Les téléspectateurs de l'ENTV ont eu droit à une émission, la première d'une longue série, destinée aux réalisations du président Bouteflika. Du début à la fin, ce fut une cascade de louanges en direction du chef de l'Etat, présenté comme le «grand sauveur de la nation» et un «irremplaçable» par ses thuriféraires appelés à la rescousse par un savant montage d'images. Certes, on ne pouvait pas attendre autre chose de l'ENTV, mais cette fois-ci, la dose a été particulièrement forcée, avec la participation active, directe et intéressée de son directeur général. A quoi répond ce type d'émission, totalement dépassé dans le monde, ne subsistant que dans quelques pays autoritaires ? On peut penser qu'elle s'inscrit en droite ligne dans la campagne menée ces six derniers mois en faveur d'un troisième mandat pour Bouteflika. Une campagne, rappelons-le, menée au départ tambour battant avant de s'essouffler puis de s'estomper. L'ENTV pourrait avoir décidé de «reprendre les choses en main» pour «effacer» la médiocrité voire le ridicule de la campagne. Mais au vu de la première émission, c'est le grand ratage. Le choc des images n'a pas servi la vérité mais a puissamment nourri le dessein propagandiste : l'Algérie a été sauvée de la crise économique et sociale, y compris du terrorisme, par l'unique présence et par la seule volonté du président Bouteflika. Une sentence qui ne résiste pas aux faits, car elle exclut tout l'apport de la résistance populaire contre l'islamisme armé et le terrorisme et elle occulte les luttes multiformes des Algériens pour améliorer leur quotidien. Elle nie les grandes répressions menées par le pouvoir contre les syndicats libres, le mouvement amazigh, la liberté de la presse, les avocats, les enseignants et tant d'autres catégories socioprofessionnelles en lutte. Une sentence enfin qui fait l'impasse sur les chances gâchées de l'Algérie pour que s'installe une vraie démocratie à travers la réhabilitation des contre-pouvoirs politiques. L'ENTV est prise dans une logique de sous-traitance d'un pouvoir bloqué. Elle lui offre, pour l'aider à s'en sortir, la mystification tant des images que du discours politique. Mais elle ignore que l'Algérie de 2008 a changé en profondeur dans sa manière de réfléchir : le téléspectateur algérien n'est plus dupe des techniques de manipulation, il a eu à les subir durant les décennies du parti unique. Bien établie aujourd'hui, sa maturité politique est par ailleurs constamment nourrie par l'incessant flux d'images venues du ciel lui apportant des outils d'analyse et de compréhension du monde dans lequel il vit. Il est utile que cela soit dit au moment où se célèbre la journée de la liberté de la presse, instant pour rappeler que les journalistes et les producteurs d'idées d'une manière générale sont traités en Algérie comme des délinquants par le pouvoir politique qui a aménagé spécialement le code pénal pour cela. Et c'est en regardant les émissions de Habib Hamraoui Chawki sur le bilan présidentiel qu'on mesure à quel point est loin le principe consacrant le droit à l'information du citoyen algérien à disposer pour une information complète et objective. Et à quel point est urgente l'ouverture du champ audiovisuel.