– Comment s'est effectué votre enrôlement au sein du PPA ( Parti du peuple algérien) en 1942 ? – J'ai adhéré au PPA suite à un événement qui a totalement bouleversé ma vie. Un de mes amis Salah Arbouz est revenu de vacances avec un tract rédigé par les militants de la jeunesse du PPA, s'adressant aux jeunes voulant adhérer à ce parti clandestin. En lisant le document en question qui appelait à l'indépendance de l'Algérie, je fus surpris d'apprendre que des gens s'organisaient en vue de rejeter le joug colonial. Je partageais leur opinion car l'humiliation des Imazighen, les hommes libres, que je ressentais, à chaque pas, au marché ; dans la rue, face à l'arrogance des colons, des autorités françaises et de leurs valets indigènes, me révoltait. Le tract rapporté par mon ami répondait, en quelque sorte à mon attente. Je saisis, tout de suite l'occasion pour demander à Salah Arbouz, comment il fallait faire pour adhérer à cette formation. Ainsi, il me promis de me mettre en contact avec l'un des responsables du PPA, un certain Zerouali qui habitait Dellys. Mon ami m'informa que nous pourrions le rencontrer, le lundi d'après au marché hebdomadaire de Baghlia. La rencontre avec Zerouali constitue mon premier pas au sein du PPA, qui allait conditionner toute mon existence. – Pouvez-vous revenir sur l'historique du déclenchement de la révolution en 1954 ? – En 1926 fut créée l'Etoile nord-africaine ayant justement pour but la libération des trois pays du Maghreb du joug colonial français. Dissoute en 1937 par le gouvernement français du Front populaire , l'Etoile nord-africaine donna naissance, la même année en Algérie, à un nouveau parti, le PPA. Le PPA fut dissout à son tour en 1939 mais continua à œuvrer dans la clandestinité. Officiellement, le PPA fut remplacé en 1945 par le MTLD, parti reconnu qui a participé aux élections à l'assemblée nationale française. En 1947, le congrès du PPA-MTLD décida de mener la lutte sur deux plans : officiellement par la voie parlementaire et clandestinement par la création de l'Organisation secrète dans le but de préparer la lutte armée en vue d'accéder à l'indépendance. La crise des années 1950 due au démantèlement de l'OS par l'administration française et sa dissolution par le parti, provoqua une scission au sein du PPA. C'est ainsi que des anciens cadres de l'OS créèrent en 1954 le comité révolutionnaire pour l'unité et l'action. La scission du MTLD fut définitivement accomplie lors de la tenue du congrès des Messalistes en Belgique en juillet 1954, où Messali créa le Mouvement national algérien, suivi de celui des centralistes. Dans l'impossibilité d'unir les deux fronts, le CRUA s'est préparé à l'action en donnant naissance au FLN et ce, à l'insu de son chef historique Messali El Hadj. Début juin, Boudiaf et les 21 préparent l'insurrection armée qui allait aboutir au déclenchement de la révolution armée en novembre 1954. – Comment avez-vous appris l'événement ? – Par le biais de la presse. Cette série d'actions armées à travers le territoire algérien, m'a parue comme une bouée de sauvetage. Au cours de l'été 1954, pendant que certains à Alger commençaient à s'organiser, nous essayions de rester informés. Mon contact permanent était Hachemi Hammoud, membre du comité central du MTLD et du CRUA. Les prometteurs du CRUA déployèrent des efforts pour rapprocher centralistes et Messalites. Ainsi Benboulaïd, Didouche Mourad et Hachemi Hammoud se rendirent à Paris pour persuader Messali. Nous nous rencontrâmes à cette occasion dans un café parisien. Ils étaient venus pleins d'espoir à cette rencontre de la dernière chance pour le vieux leader. Messali s'était montré intraitable. Nous, les anciens militants, nous nous trouvions à Paris à l'écart des préparatifs concrets mais nous étions tout de même au courant que quelque chose se préparait. Le lendemain du 1er novembre, nous cherchions à en savoir plus et surtout à entrer en action sans plus attendre les instructions d'Alger. Ali Mehsas et moi tentâmes de regrouper les anciens militants alors que le FLN n'avait pas encore installé ses premières cellules. Il fallait être prudent car la plus grande majorité de l'émigration est restée fidèle au «zaïm». Quelque temps plus tard, nous prîmes contact avec des gens de la gauche française, des syndicats et des mouvements associatifs. Avant même d'établir un contact organique direct avec ceux qui ont pris les armes, nous étions certains que la déflagration, ne pouvait venir que de nos compatriotes de l'OS. Nous prîmes des initiatives de notre propre chef jusqu'au jour où Mohamed Boudiaf intervient. – Quel a été son apport à l'organisation de la Fédération ? – En qualité d'ancien responsable de la fédération du MTLD en France, il connaissait des militants avec lesquels il entretenait des relations de confiance. Il chargea Mourad Terbouche de créer la cellule initiale du FLN en France. Terbouche s'entoura d'un staff constitué de Ahmed Doum, Mohamed Mechati, Fodhil Bensalem, Abderrahmane Guerras et Abdelfrim Souici, lesquels allaient donner naissance à la Fédération de France du FLN. Au moment où les premiers militants commençaient à s'organiser, d'autres militants et moi-même n'étions pas membres de la structure. Par contre, nous étions en relation avec nos villages d'origine. Dans notre groupe, Omar Oussedik abandonna Paris dès le déclenchement pour rejoindre Alger. Puis Mahsas se rendit au Caire, à l'appel de Ben Bella, a qui il était lié depuis longtemps. En avril 1955, je décidai de quitter la France à mon tour. Je me proposais de rejoindre le maquis en transitant par le Maroc. – Vous avez été à la tête de la Fédération de France de 1957 à 1962. Quelle est votre appréciation sur la reconnaissance tardive de la France des massacres du 17 octobre 1961 ? – Les événements du 17 octobre 1961 ont constitué un épisode crucial de la lutte de l'émigration. Cette manifestation a marqué un tournant dans son histoire. Plusieurs années se sont écoulées avant que l'on ne reconnaisse enfin le sacrifice des noyés de la Seine et du Canal Saint-Denis et les pendus du Bois de Vincennes, et que l'on donne à cette date une signification mémorable en la décrétant «Journée nationale de l'émigration». Il est important de noter que les morts du 17 octobre ne constituèrent qu'un faible contingent par rapport à ces milliers d'émigrés abattus par la police ou par leurs anciens frères du MNA, guillotinés dans les prisons, pendus aux arbres par les services de répression avec la mention calomnieuse « Traître au FLN». J'ai été un peu l'initiateur de la promulgation de cette journée de l'émigration. Ayant été membre du bureau de l'organisation national des moudjahidine, j'avais insisté sur l'importance de cette date qui ne devait pas laisser indifférent. – Vous affirmez dans votre livre que si l'on devait situer les responsabilités de la fracture de 1962, force est de constater qu'une partie incombait au GPRA. Pourriez-vous être un peu plus explicite ? – Le GPRA détenait le pouvoir officiel et n'avait pas su préserver l'indispensable unité. D'ailleurs, chacun y jouait son propre jeu, aussi bien les « Trois B», que les autres ministres. Ils en portaient la responsabilité. D'autres groupes et d'autres personnes ont également manœuvré pour essayer d'écarter les « trois B» et s'insérer dans les fissures d'un gouvernement provisoire ébranlé, afin d'accéder à la nouvelle direction du pays. L'un des ministres, Ben Bella, avait mieux compris que les autres quelle stratégie il fallait adopter. Il s'agissait de s'appuyer sur une armée stationnée aux frontières qui pouvait alors impunément braver un pouvoir rendu chancelant, parce que divisé. Cette armée avait besoin d'un porte-étendard, d'un écran civil qui rassure l'opinion publique faca à une prise de pouvoir éventuelle. Ben Bella pouvait d'autant mieux remplir ce rôle qu'il l'avait joué lors de sa détention. En résumé, l'Etat major des frontiéres avait besoin d'une enseigne respectacle et Ben Bella d'une force armée. Cette alliance conjoncturelle permit une prise relativement aisée du pouvoir. A la veille du cessez-le-feu, la direction manqua de cohésion. Déjà, pendant leur détention, «les cinq» ne s'entendaient pas. Les «trois»leaders qui exerçaient en fait le commandement, à Tunis, sont également divisés entre eux. Ils étaient aussi avec les autres membres importants du GPRA. Au bout de sept ans et en demi de guerre, la direction du FLN n'en était plus une. Pendant les négociations avec le gouvernement français, elle donne nénamoins l'impression d'être unie. C'est grâce à cette cohésion de façade que le GPRA a pu négocier honorablement les accords d'Evian. La crise qui secoua notre jeune indépendance durant l'été 1962 est une illustration de ces dissensions. Heureusement que le peuple, forgé par les souffrances endurées, avait cimenté son unité, ce qui sauva le pays d'une possible «congolisation». – Avez-vous d'autres projets d'écriture? – Après avoir publié mon livre, je me suis rendu compte que j'avais oublié involontairement plusieurs choses importantes. Je vais compléter la deuxième édition par les chapitres manquants. Ce qui est très intéressent pour le lecteur, ce sont les histoires des histoires. Par ailleurs, je tiens à signaler que mon livre est un legs pour les générations actuelles et futures. J'ai voulu mettre noir sur blanc ce qui s'était passé durant cette glorieuse époque. On n'a pas donne à cette jeunesse les informations nécessaires pour s'insérer dans cette histoire. On leur acaché la vérité. Ils ne sont pas partie prenante réelle de la situation du pays. Ils sont déstabilisés. L'histoire de cette révolution doit être connue à travers les livres scolaires. Le conseil que je pourrais donner aux jeunes, c'est de creuser dans cette histoire et de savoir ce qui s'est réellement passé et ce, tant que certains acteurs sont vivants. * Du PPA au FLN, mémoires d'un combattant. Ed. Casbah, Alger 2007. – Repères Né le 5 mai 1924 à Tigzirt-Sur-Mer (Tizi-Ouzou). Après avoir obtenu son certificat d'études, il entre dans une école d'aboriculture à Mechras. Il quitte l'ecole à l'âge de 17 ans. C'est Mohamed Zerouali, un militant, qui lui fera connaître le PPA auquel il adhère en devenant son responsable pour Baghlia, ex-Rebeval. Arrêté en 1945 et lébéré après l'amnéstie de mars 1946 , il est chef de la région de Delllys, qui comprenait cinq communes. Il fait partie des 15 militants qui forment la délégation de Kabylie au premier du MTLD en février en 1947. Responsable régional de l'OS en basse kabylie, il est arrêté en 1949 à Baghlia. Libéré en 1951, il se rend en France où il devient gérant de café. Dans la crise qui secoue le MTLD, il prend position contre Messali. Il rejoint le FLN dès sa création et se rend au Maroc. Après l'arrestation de Lejaoui et Salah Louanchi en février 1957, il devient le responsable de la Fédération de France du FLN. Omar Boudaoud accède au CNRA en 1959 et fait partie de son bureau à la veille de l'indépendance. En 1964, il est membre du comité central du FLN et élu député. Après le 19 juin 1965, il se retire de la politique et se consacre aux affaires.