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Il y a 46 ans, l'attentat du port d'Alger
Publié dans El Watan le 05 - 05 - 2008

Le bilan est des plus lourds : soixante-trois chouhada et cent-dix blessés graves. Les victimes n'étaient pas tombées sous les balles de l'armée française, mais suite à un attentat à la voiture piégée. C'était la réponse de l'OAS aux Accords d'Evian, signés le 18 mars 1962. Le 19 mars 1962 ne marque donc pas la fin de la guerre. Une autre guerre allait se poursuivre. «Le cessez-le-feu n'est pas la paix. Le danger est grand et les hordes fascistes et racistes de l'OAS, désespérant de maintenir ‘'l'Algérie française'', vont tenter d'ensanglanter encore le pays… » Lourde de sens, cette citation est extraite de l'appel lancé le 19 mars 1962 par le président du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne, Benyoucef Ben Khedda. Parmi les grands problèmes auxquels est confronté le G.P.R.A., réuni au grand complet à Rabat le 21 mars, celui de l'OAS. La rébellion des généraux Salan, Challe, Jouhaud et Zeller le 26 avril 1961 contre le général de Gaulle, président de la République française, qu'ils accusent de vouloir brader «l'Algérie française», complique davantage les choses pour la partie algérienne. Forte de l'appui que vient de lui apporter le «quarteron des généraux factieux», l'OAS, constituée début mars 1961 à partir de Madrid, autour de Pierre Lagaillarde, se sent pousser des ailes. Elle se présente comme la troisième force entre les gaullistes et le FLN. Heureusement pour le GPRA. cette question sera réglée au plus vite par le général de Gaulle qui voyait là une menace pour la France. En perte de vitesse, voyant que leur «Algérie française» était bien morte, saisis de folie meurtrière les ultras, regroupés autour de l'OAS, tentent le tout pour le tout. Dans «un tract explicatif», les chefs OAS ordonnent à leurs commandos «de mettre les grandes villes à feu et à sang, tout détruire, tout incendier». Ils ont en mémoire Verdun, entièrement détruite pendant la Première Guerre Mondiale et Stalingrad, rasée au cours des rudes combats qui opposèrent l'Armée rouge aux troupes allemandes. Le mois de mars connaît une recrudescence des attentas à Alger. Dans la seule «nuit bleue» du 4 au 5 mars, 130 explosions ont retenti dans Alger qui retient son souffle. Les instructions des chefs de l'OAS, particulièrement celles de Raoul Salan, visent «à empêcher la réalisation pratique des accords conclus entre de Gaulle et le FLN» par la création de zones insurrectionnelles”… en ouvrant le feu systématiquement sur les unités de gendarmerie mobile et les CRS, en abattant «les personnalités intellectuelles algériennes (professions libérales) et notamment les médecins, dentistes et pharmaciens…». Le 19 mars, le général Salan condamne dans une «émission pirate» de l'OAS le cessez-le-feu. Alger, Oran, Sidi Bel Abbès, Mostaganem, Tlemcen, Constantine, Annaba, Skikda… vivent à l'heure de l'OAS. Les manifestations des «casseroles» et concerts de klaxons «trois brèves et deux longues» (Al-gé-rie fran-çaise) rythment l'avant et l'immédiat cessez-le-feu. Les commandos Delta, commandés par le lieutenant Degueldre, sèment la mort. Les 611 attentats commis pour le seul mois de mars font 110 chahids, dont Mouloud Feraoun, Ali Hamouten, Salah Ould Aoudia mais aussi trois pieds-noirs Max Marchand, Robert Eymard et Marcel Basset, tous engagés intellectuellement au service de l'Algérie indépendante. Le mois suivant, 647 attentats font 230 chahids. Les attentats culminent au mois de mai avec 1728 attentats pour 350 chahids. Les chefs OAS décrètent, le 18 mars, un «deuil national et une grève de deux jours dans toute l'Algérie». Une vaste campagne de désinformation est menée tambour battant. L'objectif : provoquer l'apocalypse en cultivant la culture de la peur. Les quotidiens algérois, Le Journal d'Alger et La Dépêche Quotidienne déforment à souhait les clauses des Accords d'Evian. Ces deux titres consacrent de longs articles à «l'abandon complet (par de Gaulle) de la minorité européenne livrée aux tueurs du FLN». «Placés devant le fait accompli du cessez-le-feu, isolés, sans soutien extérieur, les nervis de l'OAS pratiquaient, en désespoir de cause, la politique de la terre brûlée. Pour mieux contrecarrer les Accords d'Evian, signés à leur insu, ils cherchèrent à bloquer la voie du passage à l'indépendance. Poussés par la haine, ces groupes fascistes fanatisés eurent encore le courage misérable de se lancer aveuglément contre une population désarmée». C'est dans ce climat de tension extrême d'une part, de désespoir pour l'OAS d'autre part, que le 2 mai, une voiture stationnée à proximité du port explose, là où comme à l'accoutumée s'étaient agglutinés devant le bureau d'embauche des dockers algériens dans l'espoir d'être recrutés pour une journée de dur labeur. Il était 6 heures du matin, ils étaient «près d'un millier avec femmes et enfants», le fourgon piégé était bourré de clous, de boulons, de ferraille. «Une véritable boucherie», soixante-trois morts (63) et cent-dix (110) blessés graves dont certains ne survivront pas à leurs blessures. «Quelques heures plus tard, Belcourt, Climat de France et le quartier musulman d'Oran furent soumis à un intense tir au mortier. Les équipes spéciales des Delta, note Yves Courrière dans Les Feux du Désespoir, s'en donnèrent à cœur joie. Ce jour-là, les attentats de l'OAS firent cent dix tués et cent quarante-sept blessés». Comme la tribu des Nekmaria décimée en 1865 par la mise en œuvre d'une nouvelle arme, l'enfumage, les «dewkras» d'Alger, chômeurs de toujours, seront à leur tour décimés, emportés par une arme jamais expérimentée auparavent en Algérie, la voiture piégée. La fumée mortelle des grottes de Nekmaria annonce à un siècle d'intervalle les chambres à gaz dans l'Allemagne nazie, quant aux voitures piégées, elles continuent de semer la désolation parmi les populations civiles, cibles en 1961-1962 de l'OAS. Une autre invention à mettre à l'actif des héritiers de Bugeaud, Cavaignac, Lamoricière, Montagnac, Saint Arnaud, Pélissier et autres criminels de guerre. L'attentat du port d'Alger est qualifié d' «horrible» par le cardinal Duval, archevêque d'Alger depuis 1954. Celui qui a dénoncé la torture deux mois après le déc lenchement de la lutte de Libération nationale, qui a appelé à l'autodétermination en 1956 rapporte qu' «une agitation extrême régnait dans les rues (d'Alger)». Toute la population était traumatisée». Se portant au devant des blessés, il organise avec les Algériens les premiers secours.
Il dirige les Filles de la Charité vers les «cliniques clandestines qui étaient établies dans La Casbah» pour prêter main forte aux autres infirmiers et médecins. Nous sommes informés par le cardinal que celui-ci intervient pour que «les blessés les plus graves soient admis à la clinique de Verdun qui était sous l'autorité des Français. Comme cette clinique n'avait pas les moyens de soigner ceux des blessés qui étaient les plus dangereusement atteints, il a fallu intervenir pour que ceux-ci soient admis à la clinique Barbier Hugo, qui dépendait de l'autorité française». Les militaires français, dont dépendait cette clinique, firent preuve de compréhension et les contacts avec les responsables du FLN ont été «très faciles». à partir de ce moment que les contacts entre le cardinal et les responsables FLN du quartier se développèrent. Non contente d'avoir provoqué la mort de soixante-trois victimes, l'organisation Delta s'apprête le 3 mai à commettre un attentat encore bien plus sanglant, bien plus barbare. Un camion citerne contenant 16 000 litres d'essence a été lancé, direction bloquée, des hauteurs de La Casbah sur le quartier le plus populeux d'Alger. «Brûler le principal nid où se cachent les rats du FLN» , tel était l'objectif de cette opération qui n'est pas sans nous rappeler dans sa formulation comme dans l'intention de ses concepteurs, les déclarations d'un général américain. Lui aussi, il avait assimilé les résistants de Felloudja à des rats. Le camion de la mort est arrêté à temps par des pompiers et La Casbah ne brûla pas. Témoins vivants d'une histoire héroïque, les «dewkra» puis après eux les «Fatma», ces malheureuses femmes de ménage au nombre de sept, assassinées par les commandos Delta, le 10 mai, d'une balle dans la nuque, alors qu'elles se rendaient chez leurs employeurs européens, ne doivent pas mourir une seconde fois. Les chouhada de ce mois de mai 1962 sont la conscience de l'autre Algérie, celle des hommes, des femmes et des enfants qui ont bravé, les mains nues, le ventre creux mais le courage plein le cœur et le regard plein d'espoir, les commandos Delta, dignes héritiers des nazis aujourd'hui glorifiés, magnifiés par une droite française revancharde et un pouvoir que rien ne distingue de l'extrême droite raciste ; un pouvoir qui défie l'histoire de France et d'Algérie en perpétuant la mémoire des semeurs de la mort, de ceux qui avaient projeté d'occuper Paris et monter le coup du Petit Clamart contre le père de la Ve. République.
Le monument à la gloire des «dewkra» à l'entrée du port d'Alger est une bonne chose, il mérite d'être mieux mis en valeur. Une simple note d'histoire au bas de ce monument à mettre sur un socle plus massif suffirait à rendre la parole à ces chouahada «dewkra», morts pour l'Algérie. Les lieux de mémoire appellent de la part des concernés un plus grand intérêt, car ils matérialisent une histoire trop abstraite qui n'accroche pas. Pourquoi ne pas penser à l'occasion de la prochaine commémoration du 1er Novembre à retranscrire sur une stèle géante, en lettres dorées la proclamation du 1er Novembre ?! La réconciliation de la jeunesse avec l'histoire de son pays passe par des gestes simples, faciles à décrypter qui s'incrustent d'eux-mêmes dans une mémoire à réhabiliter.


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