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Les édifices des XIXe et XXe siècles, un patrimoine à euthanasier ? (2e partie et fin)
Publié dans El Watan le 27 - 01 - 2008


Menace sur les anciens centres
L'expérience italienne nous paraît appropriée pour nous rassurer des possibilités importantes de récupération par la consolidation du vieux bâti, sans sous-estimer les avancées enregistrées dans le domaine du parasismique en Grèce, en ex-Yougoslavie et en Turquie. Déjà, les premiers résultats obtenus de façon empirique, après les interventions menées à Benevento (Naples), suite au séisme survenu 10 jours à peine après celui de Chlef (alors El Asnam), ont montré la voie à suivre pour la construction fiable d'un modèle de calcul et de vérification des bâtiments en maçonnerie. De nos jours, certaines villes du nord de l'Italie sont dotées de services et de moyens scientifiques, techniques et réglementaires pour maîtriser non seulement le comportement d'un édifice en milieu urbain, mais d'un îlot dans son ensemble. A la lumière des expériences produites chez nos voisins, le patrimoine bâti ancien de nos villes a de grands jours devant lui, à moins que sa prise en charge effective ne se transforme en une campagne d'éradication sous l'impulsion d'enjeux qui relèvent des sphères étrangères aux domaines techniques. C'est sans doute le propre de notre époque dominée par le trouble et l'incertitude, que de s'empêtrer de paradoxes en préjugeant l'ancien à l'avantage du neuf, et en faisant passer la différence pour de la nouveauté sans se soucier de l'avenir. Notre grande peur est que ce comportement insensé, constaté dans tous les domaines, s'érige en règle instituée. En notre qualité d'architecte restaurateur, il nous est permis d'affirmer avec forte conviction que le motif technique avancé pour justifier la démolition est sans fondements. Certes, l'immeuble présente des problèmes de conservation, comme d'ailleurs la plupart des édifices de la même époque, mais à notre avis, la réhabilitation/reconversion de La Parisienne était possible (et l'est encore si les travaux de démolition sont arrêtés dans l'immédiat). De plus, la reprise en main de l'immeuble existant aurait permis à l'architecte chargé des études de se distinguer en affirmant son sens de la composition (si cher à la profession) par le difficile exercice de conciliation du passé avec le présent. Car, tel est le vrai défi de la profession d'architecte. C'est bien trop facile de démolir pour reconstruire. Ce n'est qu'au prix de l'effort artistique et technique face à une contrainte majeure qu'il est possible de distinguer un architecte. Par ailleurs, c'est grâce à ce même effort artistique et technique qu'il est aussi possible de distinguer et d'apprécier la réelle plus-value que cet immeuble, La Parisienne, porte en lui. Et il serait hasardeux de prétendre avec certitude la réédition d'une telle plus-value dans une nouvelle construction érigée dans la même parcelle. Ce serait perdre le sens de la réalité et sous-estimer le sens du goût des citadins pour l'architecture de qualité. Car, d'avance, nous sommes convaincus qu'aucun édifice déjà tracé sur du papier ou en gestation ne possède autant d'atouts sur le plan du langage architectural pour assurer une si grande intégration et une si forte unité avec le tissu environnant existant. Le débat suscité par la démolition de La Parisienne, dont les médias ont fait écho en offrant une tribune aux architectes pour cause d'absence de cadre spécifique, mérite d'être replacé dans une problématique plus large qui laisse entrevoir, face aux réformes en cours visant la libéralisation de l'activité économique, la menace réelle qui pèse sur le devenir des centres anciens de nos villes. Sous cet angle de vue, il n'est pas difficile de mesurer les risques de dérives que peut occasionner le moment particulier de passage de l'économie planifiée vers l'économie libérale : l'individualisme trouve un terreau favorable et peut parfois atteindre des formes exaspérantes au détriment de l'intérêt collectif. Ainsi, la ville, par sa cohérence physique, la concentration des enjeux et son essence collective, est le lieu où s'affichent plus clairement les excès de l'individualisme. Dès lors que s'installe dans un désordre relatif, la double consécration de la propriété privée et de la libre entreprise, les limites des rapports que doit entretenir tout individu (ayant des moyens d'investissement) avec la collectivité sont régulièrement soumises, pour cause d'incompréhension, à des dépassements préjudiciables à la communauté. L'espace public n'est pas une expression creuse ou signifiant simplement le dehors de chez-soi. C'est un espace délimité par des parois et des aménagements qui en déterminent sa qualité. C'est un «intérieur», semblable à une maison ou une mosquée, qui possède ses propriétaires. Il n'est à personne, parce qu'il est à tout le monde. Et il est tout à fait légitime d'exprimer, à juste titre, en tant que simple citoyen, sa désapprobation face au danger de la disparition d'un des éléments qui le constituent et lui permettent d'exister en tant que tel. Ce n'est pas contre la propriété in stricto sensu que l'on réagit, mais au nom de l'idée selon laquelle la ville est une propriété collective pour laquelle (et ceci depuis la nuit des temps) un «code de l'urbanisme» a été consacré pour garantir le respect du principe de la cohabitation. C'est donc une question d'ordre moral qui expose explicitement le choix non partagé d'un individu à toute la collectivité dans un débat biaisé, peu franc et antidémocratique.
L'autoproclamation du promoteur (de surcroît, architecte), au grade de technicien habilité à se prononcer sur l'état de la structure d'un bâtiment ancien, n'est qu'un subterfuge. Comme aussi le recours au CTC pour rechercher un avis pouvant conforter la sentence décrétée a priori n'est qu'une échappatoire. S'appuyer sur le fait que l'immeuble ne soit pas classé, donc protégé par la loi, c'est faire preuve de juridisme dans le seul but de se donner le moyen d'ignorer le véritable problème. De toute évidence, il s'agit d'une euthanasie appliquée pour cause d'un simple «bobo», puis, tout le reste n'est que discours. Un discours, toutefois, en décalage par rapport à la réalité d'aujourd'hui : le petit peuple n'est plus dupe. Prétendre le contraire, surtout quand on est architecte, c'est rejoindre le lot des groupes qui veulent à tout prix nous convaincre de leur sincère attachement à ce pays par la violence. L'histoire nous jugera. Cependant, les architectes et les ingénieurs, notamment l'Ordre des architectes et les établissements chargés de l'enseignement de l'architecture, doivent ouvrir un vrai débat sur le patrimoine bâti algérien des XIXe et XXe siècles et les moyens à mettre en œuvre pour sa préservation et sa mise en valeur.
L'auteur est architecte restaurateur, enseignant à l'EPAU
Chef de projet pour la réhabilitation de La Casbah d'Alger au titre du ministère de la Culture


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