La drogue se transporte désormais par tonnes. Le réseau des narcotrafiquants s'organise et mène une offensive sans précédent. Les trafiquants de drogue semblent avoir changé de « stratégie » et d'itinéraire aussi, pour inonder le monde avec leur dangereuse marchandise. Intrépides, ils bravent tous les dangers et traversent toutes les frontières pour arriver à leurs fins. Béchar. De notre envoyé spécial Avec les gendarmes garde-frontières (GGF), nous avons suivi leurs traces. Béchar sud-ouest. Dimanche, 26 avril 2009. Il est 9h30. Accompagnés du commandant du groupement du 9e GGF, Ali Hamadouch, et de son équipe, nous avons pris la route vers la frontière algéro-marocaine (extrême ouest de la wilaya de Béchar). Destination : Oued Kaïbet, à 7 km de la frontière avec le Maroc, où une importante quantité de kif a été récupérée (4,06 t) vendredi dernier, après un violent accrochage avec le groupe des narcotrafiquants. Cette vaste étendue du désert est devenue la destination préférée des trafiquants. Pour contourner le dispositif de lutte contre le trafic de stupéfiants mis en place dans le nord du pays, notamment à Tlemcen, ces derniers descendent vers le Sud. Et là, ils ne font pas dans le détail. Avec de gros moyens, ils se livrent à un véritable jeu de cache-cache avec les gardes-frontières. A bord de véhicules rapides, solides et hyperéquipés (Toyota Station), ils guettent le moindre relâchement des éléments des GGF pour faire passer leur marchandise. « Ils (les narcotrafiquants) ont changé leurs comportements. Sachant qu'ils risquent leur vie, les trafiquants tentent le tout pour le tout en transportant de grosses quantités de drogue. Et pour cela, ils se déplacent en groupes et n'hésitent pas à utiliser les armes quand ils sont acculés par nos éléments », déclare le commandant Hamadouch, qui précise que les contrebandiers ont abandonné les cigarettes pour se consacrer exclusivement au trafic de stupéfiants. « Le marché des cigarettes n'est plus porteur, les narcotrafiquants préfèrent alors le commerce de la drogue. Durant le premier trimestre de l'année en cours, nous n'avons saisi que des quantités infimes de cigarettes », ajoute-t-il. Le bilan des saisies enregistrées par les GGF durant les quatre premiers mois de l'année en cours témoignent de l'ampleur du phénomène : plus de 10 t de drogue récupérées en l'espace de trois mois. Les deux dernières prises – 3,5 t en mars dernier et 4,06 t, le 24 avril dernier – sont les plus importantes. « C'est un réseau international ! » Ces chiffres confirment l'intensification de ce trafic en comparaison des deux précédentes années. D'où viennent-ils et vers quelle destination se dirigent-ils ? Qui sont-ils ? Pourquoi choisissent-ils la région de Béchar ? Le point de départ du trafic est le Maroc. Selon les responsables des 9e et 10e groupements des GGF, c'est dans la région marocaine de Kem Kem, située dans le département d'Errachidia, que les marchands de drogue démarrent. « Nous avons en face de nos frontières la zone de Kem Kem qui est la localité où l'on cultive de la drogue. Etendue sur 40 km le long des frontières, cette zone constitue le point de départ du réseau en question », explique Debar Rassou Kamel, chef d'état-major (10e GGF). « Les trafiquants, explique-t-il, ne sont pas d'une même nationalité. » « C'est un réseau international constitué de Marocains, d'Algériens, de Mauritaniens, de Maliens, de Nigériens, de Libyens et d'Egyptiens. Chaque groupe opère dans son pays d'origine pour faire parvenir la marchandise à destination. Leur itinéraire est bien tracé. Ils partent du Maroc, passent par Béchar et Tindouf et entrent ensuite en Mauritanie. De là, ils traversent les pays du Sahel pour arriver en Egypte en passant, bien sûr, par la Libye », souligne notre interlocuteur. Le commandant Hamadouch abonde dans le même sens. Pour lui, « 99,99% de la marchandise transitant par les frontières est destinée au marché étranger ». « Les quantités énormes saisies ces derniers mois confirment cette hypothèse. La quantité destinée à la consommation interne n'atteint pas 1% de la totalité de la marchandise saisie », estime-t-il. Les GGF sur le pied de guerre Le choix porté sur les régions de Béchar et de Tindouf pour faire transiter cette marchandise s'expliquer par plusieurs facteurs. Voyant que les voies maritimes se ferment devant eux après les pressions de l'Union européenne sur le Maroc, les narcotrafiquants se tournent vers les voies terrestres. Le relief de la région de Béchar et la longueur des frontières sont pour eux la voie idéale pour développer encore plus leur trafic. « Les frontières des wilayas de Béchar et de Tindouf avec le Maroc s'étendent sur près de 2000 km. Les narcotrafiquants savent qu'il est difficile de surveiller toute cette bande », soulignent nos interlocuteurs. Sur un terrain nu, les narcotrafiquants choisissent généralement la nuit pour tenter la traversée. Comment freiner leur activité ? Les GGF, en dépit du manque de moyens et d'éléments, ont mis en place leur stratégie. Par groupements, ils tentent de couvrir plusieurs points de passage des trafiquants. « Chaque groupement couvre un couloir. Les éléments des GGF suivent leurs traces et dressent des embuscades », expliquent les gendarmes. C'est ce que nous avons constaté au niveau de Ouaglat Brabar, Oued Kaïbet, des zones très proches des frontières. Mobiles et dynamiques, plusieurs escadrons des GGF se déploient tout au long des frontières et tendent des pièges aux « visiteurs ». Bien camouflés, les gardes-frontières tendent des embuscades qui durent parfois plus de deux jours. « Nos éléments sont conscients de la gravité de la situation et ils sont déterminés à lutter contre ce fléau », affirme le commandant régional de la 3e région de la Gendarmerie nationale, Blidi Salah. Selon lui, malgré les difficultés du terrain et l'absence de la population dans la région qui peut leur fournir des informations, les éléments des GGF ont appris à compter sur leurs propres moyens et mettre à profit leur expérience.