D'après Jean-Guy Degos l'invention de la relation bijective remonte aux temps ou l'Homme a entrepris d'associer le cheptel et les mesures de grains tantôt à des cailloux, des osselets, ou des entailles sur la branche. Sous diverses formes, l'ancêtre de la comptabilité moderne a servi exclusivement de support de mémoire. Néanmoins, celle-ci a été contrainte d'aiguiser ses outils pour rendre compte de situations de plus en plus complexes, induites par l'amplification des échanges et le développement de l'industrie. Il faut dire que nous devons ” une fière chandelle” au moine vénitien Lucas Pacioli qui fit incuber, en 1494, l'idée géniale qui a marqué de son empreinte indélébile un tournant décisif dans l'Histoire de la conduite des affaires: La comptabilité à partie double est née. Aujourd'hui, il existe autant de comptabilités que de domaines d'application: Comptabilité générale, publique, analytique, budgétaire, et tutti quanti. Dans notre exposé, nous parlerons de la comptabilité générale dans la mesure ou elle constitue le domaine d'intervention du commissaire aux comptes, dont nous nous attellerons à dresser un canevas des rôles et des missions. Compte tenu de la position de l'entreprise au centre de l'environnement socio-économique, nombre d'intervenants sollicitent, revendiquent voire exigent l'information comptable pour connaître sa situation financière et patrimoniale. Ainsi, les actionnaires, le banquier et l'Etat, pour ne citer que ceux-là, attachent une importance primordiale à la comptabilité de l'entreprise respectivement pour connaître où en est la ” boite “, poser le diagnostic préalablement à l'octroi d'un crédit ou enfin pour asseoir l'impôt. La comptabilité de l'entreprise étant tenue d'une manière unilatérale par un professionnel ou un service ad hoc, il est difficile d'avancer avec certitude que les chiffres qui y sont portés soient irréprochables tant par rapport à l'application correcte des normes comptables et fiscales que par rapport à une éventuelle démarche répréhensible des dirigeants, visant par exemple à sous-estimer les résultats dégagés pour payer moins d'impôts ou exclure un associé de la répartition des bénéfices, qu'à les “doper” (paradoxalement) en vue d'obtenir un emprunt ou d'intéresser d'éventuels souscripteurs de capital ou carrément un repreneur. Eu égard au statut de la personne qui tient les comptes, Il est fort probable que le contrôle interne mis en place par l'entreprise ne puisse pas (ou ne daigne pas) “débusquer” d'éventuelles anomalies. Aussi, le législateur dans un souci d'encadrer la profession et de conférer le caractère d'intangibilité aux comptes sociaux produits par certaines entités socioéconomiques, a institué le dispositif de contrôle externe à même de lui imprimer l'attribut de légalité et de droiture. Qui est commissaire aux comptes ? Le commissaire aux comptes est souvent identifié par sa mission spéciale et permanente. C'est un professionnel de la comptabilité régulièrement inscrit sur le tableau de l'Ordre ; laquelle inscription est subordonnée à des conditions prévues par des textes législatifs, notamment de qualification et de diplôme. Il intervient auprès des sociétés par actions et assimilées et certains organismes publics, sur la base d'un mandat, en vue de certifier la régularité et la sincérité de leurs comptes. On aura remarqué que les notions de rôle et de mission se recoupent et se chevauchent aussi bien au plan lexical que doctrinal. Aussi, parlerons nous de rôle lorsqu'il s'agit de décrire la vocation du commissaire aux comptes dans l'environnement des entités concernées par ce type de contrôle d'une manière générale. En revanche, nous utiliserons la notion de mission pour énoncer les tâches spécifiques, légales et limitatives de ce professionnel de la comptabilité. Du ou des rôle(s) du commissaire aux comptes ? Nous aborderons le rôle du commissaire aux comptes essentiellement à travers trois aspects : “L'aspect économique : En certifiant Les comptes d'une société ou d'un organisme quelconque, le commissaire aux comptes leur confère un caractère de fiabilité et de crédibilité. Comme s'il s'agissait d'un contrôle ” par procuration “, les actionnaires, le banquier, le client, le fournisseur et toute tierce personne intéressé se trouvent plus confiants et rassurés devant des états financiers ” authentifiés ” par ce professionnel libéral plutôt que s'ils ne portent que la griffe du comptable ou du gérant. Ce dispositif est une garantie supplémentaire pour tous les ” consommateurs ” de l'information financière et comptable ; il tend de ce fait à sécuriser les rapports entre divers intervenants économiques. L'aspect social : A l'occasion de l'examen de la comptabilité, le commissaire aux comptes dispose de par son expérience, d'un certain nombre de paramètres qui renseignent sur la santé financière de la société. Ainsi, lorsque certains indicateurs virent au rouge, le commissaire aux comptes prévient les dirigeants du risque encouru par leur société, tel que le dépôt de bilan qui s'impose lorsque la société perd plus de fl de son capital social. Il en est de même lorsqu'il est relevé une utilisation irrationnelle des ressources ou que la trésorerie accuse un déséquilibre compromettant. On rassemble tous ces facteurs sous le vocable de ” procédure d'alerte ” qui couve parfois, comme nous le verrons plus loin, un conflit latent avec le principe de non immixtion dans les actes de gestion, également consacré par la loi. L'aspect juridique et judiciaire : Ce volet évoque immanquablement la responsabilité du commissaire aux comptes. Cette responsabilité est en fait double : pénale lorsqu'il est question de révéler au procureur de la république tous les faits délictueux dont il a pris connaissance à l'occasion de l'examen des documents ou de toute autre investigation menée en vertu des attributions qui lui sont conférées par la loi. A cet effet, le commissaire aux comptes est considéré comme un auxiliaire du parquet. Autre son de cloche, la responsabilité est contractuelle lorsqu'il y a manquement au devoir d'informer les actionnaires et/ou les dirigeants sur d'éventuelles questions ou dysfonctionnements touchant à la vie de leur société. Enfin, les cas d'infraction et de manquement aux règles professionnelles et déontologiques sont portés devant la commission de discipline de l'ordre national des experts comptables, commissaires aux comptes et comptables agréés. On parle alors de responsabilité disciplinaire. Des missions du commissaire aux comptes : Pour adopter une démarche cohérente, nous parlerons des missions dévolues au commissaire aux comptes d'abord à la lumière de la loi 91 – 08 du 27 avril 1991 qui constitue la loi-cadre en la matière et ensuite, en recueillant les dispositions relevant de son domaine d'intervention lesquelles dispositions sont essaimées dans le code de commerce algérien et divers textes législatifs. Les missions principales (Loi 91 – 08) : -Certifier que les comptes annuels sont réguliers et sincères : Les termes réguliers et sincères nous renvoient respectivement aux concepts de norme et de bonne foi. En effet, s'il est aisé de confronter un résultat ou une procédure à une norme comptable ou fiscale laquelle réduit au minimum la marge de manoeuvres des aléas de l'interprétation, il sera par contre plus délicat de certifier la bonne foi qui repose exclusivement sur des données subjectives telles que l'état des connaissances et l'intention (au sens juridique du terme). A ce propos, Chakib Boulahdour, expert comptable note que nous sommes devant ” une formule de compromis maladroite ” dès lors que nous sommes amenés à certifier ” quelque chose de subjectif qui est la sincérité”. Nous noterons que la notion de sincérité est étroitement liée au principe de l'image fidèle que toute comptabilité doit refléter. En fait, conscient de cette situation délicate, le législateur a procédé au tracé de la frontière jusque là imprécise qui existe entre les attributions du commissaire aux comptes d'une part et les actes qui lui sont interdits d'autre part : il a balisé son parcours à travers la décision N° 103 du 2 février 1994 relative aux diligences professionnelles du commissaire aux comptes. – Vérifier la concordance du rapport de gestion préparé par les dirigeants avec les données ressortant de la comptabilité: L'assemblée générale mande le commissaire aux comptes pour lui rendre compte de la gestion des dirigeants préalablement à l'approbation des comptes sociaux qui doit intervenir avant le 1er juillet de chaque année, (toute prorogation de délai ne peut se faire que sur ordonnance du tribunal compétent). Pour prémunir ce dispositif de toute entente possible entre les dirigeants d'une part et le commissaire aux comptes d'autre part, la loi a prévu une batterie d'incompatibilités énoncée par le code de commerce et la loi 91-08. C'est ainsi qu'il est interdit, à titre non exhaustif, au commissaire au comptes d'accepter une mission dans une société dans laquelle il détient des participations, exerce une fonction de conseil fiscal, occupe un emploi salarié ou compte un parent jusqu'au quatrième degré parmi les dirigeants. – Vérifier la régularité des conventions et contrats signés entre la société contrôlée et les sociétés affiliées d'une part et celles contrôlées directement ou indirectement par les administrateurs et dirigeants de la société contrôlée d'autre part. Le but visé à travers cette mesure est bien entendu de s'assurer de la sauvegarde des intérêts des actionnaires par les dirigeants dont les actes de gestion, notamment lorsque les décisions ne sont pas prises en assemblée générale, peuvent nuire – intentionnellement ou non – à la bonne marche de la société particulièrement par le biais de transferts dommageables voire frauduleux. – Alerter les dirigeants en cas de constatation de toute défaillance pouvant compromettre les équilibres financiers de la société ou entraîner purement et simplement sa mise en liquidation. Cette mesure s'inscrit logiquement dans la perspective de garantir la continuité de l'exploitation d'autant que l'environnement économique a bouleversé depuis des décennies l'ordre des choses : alors que l'objectif principal de l'entreprise était le profit, il est devenu de nos jours tout autre : l'objectif de survie a supplanté celui du gain. Il est fait remarquer à ce propos que si le nombre d'entreprises qui ferment est à peu près équivalent au nombre d'entreprises qui se créent chaque année, ce premier peut même dépasser le second en période de récession. Ensuite, le législateur complète cet alinéa relatif à la procédure d'alerte par le principe de non immixtion dans la gestion évoqué infra. Par acte de gestion, on entend toute décision prise par les dirigeants dans le cadre de leur gouvernance. On parle alors d'acte normal ou anormal de gestion qui repose le plus souvent sur le pouvoir discrétionnaire des administrateurs quant à l'orientation qu'il convient de donner à la marche de la société en matière commerciale, financière, de production ou de ressources humaines par exemple. La question se trouve dénouée en matière fiscale (le fisc étant également tenu de respecter ce principe) notamment par le truchement du plafonnement des charges en matière d'IRG-IBS, de la limitation du droit à déduction en matière de TVA, ou par le mécanisme des réintégrations lorsque les frais et/ou la TVA déduits ne concourent pas directement à l'exploitation de l'affaire. En revanche, la question n'est pas tranchée, à notre avis, pour le commissaire aux comptes qui doit déclencher le dispositif d'alerte tout en se gardant d'avoir un œil critique sur l'administration des affaires, fondamentalement parce qu'il ne peut disposer d'indicateurs fiables en faisant l'impasse sur les actes de gestion. – Enfin, le commissaire aux comptes peut être amené à certifier les comptes consolidés établis par la société ou l'organisme qu'il vient de contrôler dans la mesure ou cette entité fait partie d'un groupe. Pour ce faire, il s'appuie sur les documents comptables et les rapports de ses confrères portant certification des entreprises comprises dans le périmètre de consolidation du groupe. Les missions accessoires : En plus des mission principales évoquées ci-dessus, le commissaire aux comptes peut être appelé à remplir d'autres missions prévues par les textes législatifs, nous citons à titre d'exemples : – Le commissaire aux comptes doit s'assurer que le conseil d'administration ou le conseil de surveillance selon le cas détient au moins 20 % du capital social de la SPA et que chaque membre dispose du nombre d'actions prévues par les statuts. Cette mesure est très importante dans la mesure ou les actions des membres du conseil sont destinées à couvrir leurs actes de gestion (Articles 621 et 659 du code commerce). – Le commissaire aux comptes doit s'assurer du respect de l'égalité entre actionnaires (Article 715 Bis 4 du code de commerce). – Le commissaire aux comptes encadre certains évènements importants dans la vie de la société tels que la fusion – scission, la modification du capital et l'émission de valeurs mobilières (actions et obligations). – Le commissaire aux comptes en charge de la certification des comptes d'un établissement bancaire (avec l'assistance d'au moins un confrère) doit porter à la connaissance du gouverneur de la Banque d'Algérie toute infraction commise par la banque contrôlée (ordonnance 03-11 du 26 août 2003 relative à la monnaie et au crédit). – Certification des 10 ou 5 meilleures rémunérations servies par la société selon qu'elle excède ou non 200 salariés (Article 819 du code de commerce) . En conclusion : Depuis la promulgation de la loi française de 1867 qui a institué le dispositif de contrôle par le commissaire aux comptes, le rôle et les missions de ce professionnel de la comptabilité n'a jamais cessé d'évoluer pour s'adapter aux nouvelles donnes économiques et sociales. Ainsi, cette mesure, qui n'avait concerné à ses débuts que les sociétés par actions, a fait tâche d'huile pour toucher tour à tour les entreprises publiques économiques, les associations, les mutuelles, les syndicats, les associations et les sociétés de capitaux de droit privé. Nous avons l'impression de trop demander au commissaire aux comptes. Pourtant, nous lui demanderons sûrement davantage ! En effet, le redémarrage de l'activité boursière, les développements institutionnels et le déploiement du partenariat dans un contexte de globalisation accrue plaideront à coup sûr pour le renforcement et la mise à niveau de la profession de commissaire aux comptes. Encore faut-il pour atteindre ce but mettre en place la nouvelle normalisation comptable qui s'annonce notamment par l'adoption des normes comptables internationales dites IFRS, initier un plan de formations à nos professionnels et enfin dédier un cadre organisé à la jurisprudence qui passe par la création de juris-classeurs lesquels font cruellement défaut aux commissaires aux comptes nationaux qui n'ont d'appui qu'une doctrine éparse (même si elle est qualitativement consistante) et l'échange d'expériences puisées des rapports de certification établis par des confrères. Bibliographie : – Jean Guy Degos, La comptabilité. Edition Flammarion 1998 – Chakib Boulahdour, La mission du commissaire aux comptes – Revue algérienne de comptabilité et d'audit n°14 – 2° trimestre 1997. – Ali Matallah et Hassina Charikh, De certaines professions libérales, recueil de textes législatifs et réglementaires, Edition Dar Houma 2006 – Dictionnaire Revue fiduciaire fiscal 18e édition 2003 – Loi 91-08 du 27/04/1991 relative à la profession d'expert comptable, de commissaire aux comptes et de comptable agréé. – Ordonnance 75-59 du 26/09/1975 portant code de commerce modifié et complété – Codes des impôts, Berti Editions 2006