2- Le contentieux de la Sécurité sociale Ce projet de loi modifie et complète la loi n°83-15 du 2 juillet 1983, amendée en 1986 et 1999. Sa lecture montre que les changements apportés au précédent texte ont pour principal et peut-être unique souci l'équilibre financier des caisses de Sécurité sociale. Ce qui est légitime. Ce qui l'est moins, cependant, réside dans l'arsenal répressif dont il s'est doté et dans la partialité avec laquelle il traite des droits des assurés sociaux et des assujettis. De ce dernier point de vue, il est en net recul par rapport au texte précédent. De très nombreux amendements ont été proposés par les députés. Comme pour le projet de la carte Chifa, ils ont été ignorés par les représentants de la Sécurité sociale, par le ministre de tutelle et bien sûr par les parlementaires de la majorité qui ont voté… contre les amendements apportés. Pour édifier le lecteur, voici des exemples concrets. – Les délais de recours, pour saisir les commissions, sont réduits de moitié tant en ce qui concerne les recours introduits par les assurés sociaux que ceux formulés par les assujettis. Ce délai passe de 30 à 15 jours, au détriment, bien sûr du requérant. Les dommages causés aux assurés sociaux et aux nombreux cotisants, artisans et autres commerçants, dont le niveau d'alphabétisation est généralement bas, seront importants. Il faut ajouter à cela l'inconvénient majeur des conditions d'acheminement du courrier et des retards qui caractérisent celui-ci. – Le texte précédent fixe clairement la composition des commissions de recours (locale et nationale). Le nouveau renvoie cette composition à des dispositions réglementaires non explicitées. L'amendement introduit par les députés, qui demande à préciser la signification de ces «dispositions réglementaires», a été catégoriquement rejeté par le représentant du gouvernement au sein de la commission parlementaire et en plénière. Il a eu dans les deux cas le soutien des parlementaires de la même obédience politique, auxquels se sont associés ceux de l'alliance présidentielle. – Le problème des expertises médicales reste entier. En dépit de ce qui a été affirmé dans l'exposé des motifs, le confort de l'assuré social n'est pas amélioré. Les délais de recours à des fins d'expertise sont réduits et le choix de l'expert n'est pas libre. Il a été demandé – à la commission qui traite de ce dossier – l'ouverture, auprès du Conseil de l'Ordre, d'une liste ouverte où pourront s'inscrire les médecins qui souhaitent y figurer. L'assuré social, assisté de son médecin traitant, pourrait y désigner librement l'expert de son choix. Cette proposition, qui a reçu le soutien du Conseil de l'Ordre, n'a malheureusement pas été retenue par la commission parlementaire et a essuyé un refus de la part des représentants de la caisse de Sécurité sociale. – La composition de la commission d'invalidité est, à l'instar des commissions de recours, fixée par voie réglementaire. Qu'est-ce que cela signifie ? Seul le médecin est en mesure d'apprécier une invalidité. Il a été proposé à la commission parlementaire la composition suivante : un médecin représentant de l'assuré social, un médecin représentant les intérêts de la caisse, un collège d'experts et enfin un représentant de l'administration à des fins d'arbitrage et pour valider les décisions de la commission. La proposition n'a pas été retenue. – Le contentieux technique à caractère médical, qui traite des litiges entre les médecins prestataires et la Sécurité sociale, prend une place importante dans ce projet de loi. Le texte, dans ses articles 38 à 43, substitue la commission technique créée à cet effet au Conseil de l'Ordre des médecins et à l'autorité morale qu'il incarne. Cette commission constitue un risque évident d'atteinte à l'exercice médical et à la liberté de prescrire. Sous prétexte de contrôler la nature des soins et les prestations susceptibles de générer des frais injustifiés à la caisse de Sécurité sociale, il y a là une volonté clairement exprimée de régenter l'acte médical. Le ministre s'en est défendu devant les députés, mais il n'est pas arrivé à convaincre. Le contrôle de l'acte médical est sous la responsabilité exclusive du Conseil de l'Ordre des médecins. Les praticiens contrevenants doivent répondre, à la demande de la caisse de Sécurité sociale victime, devant le celui-ci (le Conseil de l'Ordre) et devant la justice si cela est nécessaire. L'Assemblée nationale n'aurait jamais dû accepter de valider l'existence d'une telle commission. Elle vient de dépouiller le Conseil de l'Ordre des médecins de ses prérogatives, de sa substance et de son objet : l'éthique et la déontologie. – Le titre VI (articles 81 à 84) apporte des dispositions pénales nouvelles et très sévères. Les sanctions ont été durcies par rapport au texte précédent et les peines encourues par les contrevenants au sens de ce projet de loi sont très graves. Les délits (ceux qui sont considérés comme tels) relèvent tout simplement des assises. A titre d'exemple, l'article 82 punit de «six mois à trois ans de prison et à une amende de 100 000 à 300 000 DA, toute personne ayant offert, accepté ou prêté des services pour obtenir pour lui-même ou faire obtenir à des tiers, indûment des prestations». Nous sommes ici dans le cas de figure de l'usage de la carte Chifa par un non assuré. Regardons maintenant l'article 84. Ce dernier condamne le prestataire (médecin, chirurgien-dentiste…), qui se serait rendu coupable, à une peine supérieure à celle prévue par le code pénal pour l'avortement. «… est puni d'un emprisonnement d'une année à cinq années et d'une amende de 200 000 à 500 000 DA, tout médecin, chirurgien-dentiste, pharmacien ou sage-femme… ayant décrit faussement et sciemment l'état de santé d'un bénéficiaire». Cette peine est particulièrement démesurée au regard de l'infraction commise. Qui peut de plus juger du caractère faux du certificat médical qui aura décrit l'état de santé de l'assuré ? La commission technique à caractère médical ? Enfin, est-il besoin d'ajouter, dans ce texte, ces dispositions pénales. Si le préjudice causé à la caisse est prouvé, cette dernière a la possibilité de saisir la justice. Le code pénal prévoit les sanctions à tous les délits de fraudes, de vols, d'escroqueries, etc. Les parlementaires ont émis des critiques justifiées à l'encontre de ces articles de loi. Malgré un argumentaire étayé qui a accompagné les amendements proposés, ces derniers n'ont été retenus ni par la commission parlementaire ni par la plénière. Le texte a été tout simplement adopté tel que présenté par le gouvernement. – Les procédures de recouvrement des cotisations sociales (titre Il, art 44 à 66) ont été aussi durcies. Ces articles concernent les assujettis qui ne se sont pas acquittés des cotisations et qui sont obligatoires. A la procédure du rôle et de la contrainte, ont été ajoutées l'opposition sur les comptes courants et bancaires et les retenues sur les prêts. Les assujettis sont considérés par ce texte comme de véritables délinquants, c'est pourquoi il a été proposé un assouplissement des procédures de recouvrement des dus des caisses. Cela n'a pas été entendu. Des mesures incitatives auraient dû être proposées par la caisse de Sécurité sociale pour amener les employeurs à recruter plus, à déclarer les travailleurs et à payer régulièrement les cotisations. Le taux de 35% est dissuasif. Le réduire donne a priori un manque à gagner, mais avec le nombre de travailleurs, la Sécurité sociale s'en portera mieux. Les artisans et les commerçants qui travaillent au noir, les individus versés dans le travail informel, souhaitent tous avoir une couverture sociale pour eux et leurs enfants. Ils deviendront naturellement des cotisants. Les caisses se porteront mieux grâce aux cotisations mais aussi grâce à la réduction des fraudes aux ordonnances. Les pouvoirs publics ont choisi la solution de la répression avec des méthodes de recouvrement draconiennes. Il est à noter que la mise en application de ces procédures survient au plus tard un mois après la mise en demeure réglementaire. Délai trop court. Il en est de même concernant les délais de recours des employeurs assujettis. Ces derniers ont été également réduits et ce, à l'avantage des caisses de Sécurité sociale. Ce texte, comme le précédent (la carte Chifa), ne modernise en rien la gestion de la Sécurité sociale comme il ne facilite pas non plus la relation entre l'assuré social et les caisses. Cette relation, chacun le sait, est «héréditairement» conflictuelle. L'assuré social, l'employeur et l'employeur potentiel n'ont pas confiance. C'est pourquoi ils se détournent des caisses et ne cotisent pas. L'effort des pouvoirs publics devrait se concentrer sur les possibilités d'améliorer cette relation. Cet effort ne doit pas s'aliéner les citoyens en s'inscrivant dans une démarche répressive à l'instar de celle qui est proposée par ce texte de loi. Ce dernier, qui est rédigé au seul bénéfice de la Sécurité sociale, sera naturellement suspect aux yeux des assujettis et des assurés qui se détourneront davantage de la Sécurité sociale 3 – En Résumé La Sécurité sociale est un acquis qu'il faut préserver. Mais il est illusoire de vouloir le faire sans prendre en considération l'environnement économique dans lequel devront s'inscrire les actions à mener. Vouloir faire prospérer la Sécurité sociale par des textes de loi, quand bien même ils seraient répressifs, est une démarche vouée à l'échec. De plus, «trop de lois tuent la loi» et un arsenal répressif lourd et compliqué, comme celui proposé par les deux projets de loi que nous avons eu à voter, est toujours inopérant. Imposer des sanctions au cotisant, au médecin ou à l'assujetti, telles que celles qui sont prévues par ces textes, ne réglera pas les difficultés budgétaires des caisses. Il accentuera les conflits et consacrera le divorce entre des partenaires qui seront devenus des protagonistes. Il est indispensable de rappeler que les responsables de la Sécurité sociale n'ont pas jugé nécessaire d'associer dans l'élaboration de ces projets les différents partenaires concernés. Le danger pour la Sécurité sociale n'est pas dans la fraude d'une ordonnance ou dans le non-paiement d'une cotisation sociale. Bien sûr, cela ne doit pas arriver mais le danger est bien ailleurs. Le gaspillage est dans les prises en charge à l'étranger, qui bénéficient à certains privilégiés de la société algérienne qui ne veulent pas se faire soigner par les médecins de leur pays. Et il y en a beaucoup ! Le gaspillage est aussi dans les conventions que la CNAS signe avec les cliniques privées. Le ministre a lui-même avoué que ces conventions se chiffrent en milliards de dinars. C'était là un argument qu'il a particulièrement mis en avant pour faire passer son projet de loi. S'il a un quelconque doute concernant ces conventions, il est certain que réprimer une fraude sur une ordonnance ou bloquer les avoirs bancaires d'un employeur contrevenant participe d'une gesticulation dérisoire. Un professeur de médecine, chirurgien spécialisé dans les interventions sur le cœur, avait justement dénoncé dans une conférence de presse la gabegie occasionnée par ces conventions. Les responsables de la Sécurité sociale envisagent de créer des conventions avec les médecins qui le souhaiteraient. Voilà une démarche pour le moins irréaliste. Aucun médecin ayant le souci de ses intérêts n'acceptera une convention à perte. Avec des honoraires comme ceux en vigueur aujourd'hui et quand bien même ceux-ci seraient multipliés par deux, il semble, nous l'avons déjà souligné, que ce serait en effet le cas. Ces responsables se sont obstinés à mettre en application un système de carte électronique avec l'hypothèse préalable, ou la certitude (?), de travailler avec des médecins qui seraient de toute façon liés à la caisse de Sécurité sociale par une convention. Un système coûteux mis en place sans avoir pris des garanties et sans avoir fait une étude de faisabilité avec les principaux concernés, médecins, chirurgiens-dentistes, pharmaciens, etc. Nous le disions plus haut, «la charrue avant les bœufs». La décision, par le ministère de la Santé, d'augmenter les honoraires des prestations risque de mettre en faillite la caisse de Sécurité sociale. Elle sera dans ce cas amenée non seulement à rembourser les actes médicaux et les différents examens complémentaires «prestés» par les médecins et laboratoires privés mais aussi ceux des secteurs publics. Les hôpitaux se mettront, et c'est dans l'ordre des choses, à faire payer les prestations qui devront être, à leur tour, remboursées par les caisses de Sécurité sociale. Les milliards de dinars que verse chaque année, sous forme de forfait, la Sécurité sociale aux hôpitaux (trente-huit milliards de dinars pour 2007) n'y suffiront pas. A quel titre, d'ailleurs, sont versées ces sommes ? Pour payer les prestations des hôpitaux aux assurés ? Ce serait une forme de mécénat, une forme de soutien à la médecine gratuite ? Au fait, la médecine est-elle toujours gratuite ? La question mérite d'être posée. Que va faire la Sécurité sociale si le ministère de la Santé venait, à l'avenir, exiger des sommes plus importantes pour rembourser les prestations servies aux assurés sociaux ? Que va-t-elle faire pour éviter la banqueroute ? Augmenter les cotisations des travailleurs ? Comment réagiraient dans ce cas les employeurs ? Les travailleurs paient aussi un pourcentage de la cotisation. Faudra-t-il revoir le salaire de ceux-ci ? A l'évidence, cela n'est pas une simple affaire et nous voyons bien que la vie, ou la survie, de la caisse de Sécurité sociale dépend étroitement de la politique globale de santé. A ce titre, il est aujourd'hui légitime de s'interroger sur la nature actuelle de notre système de santé. Un système de santé qui ignore la prévention, en particulier celle dirigée contre les grands fléaux à l'exemple du tabac. Tout un chacun sait qu e les campagnes de sensibilisation et de prévention ont pour corollaire les économies de la Sécurité sociale. L'équilibre de la Sécurité sociale dépend aussi de l'environnement économique dans lequel elle baigne, notamment celui du monde du travail. Moins il y a de chômage, plus il y a de cotisations sociales et plus elle a des chances d'être prospère. C'est là un minimum de bon sens dont ne semblent pas tenir compte les pouvoirs publics. Le même ministère gère les affaires sociales et le travail. Est-il possible que les responsables n'aient pas établi ce lien entre l'équilibre de la Sécurité sociale et l'offre d'emploi, lien pourtant dialectique (!). Les efforts auraient dû se diriger vers des solutions au chômage. Celui des jeunes particulièrement. Du chômage des jeunes, l'Etat devrait faire une préoccupation stratégique. Ils sont la majorité des demandeurs d'emploi. Ils sont la vitalité économique de la nation et constituent par leur travail la garantie de la pérennité de la Sécurité sociale. Ils sont aussi, hélas, au mieux abandonnés aux activités informelles et au travail au noir, au pire ils sont livrés à la misère et à tout ce qu'elle charrie comme désillusions, sentiment d'injustice et comportements extrêmes tels que les conduites délinquantes, les émeutes, la harraga, le terrorisme, etc. L'auteur est psychiatre, député RCD