New Delhi. De notre envoyé spécial Depuis quelques années, ce pays a pris en main son destin pour devenir plus qu'un partenaire. Un vrai concurrent, et c'est justement ce qui explique le fait qu'il soit extrêmement courtisé. On est donc loin des années quatre-vingts, avec la volonté sans cesse affirmée des pays non alignés dont l'Inde est l'un des pays fondateurs, de développer la coopération Sud-Sud. Ce pays, qui n'a pas rompu avec les signes du sous-développement avec ses centaines de millions de pauvres, a inversé la donne en se frayant ,par ses propres moyens, voie vers le développement et de la croissance, un jour de l'année 1991, quand il était face au mur, c'est-à- dire que ses caisses étaient vides. Et sans rompre avec le non-alignement, comme l'a prouvé le débat de l'été dernier, quand la secrétaire d'Etat américaine conseillait aux dirigeants indiens de renoncer à cette politique. Comment alors concilier une telle politique et les affaires, puisqu'il faut les appeler ainsi, même si l'on parle de partenariat ? En fait, les Indiens ont développé une telle vision depuis au moins quelques années en se tournant vers leurs partenaires dits traditionnels en raison des liens existants, ce qui déjà exclut l'idée selon laquelle l'Inde marche ou fait autant que les autres puissances qui proposent globalement au moins au niveau de l'intitulé, le même type de relations. A cet égard, il n'y a apparemment aucune improvisation, puisque l'idée fait son chemin depuis des années et que le sommet qui s'ouvre aujourd'hui, conclut une série de conclaves réunissant, à l'initiative d'institutions indiennes comme l'Exim Bank ou la CII (Confédération indienne de l'industrie), des dirigeants indiens et africains, d'horizons aussi bien économique que politique. Un travail préparatoire donc, et le dernier a eu lieu du 19 au 21 mars dernier à New Delhi. C'était le quatrième du genre depuis que l'Inde a décidé de promouvoir un partenariat avec l'Afrique. En ce qui concerne la participation à ce sommet, il y a comme une espèce de similitude avec les autres forums de même nature, puisque l'Afrique sera représentée par ses différents sous-ensembles, ainsi que par les initiateurs du Nepad (Algérie, Afrique du Sud, Nigeria, Egypte, Sénégal). En tout, moins d'une vingtaine de participants. Voilà donc pour ce qui concerne les faits pris à l'état brut. Ceux-là révèlent toutefois une attente de part et d'autre, et autant de perspectives pour un partenariat que l'on dit pas comme les autres, l'Afrique étant déjà engagée dans des accords de même type avec le G8, la Chine, l'Europe, le Japon, sans que la plupart d'entre eux, pour ne pas dire tous, ne connaissent un début d'application. Bien entendu, la question a été posée aux dirigeants indiens. Et la réponse nous a été donnée par leur secrétaire aux affaires étrangères. En termes plus clairs, lui avons nous demandé, que propose l'Inde de différent ou de particulier ? En quelque sorte, un mieux par rapport aux autres. M. Anand Sharma semblait surpris par cette question, et la réponse qu'il allait apporter allait en être marquée : «L'Inde, nous dira-t-il alors, n'a jamais occupé un quelconque pays africain. Elle s'est au contraire mise aux côtés des peuples en lutte pour leur libération et leur indépendance.» Beaucoup diront de cela que c'est un élément favorable. Nouveau géant Autre élément de réponse, et c'est ce qu'attendent les Africains : «Il s'agira d'un partenariat sincère et complet, impliquant un transfert de technologie.» «Un partenariat dynamique, une vision partagée.» C'est ainsi que Anand Sharma présente la philosophie du sommet Inde-Afrique sur le site de son ministère. Ce premier événement du genre aura pour objet de «renforcer les partenariats déjà existants dans des secteurs aussi divers que l'agriculture, la sécurité alimentaire, la santé, le développement d'infrastructures, la science et la technologie, les médicaments génériques, la formation et l'industrialisation». La précision est importante puisque d'autres accords de même nature ont échoué tout juste parce qu'il leur manquait une réelle volonté politique, et un sens réel du partenariat. Ou encore parce qu'ils reproduisent des rapports d'échanges fortement décriés car injustes et inégaux. A l'inverse et pour les pays africains, ce sommet illustre leur volonté de réduire leur dépendance économique à l'égard des anciennes puissances coloniales et des institutions internationales. Déjà à l'ouverture de ce conclave, — le quatrième depuis 2005, — un délégué de la RDC (République démocratique du Congo) estimait que «l'Inde fait preuve d'agressivité, mais d'une autre forme». Ce qui induit une certaine expectative que les discours s'avèrent incapables de reproduire. Et c'est tant mieux si la différence apparaêt déjà. On vante la qualité des produits indiens — que certains découvrent alors qu'ils sont sur le marché mondial depuis longtemps — et surtout leur rapport qualité-prix jugé excellent. Ce qui risque de ramener la perspective indo-africaine à la reproduction des rapports marchands actuels, alors que l'attente est plus grande, au moins en Afrique, où l'on veut absolument sortir du sous-développement. A entendre ses dirigeants, l'Inde proposerait mieux après aussi l'échec de différentes formes de coopération Sud-Sud. Et l'Inde en a elle-même pris acte durant ces vingt dernières années, et surtout, nous dira-t-on, elle s'est mise à avoir confiance en elle-même. Le résultat ne s'est pas fait attendre puisque l'indicateur de croissance qui affichait aux première années 3%, est passé à 6%, puis à 9%. A les entendre encore, les Indiens voudraient partager cette expérience avec les pays africains qui, pour certains d'entre eux, répliquaient dans la langue de bois, dévoilant un manque de préparation. Une exception, certainement pas la seule, c'est celle de Djibouti que l'on disait condamné à demeurer un territoire aride, et qui s'est mis à développer l'agriculture avec l'aide de l'Inde. Son ministre du Commerce ne tarissait pas d'éloges sur cette coopération qui, selon lui, a transformé son pays qui s'est mis aussi à exporter du cheptel depuis que le nombre de têtes de bétail a été multiplié par mille. Souvent décrite comme l'usine du monde, l'Inde a appris à tout faire. Cela ne veut pas dire que rien n'a été fait jusque-là, et les chiffres tendent à marquer cette réalité des échanges entre les deux parties. Le commerce bilatéral a en effet augmenté considérablement, atteignant 25 milliards de dollars en 2006-2007, contre 967 millions de dollars en 1990-1991. Dans ce volume, les exportations indiennes ont atteint 10,3 milliards de dollars, (soit 8% du total des exportations). A l'inverse, les importations indiennes ont atteint 14,7 milliards de dollars (soit 7,7% du total, contre 2,4% en 1990-1991). Dans ce chapitre, relèvera-t-on, le pétrole brut occupe une part significative avec 67,6% du total. Cela renseigne sur les besoins de l'Inde en ressources énergétiques, de plus en plus grands, puisque rien que pour la période 2006-2007, elle en a importé pour plus de 57 milliards de dollars. Et comme le renseignent les tableaux (voir ci-dessous), l'Inde n'importe ou n'exporte vers ou depuis l'Afrique que du pétrole et des produits pétroliers. L'éventail est grand, soulignant lui aussi l'étendue des besoins que les deux parties ont commencé à identifier avec une certaine précision depuis six années. C'est l'objectif du programme Focus Africa (Regards sur l'Afrique), lancé par le gouvernement indien en 2002. Son objectif était de mettre en valeur le commerce entre l'Afrique et l'Inde, en identifiant les zones de commerce et d'investissements bilatéraux. Sa zone géographique était l'Afrique subsaharienne. C'est dans ce sillage qu'a été lancée en 2005 la série de conclaves, visant de manière générale la participation de l'Inde aux projets africains, et certainement beaucoup plus, la mise en place de liens institutionnels devant gérer le long terme.L'idée de partenariat Inde-Afrique suscite, bien entendu, un grand espoir et même plus qu'on ne peut imaginer puisqu'il faut immanquablement replacer cette relation dans la sphère globale des rapports internationaux faits aussi de rivalités, sinon de simple concurrence. C'est cette réserve qu'a tenté de souligner un délégué malgache, qui déclare craindre les interférences extérieures. A l'image, ajoutera-t-il, de cette tendance à diaboliser certains pays qui ont la particularité de vouloir s'imposer comme des agents des relations internationales. La fin d'un dogme L'Inde, quant à elle, ne cesse de se développer et d'attirer les investissements, mais aussi de prestigieux visiteurs qui ramènent dans leurs valises des offres alléchantes, y compris dans les domaines les plus sensibles comme l'armement et l'espace. Beaucoup ont noté l'ouverture de l'Inde sur son voisinage, à commencer par la Chine et le reste de l'Asie. Un spécialiste relèvera quant à lui que «le rapprochement entre l'Inde et les Etats-Unis est spectaculaire et pratiquement accompli, notamment en ce qui concerne le partenariat stratégique entre les deux pays». C'est vraiment la fin de la guerre froide, et la libéralisation des économies est venue à bout des idéologies, mais pas des rapports de force que les non-alignés, et parmi eux l'Inde, n'ont cessé de dénoncer avec l'appel d'Alger lancé en 1973, et répercuté du haut de la tribune de l'ONU en avril 1974 lors d'une session spéciale consacrée justement à la revendication du tiers-monde pour l'établissement d'un nouvel ordre mondial plus juste. On sait ce qu'il en est advenu, et ces mêmes pays ont dû compter sur eux-mêmes, et, en soi, le résultat n'est pas mauvais avec cette catégorie de pays dits émergents comme l'Inde. Ceux-là ont introduit quelques changements devenant eux-mêmes des destinations fort prisées. Les Indiens, avec leur immense potentiel et leur marché tout aussi considérable, l'ont compris. Au bout de seulement quelques années, les Etats-Unis sont devenus le premier partenaire commercial de l'Inde. C'est la fin d'un dogme et aussi celle des idéologies, même si les communistes indiens font de la résistance. Aussi apprendra-t-on, et afin de ne pas heurter ces derniers, que le discours officiel a substitué le terme désinvestissement à celui de privatisation couramment employé à travers le monde quand il s'agit de parler des réformes, du désengagement de l'Etat et de la libéralisation de l'économie. Au plan financier et industriel, des spécialistes ne manquent pas de relever que l'Inde a réussi son intégration dans la mondialisation. Ou encore que la mondialisation de l'économie indienne «repose davantage sur une ‘‘financiarisation'' locale qu'internationale, ce qui la rend moins vulnérable aux crises financières». En outre apprendra t-on encore, la croissance indienne est de plus en plus tirée par l'industrie, et l'évolution de cette denière l'est, quant à elle, par le marché interne comme cela a de plus en plus tendance à s'afficher dans les grandes métropoles indiennes où le marché explose, et la population dont le pouvoir d'achat s'est accru, découvre et accède à de nouveaux produits, comme les véhicules ou certains produits de consommation comme la téléphonie et l'informatique. Ce qui ne veut pas dire que l'Inde a réglé tous ses problèmes, comme celui de la pauvreté, loin de là. Elle veut tout juste réduire ce dernier d'ici les prochaines années, et même de moitié avant l'année 2020. Déjà, estime-t-on, la tendance s'est inversée — avec le développement d'une classe moyenne, et c'est elle qui tire la croissance par la satisfaction de ses besoins. De ce point de vue, les Indiens croisent les doigts et affichent un réel optimisme. Et les étrangers le leur rendent très bien en les sollicitant ou en partant tout simplement à la conquête du marché indien, quand ce n'est pas l'usine indienne qui s'apprête d'ici quelques années à avoir la main-d'œuvre la plus nombreuse et la moins chère, un vrai label de garantie. Qu'en sera-t-il demain soir quand les dirigeants des deux parties se sépareront et qu'il faille tirer le bilan de ce sommet ? Des concepts seront explicités, comme le principe de la sincérité évoqué par le haut fonctionnaire indien. En d'autres termes et à l'heure de la libéralisation, savoir comment concilier une proximité politique et les affaires qui se traitent comme on le sait sans le moindre état d'âme. C'est tout l'intérêt de ce sommet. Un vrai pari.