L'Algérie a reçu des mains de Condoleeza Rice, et à la faveur du voyage que notre ministre des Affaires étrangères a effectué aux Etats-Unis, une copie du Traité de paix et d'amitié qui a été signé le 5 septembre 1795 par Hassan Bacha, dey de l'Etat d'Alger, et George Washington, président des Etats-Unis d'Amérique ( ). Comparé aux innombrables accords officiels qui avaient été conclus avec les puissances occidentales et aux dates de leur conclusion, ce traité est arrivé bien tardivement. Il faut peut-être rappeler que la nation américaine n'a acquis son indépendance qu'en 1783 et qu'entre cette date et 1793, son commerce maritime avait été plutôt protégé de la piraterie par le Portugal. Celui-ci était, en effet, en conflit avec la Régence d'Alger, l'une des patries des corsaires du nord de l'Afrique, et surveillait, en conséquence, le détroit de Gibraltar. La surveillance de ce passage stratégique, qui rendait l'océan Atlantique inaccessible aux bateaux de course, n'avait pas empêché la perte, ou la capture, de deux vaisseaux américains en 1785 et de « onze bâtiments marchands » en 1793 ( ). Les Etats-Unis, qui sortaient du cauchemar de la guerre d'indépendance, avaient une dette publique colossale et ne possédaient pas de forces navales, étaient donc dans l'obligation de négocier la protection de leur commerce et de leurs citoyens. Le Traité de paix et d'amitié de 1795 assurait, notamment, la liberté de circulation des biens et des personnes, donnait la nature des marchandises qui étaient exemptes de droits de douanes ; codifiait les relations commerciales, militaires et diplomatiques qui étaient entretenues par les deux partenaires, précisait et renforçait les prérogatives du consul. Il faut dire, à ce propos, que les représentants des consulats européens à Alger avaient été souvent humiliés, torturés et mis au cachot, car rendus responsables, du point de vue du dey et du divan, des fraudes, des faillites ou des dettes impayées de leurs coreligionnaires ; des évasions de captifs ou, tout simplement, des conflits qui avaient surgi entre le pays d'origine et le pays d'accueil. La signature du Traité de paix et d'amitié de 1795 n'avait pas été gratuite. Elle rendait les Américains tributaires de l'Etat d'Alger « pour une somme annuelle [...] qu'ils (avaient dû) payer en munitions de guerre et de mer » ( ) et qui avait été revue à la hausse au fur et à mesure que les affaires des Etats-Unis avaient prospéré. Cette forme d'imposition n'était pas nouvelle et applicable à ce seul pays. La Suède, le Danemark et les Pays-Bas avaient également payé leur tribut, annuel, en « munitions navales ». Les royaumes des Deux-Siciles et de Naples, Venise et le Portugal s'étaient acquittés de cette redevance en dollars espagnols, en francs ou en livres. La France, la Grande-Bretagne et l'Espagne, entre autres, avaient été soumises à la politique du « présent », ou offrande, qui était donné à chaque mutation consulaire en monnaies sonnantes et trébuchantes. Les cours de Vienne et de Russie n'avaient payé ni l'un ni l'autre « impôt » ; la Régence d'Alger étant considérée par leurs souverains comme une province de l'empire ottoman qui devait « empêcher tout acte d'hostilité contre leurs pavillons » ( ). Les tributs et les présents, dont on peut retrouver la valeur dans les ouvrages du chapelain et consul anglais Th. Shaw ( ), du consul américain W. Shaler et de l'Abbé G.-Th. Raynal ( ), avaient garanti, au même titre que les traités, la paix, la protection du commerce, de la marine et des sujets des pays qui avaient accepté cette forme de vassalité. Il faut dire que les principaux Etats occidentaux étaient prêts à se plier aux exigences les plus infamantes pour conserver leur influence politique et militaire - auprès de l'Etat d'Alger et dans la Méditerranée - et leurs intérêts économiques puisque ce même Etat avait, notamment, continué à être le grenier de l'Europe. La patience de certaines nations avaient, toutefois, souvent cédé le pas aux opérations militaires et c'est ainsi qu'un conflit avait mis à mal l'amitié algéro-américaine. La détérioration des rapports avait commencé en 1812 lorsque le dey d'Alger avait montré son insatisfaction devant la valeur du « présent » qui lui avait été offert. La France et la Grande-Bretagne n'étaient pas étrangères à cette insolence et les conseillers juifs du souverain avaient parachevé le processus de dégradation qui a connu son point culminant avec l'expulsion du consul et des ressortissants américains ( ). En 1813, la saisie d'une frégate et d'une corvette de guerre qui appartenaient à la Régence d'Alger, par l'amiral Decatur ( ), avait accentué les inimitiés. En 1815, un violent accrochage avait opposé, en mer, une division américaine à une escadre algérienne. C'est au cours de cette confrontation, que certains auteurs appellent indûment « guerre », que le Raïs Hamidou, l'un des rares amiraux d'origine algérienne, avait perdu la vie ( ). Un second Traité de paix et d'amitié avait été signé le 30 juin 1815 et W. Shaler avait alors reçu son agrément comme consul général. La diplomatie menée par ce représentant des Etats-Unis aurait consolidé une amitié qui n'avait été accordée à aucun autre pays européen. Une clause du troisième traité, signé le 23 décembre 1816 à la suite du mémorable bombardement d'Alger par les flottes anglaises et hollandaises, conforte cette hypothèse car les Etats-Unis renonçaient officiellement au traitement préférentiel qu'ils avaient reçu jusque-là. Traité de paix et d'amitié du 5 septembre 1795 Article premier. Déclaration d'amitié. Art. II. Les navires américains pourront faire du commerce avec la Régence, moyennant le paiement des droits usuels. Les fournitures navales et militaires ne paieront pas de droits. Art. III. Les vaisseaux des deux nations circuleront librement. Art. IV. Les croiseurs algériens recevront des passeports qui leur seront remis par le consul des Etats-Unis ; ils ne pourront envoyer que deux hommes examiner les passeports, à bord des navires de commerce américains qu'ils rencontreront. Art. V. Défense aux capitaines des croiseurs algériens de se saisir de qui que ce soit sur un navire américain ou de le molester. Art. VI. Assistance sera donnée aux navires échoués. Art. VII. Les Algériens ne pourront pas vendre de vaisseaux de guerre aux nations en guerre avec les Etats-Unis. Art. VIII. Lorsqu'une prise, condamnée par la Régence d'Alger, deviendra la propriété d'un citoyen américain, le certificat délivré par le consul servira de passeport. Art. IX. Aucune puissance barbaresque, en guerre avec les Etats-Unis, n'aura le droit de vendre à Alger des prises faites sur les Etats-Unis. Art. X. Les Etats-Unis, en guerre avec une nation quelconque, pourront vendre, sans frais, à Alger, les prises qu'ils auront faites aux dépens de cette nation. Art. XI. Les vaisseaux de guerre des Etats-Unis seront reçus à Alger avec l'hospitalité habituelle. Les esclaves qui se réfugieront à leur bord seront restitués. Art. XII. Les esclaves seront susceptibles d'être rachetés, suivant convention à intervenir Les Américains, qui seront pris à bord de vaisseaux ennemis, et qui seront munis de passeports, seront remis en liberté. Art. XIII. Les biens des Américains morts intestats dans la Régence seront remis au consul. Art. XIV. Aucun citoyen des Etats-Unis ne pourra être obligé d'acheter des marchandises contre sa volonté. Le consul ne pourra pas être rendu responsable des dettes contractées par les citoyens américains. Lorsqu'un navire américain sera libre, le dey pourra l'affréter, et on lui donnera toujours la préférence : mais il devra payer le fret offert par une autre nation. Art. XV. Les contestations entre Américains et Algériens seront réglées par le dey ; celles entre Américains par le consul. Art. XVI. Tout Américain, qui blessera ou qui tuera un sujet de la Régence, sera puni selon les lois en vigueur dans celle-ci. S'il s'échappe, le consul n'en sera pas rendu responsable. Art. XVII. Le consul jouira d'une sécurité complète et pourra pratiquer sa religion en toute liberté. Il sera libre également de s'embarquer à bord de n'importe quel navire se trouvant dans les eaux de la Régence. Art. XVIII. En cas de guerre entre les deux puissances contractantes, le consul et ses concitoyens quitteront la Régence sans être molestés. Art. XIX. Les nationaux de l'une des deux puissances contractantes, pris à bord d'un navire appartenant à une nation en guerre avec l'autre, seront remis en liberté. Art. XX. Les navires de guerre seront salués de 21 coups de canon. Art. XXI. Les objets destinés à l'usage personnel du consul ne paieront pas de droits. Art. XXII. En cas de conflit, la guerre ne sera pas déclarée, jusqu'à ce que l'on ait épuisé tous les moyens de conciliation. Traité de paix et d'amitié du 30 juin 1815 Article premier. Les deux puissances contractantes bénéficieront du régime des nations les plus favorisées. Art. II. Aucun tribut, sous quelque forme que ce soit, même sous celle de présent, ne sera exigé des Etats-Unis sous aucun prétexte. Art. III. Tous les prisonniers, qui se trouveront au moment de la signature du présent traité en la possession de l'une et l'autre des deux puissances contractantes, seront restitués sur-le-champ sans rançon. Art. IV. Une compensation, pour les biens abandonnés par les citoyens américains dans la Régence, ou saisis sur des navires américains, sera donnée par le dey d'Alger. Celui-ci restituera également les balles de coton laissées par le dernier consul et paiera, en outre, à celui-ci, une somme de 10 000 dollars espagnols. Art. V. Si des marchandises appartenant à l'une des puissances contractantes se trouvent sur un navire d'une nation en guerre avec l'autre, lesdites marchandises ne seront pas saisissables. Art. VI. Les nationaux de l'une des puissances contractantes, arrêtés sur un navire d'une nation en guerre avec l'autre, seront remis en liberté. Art. VII. Tous les navires des deux puissances contractantes seront munis de passeports, qui leur garantiront libre navigation. Les vaisseaux de guerre algériens ne pourront faire visiter les navires de commerce américains, par plus de deux hommes ; toute offense commise par ces derniers sera punie. Art. VIII. Aux prises achetées par l'une des puissances contractantes, le certificat et l'acte de vente serviront de passeport pendant six mois. Art. IX. Les navires de l'une des puissances contractantes pourront se procurer dans les ports de l'autre les provisions qui leur seront nécessaires, et ce, au cours du jour. En cas de réparation, les cargaisons seront débarquées et rembarquées sans supporter de droits. Art. X. Lorsqu'un navire d'une des puissances contractantes s'échouera sur les côtes de l'autre, cette dernière lui fournira toute l'assistance nécessaire, sans demander le paiement d'aucun droit. Art. XI. La force devra être employée, si nécessaire, pour faire respecter la neutralité des ports. L'ennemi ne pourra pas, avant un délai de vingt-quatre heures, poursuivre un navire de l'une des puissances contractantes réfugié dans un port de l'autre. Art. XII. Au point de vue commercial, les deux puissances contractantes jouiront du régime des nations les plus favorisées. Art. XIII. Le consul ne sera pas responsable des dettes de ses concitoyens. Art. XIV. Les saluts des navires seront réglés d'après les mêmes conventions que celles des nations les plus favorisées. Les esclaves chrétiens qui se réfugieront à bord des vaisseaux de guerre américains auront leur liberté, et ce, sans rançon. Art. XV. Aucun incident né de la différence des religions pratiquées par les puissances contractantes ne pourra servir de prétexte à des contestations. Le consul pourra se rendre à bord de tout navire qu'il désirera visiter. Art. XVI. En cas de dispute entre les deux puissances contractantes, aucun appel aux armes ne sera fait avant que tous les moyens de conciliation aient été épuisés ; une période de trois mois sera consacrée à l'échange des propositions. En cas de guerre, le consul et ses concitoyens pourront quitter la Régence sans être molestés. Art. XVII. Les prisonniers de guerre seront échangés et ne seront pas jetés en esclavage. Art. XVIII. Les vaisseaux américains condamnés comme prises par une nation quelconque ne pourront pas être vendus à Alger. Les Américains pourront vendre leurs prises à Alger, en payant les droits établis. Art. XIX. Les contestations entre Américains ou entre Américains et étrangers seront réglées par les consuls des puissances intéressées ; celles entre Américains et Algériens seront réglées par le dey. Art. XX. Si l'un des nationaux d'une des puissances contractantes tue ou blesse un des nationaux de l'autre, l'affaire sera jugée suivant les lois de la Régence. Le consul ne sera pas rendu responsable de la fuite de l'inculpé. Art. XXI. Les marchandises destinées à l'usage personnel des consuls ne paieront pas de droits. Art. XXII. Le consul sera chargé de la conservation des biens appartenant aux Américains morts intestats à Alger. Traité de paix et d'amitié du 23 décembre 1816 C'est le même que celui de 1815, à l'exception des articles III et IV qui disparaissent d'eux-mêmes du nouveau texte. Un article additionnel et explicatif est par contre ajouté pour dire que les Etats-Unis renoncent à toute clause leur concédant un avantage que n'auraient pas les nations les plus favorisées.