C'est à Chinwa Achibé que nous ramène Laleye Dogbeh(1) par son parti pris de réalisme. Mais Dogbeh est un Achibé moins artiste, plus sincère et plus fort et, à l'inverse de son prédécesseur, il ne touche guère qu'au Nigeria. Il a présenté son pays dans 5 romans, dont aucun n'est indifférent. En suivant la chronologie historique, et non celle de la parution des œuvres, on a Tristesse (1965), Terre aride (1967) qui décrit les luttes agraires au temps du colonialisme anglais, L'orphelin (1970), épisode de la vie nigériane vers 1910, le plus anticolonialiste des livres de Dogbeh, Révolte (1972), L'homme triste (1979). C'est peut-être ce dernier titre qui a fait le plus pour sa gloire, non seulement à cause du film qu'on en tira mais parce que c'était un roman qui traitait d'un sujet qui allait rendre Wole Soyinka (prix Nobel de littérature) célèbre. L'action se situe pendant la guerre civile (guerre du Biafra : 1967 – 1969) et se termine sur l'exécution du rebelle biafrais. Ce roman, comme Révolte, se clôt sur la mort du frustre héros, Jawa, sous les balles des soldats fédéraux, auxquels il a refusé de se rendre. Etrange destinée que celle de Laleye Dogbeh issu d'un milieu populaire de Lagos qui réussit à devenir non seulement un créateur mais — ce qui est sans doute plus rare pour un autodidacte — un spécialiste érudit de la civilisation et de la littérature nigérianes ; qui connut la misère et la prison sans jamais se laisser dominer par l'amertume, la gloire et les honneurs, mais ne mâcha jamais ses mots à l'égard de ses compatriotes puissants. Ses qualités littéraires vont de pair avec ses qualités humaines. En parcourant ses romans, l'anthologie de ses nouvelles Joie et déception (1975), par exemple, ou le diptyque de son autobiographie Enfance (1980) ou Voix (1983), l'on est frappé par son extraordinaire capacité à rendre tout, et rien, intéressant, fascinant même, un sentiment, une rencontre, un regret, un morceau de conversation, ou les premières explications embrouillées d'une mère soucieuse de dévoiler les mystères de la vie à son génie de fils. Aucun des rivaux de Dogbeh, pas même son ami Wole Soyinka, ne réussit la même concentration artistique. Il y a chez Laleye Dogbeh plus de nonchalance et peut-être un je ne sais quoi de diffus. – (1) (1939-1984)