Evian au poste de consul général de France dans cette ville. Claude Chayet, retenu en France, c'était à Jean Herly, consul général adjoint, de se retrouver, selon l'expression de Jean-Marcel Jeanneney, «seul responsable pendant les difficiles premières semaines» de l'été 1962. (1) En cela, l'ouverture du consulat général de France à Oran, en 1962, renouait avec la tradition de la représentation consulaire française établie dans la ville, de 1719 à 1828 ; avec, il est bien vrai, de longues périodes d'absence et ce, contrairement à l'Espagne qui, en dépit des nombreux aléas de l'histoire, a su maintenir ouverte sa représentation consulaire à Oran sans interruption depuis 1792 jusqu'à ce jour. (2) Mais, aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce ne sont pas les Espagnols qui occupaient la ville depuis 1509 qui avaient accepté la présence d'une représentation consulaire européenne, en l'occurrence française à Oran. Les intérêts des marins et des négociants languedociens et provençaux, de passage ou présents à Oran, étaient défendus par les consulats français des villes portuaires espagnoles, particulièrement celui de Carthagène. Il a fallu donc attendre la reconquête de la ville en 1708, par le bey Mustafa El Mesrati, dit bey Bouchlaghem, pour que la nation française soit représentée à partir de 1719 par un vice-consul, relevant du consul général de France à Alger qui date, lui, rappelons-le, de 1564 ! Epoque des relations diplomatiques exemplaires entre la France et la Régence d'Alger, où il était courant d'entendre en France, le dicton populaire : «Le Français peut cuire sa soupe chez lui et venir la manger à Alger.» (3) Le retour d'Oran, dans le giron de la nation algérienne en 1708, allait faire du port d'Oran une place importante du commerce français en Méditerranée occidentale. Cette nouvelle situation fit très vite comprendre aux Anglais, alors en guerre contre l'Espagne, à qui ils avaient enlevé Gibraltar en 1704 et Minorque en 1708, que non seulement les Espagnols venaient de perdre à Oran et Mers El Kébir, deux points d'appui maritime stratégiques, mais, qu'il leur donne en plus, l'espoir de se réintroduire dans les circuits des échanges commerciaux et de la navigation maritime internationale en Méditerranée.Les bonnes relations qu'entretenaient les Anglais avec les deys d'Alger leur firent immédiatement obtenir l'autorisation de commercer par le port d'Oran. Cependant, le représentant de la nation française à Alger, M. de Clairambault, n'était pas au bout de ses peines. Les Espagnols, qui s'étaient pour un instant effacés de la scène, en raison du passif politique récent avec la Régence d'Alger, ne constituaient ni pour les Français ni pour les Anglais un rival potentiel ; les Français allaient se trouver ainsi donc face à une féroce rivalité avec les Anglais pour l'obtention de privilèges de commerce au port d'Oran, parfois entre Français eux-mêmes. En effet, les manœuvres plus habiles du consul anglais à Alger qui voulait conserver à son pays le monopole du trafic d'Oran, si utile pour ravitailler Port-Mahon et Gibraltar, et les prétentions démesurées de la Chambre de commerce de Marseille, qui voulait avoir la haute main sur tous les établissements français de la Régence d'Alger, ne permirent pas aux autorités consulaires françaises à Alger d'obtenir des privilèges équivalents à ceux accordés aux Anglais. Il a fallu donc attendre onze ans après pour voir les Français obtenir, enfin, en vertu du traité du 7 décembre 1719, signé avec le dey, le droit d'avoir à Oran un vice-consul relevant du consul d'Alger, chargé de défendre «les intérêts des commerçants de notre nation qui s'établiraient dans la ville et des navigateurs de passage».(4) Oran était la seule ville où la présence des Français n'était liée à aucune de leurs possessions dans la Régence d'Alger (Collo, Bône, La Calle) ou en Méditerranée (Malte, Egypte). Rapidement, les premiers éléments de la nation française, constitués principalement de commerçants, commençaient à s'installer au port d'Oran, où l'on faisait une intense importation d'armes françaises et anglaises. Mais, l'audacieuse initiative personnelle du négociant français Bernard Maichens auprès du dey, moyennant une libéralité financière assez conséquente, obtint de lui, entre autres avantages, le privilège exclusif du commerce d'Oran (1723) et finit par avoir en 1729, l'autorisation de fonder, à Oran, un comptoir sans monopole qu'il confia à son agent François Bonnafous. La Chambre de commerce de Marseille protesta contre les pratiques déloyales de Maichens, alléguant qu'un monopole de commerce accordé à un particulier fût-il français, était contraire au traité de1719. Cependant, les intrigues entre Français eux-mêmes avaient contribué à renforcer la position diplomatique et commerciale des Anglais. Maichens s'était heurté à l'hostilité de l'un de ses compatriotes, Thomas Natoire, chancelier du consulat français d'Alger au poste de vice-consul à Oran, qui intriguait avec les négociants anglais pour nuire aux affaires de Maichens. Ce dernier finit en 1730 par faire faillite, et, du coup, la candidature de son rival Natoire se voyait définitivement compromise. Importance commerciale A ce moment, intervient un personnage clé dans le renforcement du commerce français à Oran, Dominique Dedaux. Celui-ci, agent d'une maison commerciale, heureux en affaires, fut nommé en 1730 vice-consul de France à Oran. Cependant, durant les deux années où il occupa son post, e Dedaux avait su entretenir d'excellents rapports aussi bien avec le bey Bouchlaghem qu'avec les chefs de tribu qui venaient échanger leurs produits dans la ville ; produits, qui, d'ailleurs, étaient exportés par son comptoir commercial vers l'Espagne et le Portugal. La ville réoccupée par l'Espagne en juillet 1732, Dominique Dedaux fut maintenu à son poste, et non pas, que le consulat de France à Oran fut créé, comme veulent le faire croire faussement certains historiens, à titre personnel par le roi d'Espagne, pour Dominique Dedaux qui fut son premier titulaire. Les Français s'empressent d'ailleurs de faire valoir les droits qui leur furent précédemment reconnus par les Algériens pour commercer et établir une représentation consulaire à Oran. Ce rappel était nécessaire, car lorsque le roi Philippe V accorde la franchise pour le port d'Oran, il ne s'avisa pas d'en exclure les Français et ce, malgré la concurrence qu'ils pourraient faire aux maisons de commerce espagnoles qui détenaient le monopole de l'approvisionnement du préside. L'importance commerciale acquise par les Français à Oran était telle, qu'on peut dire qu'ils détenaient un quasi-monopole du commerce maritime oranais. Cinq succursales de maisons de commerce françaises y étaient installées René Lebeau, Berthomine, Jean Echeverria, Gulliers et Marsot, Imbert et Castinel. Comme de nombreuses succursales de maisons européennes, notamment espagnoles, y étaient également installées. Mais elles étaient toutes obligées d'avoir des patrons ou des représentants français, originaires principalement d'Agde ou de Sète ; parmi les plus connus, citons Jean et Joseph Pascal, Loudieu, Pons, Parlier, Astre, Rivière, Garqueval et Caumel. Dedaux était d'ailleurs, lui-même, représentant à Oran de la maison Mestre et Cie de Carthagène. La Maison Laa-Labastide de Cadix avait, à partir de 1733, une succursale à Oran ; ses activités s'étendaient jusqu'à la ville de Veracruz, au Mexique. Il y avait, par contre, deux maisons françaises qui avaient leur siège à Oran, la maison Prat et Clavier et la maison Jacques Caizergues. Une histoire à écrire Cette enviable situation des Français était loin de plaire au général Don José Basilio de Aramburu, commandant des places d'Oran et de Mers El Kébir de 1738 à 1742 qui, de l'aveu même de Dedaux, cet officier supérieur espagnol, d'origine basque, «n'aimait pas beaucoup les Français» ; et «se plaignait souvent, comme le note Jean Cazenave, des mauvais, traitements qu'il eut à subir sous son gouvernement». C'est ainsi qu'il écrivait le 16 juin 1739 à Maurepas, ministre de Louis XV : «Il est indubitable que le gouvernement espagnol de cette place y a toujours vu avec chagrin, l'établissement d'un consul de France, et, dans toutes les occasions, il n'y a pas laissé lieu d'en douter. Cependant que M. de Villadarias ou M. de Valléjo y ont commandé, M. le Consul n'a jamais été attaqué personnellement ; on a toujours eu un certain égard pour le caractère dont il est revêtu. Mais depuis que M. Daramburu est général et qu'un certain capitaine du régiment de Toscane, nommé Berrutia, Régidor, biscayen, ennemi juré des Français et qui se vante en pleine place de les avoir en exécration, à l'oreille de ce général, il n'y a pas de mortification, de peines, d'insultes, de vexations où la nation française n'ait été exposée…» Il raconte ensuite que sous un prétexte futile, on a osé l'incarcérer et termine en disant qu'il «est le jouet d'une garnison qui s'applaudit d'avoir mortifié le consul de France, comme s'ils avaient gagné une victoire complète». (5) Cependant, à partir de 1748 avec la fin de la guerre de la Succession d'Autriche, qui ramena la paix en Méditerranée, et à la suite du traité de commerce conclu en 1750 entre les deux puissances ennemies d'hier, l'Angleterre et l'Espagne, les Français, qui étaient restés pendant longtemps seuls maîtres du trafic maritime à Oran, commençaient à s'inquiéter de la situation créée par ce nouveau renversement d'alliance. Venait également s'ajouter, sur le plan local, un autre souci, celui de la suppression en 1749 de la franchise qui avait été reconnue au port d'Oran par le roi Philippe V. Néanmoins, il y a lieu de souligner qu'en dépit de tous ces changements intervenus tant sur la scène politico-militaire que commerciale en Méditerranée occidentale, les Français continuaient donc à jouir de tous les avantages. Léon Delane, ancien consul de France à Alger (12 juin 1731-7 juin 1732), en témoigne de cette situation privilégiée par la rédaction d'un mémoire sur le commerce d'Oran.Pour preuve, les navires accostant au port d'Oran continuaient à être majoritairement français ou armés dans des ports français. A titre indicatif, on a pu calculer que pendant les années 1752-1754, sur un total de 77 bâtiments ayant fréquenté le port d'Oran, 51 avaient été armés à Agde et 12 à Marseille. Les principaux ports français, qui étaient en relation commerciale constante avec le port d'Oran, étaient principalement des ports méditerranéens ; nous pouvons les classer par ordre de fréquentation comme suit : Agde, Marseille, Martigues, La Ciotat, Saint-Chamas, Saint-Tropez, Sète, Collioure, Cannes, Berre et Toulon ; on a même pu noter des bateaux en «provenance» des ports du nord, de l'île de Brehat et de Nantes notamment. A partir des guerres de la première coalition (1798-1801), il arrivait souvent que des bricks alliés (espagnols et anglais) croisent des bricks français dans le port d'Oran, déclaré port neutre, et où les trois pays avaient leurs vice-consuls. L'agent consulaire de France à Oran, Augustin Négroto, aurait effectué en 1810, d'importantes transactions de blé pour le compte de son pays. Alors que depuis Dominique Dedaux, bien d'autres vice-consuls français avaient marqué leur présence, tels que Joseph-Noé David (1751), Jean-Pierre Prat, faisant fonction de consul à partir de 1751 et confirmé le 26 mai 1762, Léon de Launey, nommé le 3 juillet 1790 ou Augustin Négroto, agent consulaire en 1810 depuis la Restauration, contrairement aux vice-consulats d'Espagne et de Grande-Bretagne, le vice-consulat de France à Oran devenait de moins en moins actif, pour toute cette période de 1810 à 1828. On ne retient que les noms de deux vice-consuls français, Henry Guys, nommé par un brevet du 9 août 1821, et un certain Deval, qui y aurait été nommé le 22 octobre 1822. Au terme de ce court périple historique, on peut dire que l'histoire du consulat de France à Oran reste à écrire ; il suffit de rouvrir l'important dossier 3A1-6 des archives du ministère français des Affaires étrangères dit du vice-consulat de France à Oran, relatif à la période du 24 janvier 1732 au 30 mars 1826, pour compléter l'histoire des relations diplomatiques, économiques et culturelles qui est restée, et qui risque d'ailleurs de le rester longtemps fixée uniquement sur les points d'accès qui ne sont pas de nature à aider à la compréhension de longues pages d'une histoire commune. NOTES : (1) Témoignage de Jean-Marcel Jeanneney, premier ambassadeur et haut représentant de la France en Algérie, dans Une Mémoire républicaine. Entretiens avec Jean Lacouture, Paris, Ed. du Seuil, 1997, p. 165. (2) Le consul général d'Espagne offrit même une réception, en l'honneur des participants européens et maghrébins au Colloque international tenu à Oran du 21 au 23 février 1992, à l'occasion de la commémoration du Bicentenaire de l'évacuation d'Oran par l'Espagne (1792-1992). (3) C'est Sanson Napollon, capitaine corse, gentilhomme de la Maison du roi, homme de confiance du cardinal Richelieu, qui aimait rappeler à tout le monde ce dicton. Il était envoyé à Alger en 1626 pour rétablir les bonnes relations entre les deux pays. Ses grandes qualités de diplomate aboutirent au traité du 19 septembre 1628. (4) Benkada Saddek, Brève histoire du port d'Oran, Oran, Entreprise portuaire d'Oran, 2006. 5) Cazenave Jean, Tabalosos (Marquis de), Histoire d'Oran, (1773). Traduite et annotée par Jean Cazenave, BSGAO, juin 1930, pp.117-154, p. 149, note 27. Bibliographie : Benkada Saddek, Brève histoire du port d'Oran, Oran, Entreprise portuaire d'Oran, 2006. Cazenave Jean, Un Consul français en Alger au XVIIIe siècle, Langoisseur de la Vallée, Revue Africaine, 1936 ; pp. 101-122.Devoux Albert, Relevé des principaux Français qui ont résidé à Alger de 1686 à 1830, Revue Africaine, 1872, pp. 356-387, pp. 420-450. Jeanneney Jean-Marcel, Une Mémoire républicaine. Entretiens avec Jean Lacouture, Paris, éd. du Seuil, 1997. Pestemaldjouglou Alexandre, Le Consulat Français d'Oran de 1732 à 1754, Revue Africaine, 1942, pp. 220-254.