Nullement impressionné par l'austérité des lieux, M. Abdelkader s'avance à la barre d'un pas alerte en roulant des épaules. La mine revêche, il se campe, jambes écartées et bras ballants, devant les membres du tribunal criminel. Il se ravise prestement et croise ses mains derrière le dos avant de baisser sa tête au crâne rasé, sillonné par des cicatrices. L'accusé donne l'impression d'être très à l'aise dans son veston en cuir, qui met en valeur son physique d'athlète. Il a l'air de ce qu'il est. Une puissance de destruction amère et maligne. Selon les faits consignés dans l'arrêt de renvoi, l'après-midi du 20 octobre de l'année écoulée, il a sauvagement poignardé son voisin et son compagnon de beuverie, K. Abderrahmane, qui était alors âgé de 26 ans. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, la sonnerie du portable de la victime est l'unique raison ayant motivé l'accusé à perpétrer son forfait. Dans un premier temps, il l'aurait sommé de changer la sonnerie. En essuyant un refus catégorique, il a subitement tiré un coutelas pour lui en porter plusieurs coups sur différentes parties du corps. C'est une sentinelle, ayant assisté à la scène du meurtre à partir de sa guérite, qui a alerté les gendarmes de la brigade de Yaghmoracen, quartier de la périphérie ouest de la ville d'Oran. Le précieux témoignage de ce soldat a constitué le fil d'Ariane de l'enquête. Le meurtrier a été ainsi rapidement identifié et interpellé dans le faubourg de Maraval, son lieu de résidence. Lors de son interrogatoire, il a fait des aveux sans tenter de tergiverser. « Vous êtes âgé de 33 ans et vos antécédents judiciaires font état de 33 condamnations ! », s'interloque le président du tribunal. Affichant un air canaille, l'accusé retrousse ses lèvres en découvrant une rangée de chicots. « J'ai payé mes fautes », ergote-t-il en se raclant la gorge. « Mais vous ne semblez pas encore prêt à vous repentir manifestement. En tout les cas, cette fois-ci c'est beaucoup plus grave », fait remarquer le magistrat. « J'étais complètement éméché. J'ai éclusé plusieurs bières et je ne savais pas ce que je faisais », radote l'accusé sans convaincre. Le représentant du ministère public a mis en évidence le caractère violent de l'inculpé, en soulignant qu'il a été plusieurs fois condamné pour coups et blessures volontaires à l'arme blanche. Les résultats de l'expertise médicale font état d'une blessure de 9 cm de profondeur au niveau du thorax. Le couteau a perforé le cœur. Il a bien eu l'intention de donner la mort. L'avocat général a conclu son réquisitoire en requérant la réclusion criminelle à perpétuité. La défense a plaidé le bénéfice des circonstances atténuantes. Le 15 avril dernier, à l'issue des délibérations, le tribunal criminel a maintenu la peine requise par le représentant du ministère public et a rejeté la requête formulée par le défenseur.