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Le juge sans peur et sans reproche ?
Baltasar Garzon. Le va-t-en guerre contre les non-droits et les dérivs de la lutte anti-terroriste
Publié dans El Watan le 30 - 04 - 2009

« Si les empires, les grades, les places ne s'obtenaient pas par la corruption, si les honneurs purs n'étaient achetés qu'au prix du mérite, que de gens qui sont nus seraient couverts, que de gens qui commandent seraient commandés. » Shakespear
Ses détracteurs l'accusent de rechercher la notoriété en s'autoproclamant accusateur public et d'avoir gardé un fonds des idéaux d'extrême-gauche de sa jeunesse. Il a implosé le PSOE, en dénonçant le ministre de l'Intérieur pour fait de torture. Le grand ménage a valu la chute du parti qui était au pouvoir depuis 14 ans. L'ETA est son pire ennemi
À 54 ans, il poursuit bon an mal an son combat avec comme mission première de traquer tous les criminels, notamment ceux coupables de crimes contre l'humanité. Dans sa ligne de mire, une catégorie un peu particulière, composée d'hommes puissants qui, le plus souvent, ont changé d'identité et qui pensent absoudre leurs méfaits, en vivant incognito dans des contrées éloignées ou des paradis fiscaux. Baltasar Garzon, ce magistrat espagnol qui a consacré sa vie à démonter les filières du terrorisme et à pourchasser les dictateurs, proclame sa foi dans Un Monde sans peur, livre autobiographique dans lequel il évoque le pourquoi de son engagement dans cette voie si périlleuse où il risque gros. L'assassinat par la mafia italienne de son ami Giovanni Falcone, qui avait donné du fil à retordre aux réseaux organisés de seigneurs de la drogue et du crime, lui a donné à réfléchir, sans pour autant l'amener à renoncer à sa mission. « Moi, j'ai la modeste ambition de contribuer à un monde meilleur débarrassé de ses frayeurs. J'ai intitulé mon livre Un Monde sans peur, parce que je pense qu'il faut arriver à surmonter ce sentiment », concède cet amateur de football qui vibre aux exploits de Barcelone et qui s'éclate dans un stade, comme le ferait le commun des supporters. Garzon, élevé au rang de justicier planétaire, est conscient de son aura et de la place privilégiée qu'il occupe au sein de la magistrature universelle. Il sait que si d'aventure il succombe à la folie des grandeurs, celle-ci le perdra. C'est pourquoi, il garde les pieds sur terre. Son leitmotiv est toujours le même : ce n'est jamais la justice qui rend la justice, ce sont des juges, c'est-à-dire des hommes et des femmes susceptibles comme tout autre de commettre des erreurs. Mais l'intrépide juge sait que sa popularité le sert plus qu'elle ne le dessert.
Le tombeur de Pinochet
Cheveux poivre et sel gominés, cravate bariolée, l'hidalgo flamboyant, toujours tiré à quatre épingles qui a fait trembler l'ETA, Pinochet ou les juridictions jugées par lui trop laxistes de par le monde, se montre humain et très chaleureux. Né en Andalousie en 1955, il a dès sa prime jeunesse voulu devenir juge, « frappé par les inégalités et les injustices qui rythment la vie en société. Franco régnait en maître sur l'Espagne et les disparités entre les classes sociales étaient criantes ». Ce gamin de la fière Andalousie a grandi aux abords de la station-service où son père était employé. Debout à l'aube pour nourrir les bêtes et arroser le lopin familial, avant de faire à pied les kilomètres qui le séparent de l'école. Il se rêvait missionnaire. Il sera juge. Plutôt anonyme, sa carrière sera boostée par sa volonté de sortir des chemins conventionnels pour aller taquiner les impunités et les immunités. Prisons secrètes, Guantanamo, Abou Ghraïeb, Pinochet et une brochette d'autres affaires tout aussi scandaleuses le catapultent au-devant de la scène.
En 1988, Garzon devient juge de l'Audience nationale. Cinq ans après, il entre au gouvernement de Felipe Gonzalez comme conseiller spécial, mais démissionne peu de temps après. Il confiera plus tard, « qu'il n'avait pas trouvé d'affinités avec la politique : un monde difficile, où les gens trop honnêtes n'ont pas de place ». Ses valeurs essentielles sont la solidarité, la tolérance et la rébellion qui constituent le socle sur lequel il a patiemment construit sa personnalité. « En politique, admet-il, des gens qui ne savent rien pensent qu'ils savent tout. C'est ce qui les désigne pour une carrière politique », écrit-il avec dérision dans ses mémoires. Qu'à cela ne tienne. Bien qu'échaudé par ce milieu, Garzon n'en garde pas moins un œil vigilant sur les pratiques souvent contestables des politiciens défiés et mis à l'index dans les procès qu'il intentera aux hors-la-loi. Le plus célèbre d'entre eux, et qui fera sa réputation, est le dictateur Pinochet, auquel il livrera une rude bataille et qu'il réussira à faire arrêter en 1998. Son bras de fer avec l'armada d'avocats de l'ancien dictateur chilien avait défrayé la chronique. Le mandat d'arrêt international lancé contre Pinochet avait au départ échoué dans les méandres de la diplomatie. Peu après la fin de cette affaire, Garzon réapparaît avec une liste d'une centaine de militaires et policiers argentins, auteurs d'actes délictueux et criminels. Fort de la renommée internationale acquise, notre magistrat demande à entendre comme témoin l'ancien secrétaire d'Etat américain, Henry Kissinger, sur l'opération Condor, du temps où Washington et la CIA faisaient fleurir les dictatures en Amérique latine. En exhumant des affaires passées, en les médiatisant au maximum, Garzon irrite certains milieux qui voient en lui un mélange de Don Quichotte qui a fait de l'impunité sa cible favorite, mais aussi un mégalomane qui fait montre d'un exhibitionnisme ostentatoire pour titiller son ego. Les terroristes de l'ETA principalement en ont fait leur ennemi numéro un, à un point tel qu'il est devenu l'un des hommes les plus menacés d'Espagne qui ne se déplace pas sans une protection politicière renforcée. « Je suis devenu juge dans le but que l'ETA cesse un jour son activité criminelle. J'espère que nous assistons au début de la dissolution de cette organisation qui a tué des dizaines de personnes dans mon pays. »
Il a fait imploser son parti
Lorsqu'on lui demande s'il n'en faisait pas trop, il répond calmement : « Je n'ai jamais cherché la renommée. Si c'est elle qui vient vers moi, tant mieux. J'ai embrassé cette profession de juge pour rendre leur dignité aux victimes. Et trait de la même manière faibles et puissants. L'équité en justice, c'est basique. Mais mettre ce principe en application voilà la difficulté. » Il essaie pourtant de s'y coller. N'a-t-il pas fait emprisonner Jose Barionuevo, ex-ministre de l'Intérieur espagnol, impliqué dans le scandale des Gal, ces groupes anti-terroristes aux ordres du gouvernement socialiste ? D'ailleurs, le dossier des GAL qu'il ouvre va mettre fin à14 ans de régime socialiste. Il s'attaque ensuite à Berlusconi, ami personnel d'Aznar, sur un délit de fraude fiscale en relation avec l'achat de la chaîne espagnole Telecinco. Aznar et ses amis le mettent en garde, l'accusant de violer le devoir de réserve de la magistrature. « Ce que j'ai dit et ce que je pense, je le maintiens aujourd'hui. Je l'ai maintenu hier et je le maintiendrai tous les jours de ma vie, parce que je crois que défendre la liberté mérite tous les risques et défendre la paix plus encore. Le juge Garzon ne répond aux ordres de personne. Et cela n'est pas près de changer », tempête-t-il, envahi par la colère. En matière de terrorisme, vouloir utiliser la torture, c'est à la fois illégal et inefficace, s'agace-t-il, faisant référence au scandale de la prison d'Abou Ghraïeb. La guerre d'Irak, « la sale guerre » qu'il a toujours dénoncée, est une grande plaie ouverte qu'il sera difficile de guérir, soutient-il en se barricadant derrière ses principes. « On me traite parfois d'utopiste. Pour moi, l'utopie est la mère de l'espérance. Si tout est défaite ou conformisme, rien ne bouge. »
La « sale guerre » d'Irak
Selon le juge, les pratiques américaines en Irak et ailleurs sont une violation systématique des droits fondamentaux. Leur seul résultat est d'accroître de façon exponentielle le degré de violence de ceux que l'on est censé combattre, de les radicaliser davantage en exposant les populations civiles à des risques de plus en plus grands. Outre le fanatisme religieux qui peut conduire à la violence, aujourd'hui, c'est l'islamisme, mais il faut se rappeler comment le catholicisme a fabriqué l'Inquisition. On assiste surtout dans les pays occidentaux à un phénomène de marginalisation, de délinquance ordinaire qui bascule facilement vers l'extrémisme. Le combattre en utilisant une forme de violence qui s'exonère des règles fondamentales du droit est aussi un crime, soutient l'homme de droit qui traque les dérives partout où des exactions sont commises. Par exemple, Baltasar a accepté d'ouvrir une enquête pour déterminer le rôle du Maroc dans les actes de torture commis entre 1976 et 1987 au Sahara-Occidental. Des associations de défense de droits de l'homme et des familles de victimes l'avaient saisi en septembre 2006 et il avait jugé la plainte recevable. Puis, le juge a décidé de s'attaquer au dossier du franquisme en décidant d'autoriser l'exhumation de la dépouille du maître d'école Dioscoro, exécuté en 1936 par les franquistes et enterré dans la même fosse commune que le poète Federico Garcia Lorca, qui a connu le même sort tragique. « Les crimes contre l'humanité ne peuvent être amnistiés, ce qui justifie l'ouverture de mon instruction sur les dizaines de milliers de victimes républicaines de la guerre civile (1936-1939) et de la dictature de Franco (1939-1975). Toute loi qui cherche à effacer un crime contre l'humanité qui ne peut être assimilable à un crime ou délit politique sera nulle de plein droit », avait appuyé le juge dans son procès-verbal.
Mais l'arroseur est parfois arrosé. Garzon est mis en cause pour ses penchants religieux exagérés. En effet, les amis de Tayseer Alouni, journaliste d'El Jazeera, accusé de complicité avec la nébuleuse terroriste qui l'a incarcéré en Espagne, lui reprochent son penchant pour des thèses tout aussi extrémistes lorsqu'il développe les thèmes les plus traditionnels de la frange la plus dure du catholicisme espagnol, en défendant l'Occident et ses valeurs chrétiennes ; « face au péril islamique », Garzon explique qu'il n'en est rien et que dans ce cas d'espèce, ce n'est qu'une simple diversion de ses contempteurs pour détourner l'attention. C'est un prolétaire de la « justice qui place les notions de liberté et de droit au-dessus de tout. Cela pourrait n'être que des grands mots. Chez lui ce sont des actions concrètes. Dix fois, vingt fois, il aurait pu abandonner sa carrière de juge pour des emplois mieux rémunérés, mais il pense sincèrement que la justice a besoin de lui », écrit Pilar Urbano dans le livre Garzon el hombre que veria amanecer (l'homme qui voyait le lendemain), un livre biographique qu'il lui a consacré en 2000.
Parcours
Baltasar Garzon est né le 26 octobre 1955 à Torres en Espagne. Il a accédé au poste de magistrat instructeur de l'« Audencia national », l'une des plus hautes instances juridictionnelles d'Espagne. Il s'est fait connaître au niveau international en lançant un mandat d'arrêt contre l'ex-dictateur chilien, Augusto Pinochet, afin de l'entendre sur la mort et la torture de citoyens espagnols à la suite du coup d'Etat de 1973 au Chili. Puis, il s'attaqua aux tortionnaires argentins, à Silivio Berlusconi, au blanchiment d'argent. Il critiqua le gouvernement des Etats-Unis pour la détention illégale de suspects d'Al Qaïda sur la base militaire de Guantanamo. Garzon mena campagne contre la guerre en Irak de 2003. La guerre contre l'ETA en fait l'un des hommes les plus haïs de cette organisation et l'un de ceux qui bénéficient de la meilleure protection policière de son pays, exposé qu'il est aux menaces de mort des indépendantistes basques.


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