Ils seraient 100 000, voire même 120 000 Algériens à vivre en situation irrégulière en France. Dans le centre de rétention de Vincennes, une dizaine d'entre eux attendent que la justice statue sur leurs dossiers. El Watan Vendredi a recueilli leurs histoires. Anis, 30 ans (Tizi Ouzou) arrêté à Pigalle : "Je ne veux pas que l'on me mette les menottes comme un délinquant " Ce n'est pas une blague. J'ai été arrêté le 1er avril à 19h dans le quartier de Pigalle. Je rentrais du travail – je bossais dans une entreprise de bâtiment appartenant à un Algérien – quand j'ai été interpellé par des policiers en civil. Sans papiers, ça ne pardonne pas. Vingt-quatre heures de garde à vue, ensuite bienvenue au centre de rétention de Vincennes. Bien que nous soyons bien traités, ça reste tout de même une prison. J'ai quitté l'Algérie en juin 2003. J'en avais marre d'être au chômage. Alors j'ai tenté l'aventure en Europe. J'ai vécu trois ans à Rome, vadrouillé en Suisse, à Malte et en Espagne avant de m'installer à Paris. Je gagnais bien ma vie. En assurant des petits boulots, j'arrive à gagner 1200 euros par mois. J'envoie régulièrement de l'argent en Algérie pour aider ma famille. Au centre de Vincennes, les Algériens reçoivent chaque mercredi la visite d'un représentant du consulat. Celui-ci écoute nos doléances et repart avec des formulaires. C'est le consulat qui délivre ces laissez-passer » qui permettent aux autorités françaises de nous expulser. Si tu as les moyens pour débourser 1500, voire 2000 euros à un avocat, celui-ci pourrait plaider ta cause. Même en payant, tu n'es pas sûr d'éviter l'expulsion. Certains ont payé de fortes sommes et ils se sont retrouvés dans un avion en partance pour le bled. De toutes les façons, les Algériens sans papiers vont tous être expulsés. Ici, on nous dit que le gouvernement algérien a déjà payé 30 000 billets d'avion pour les clandestins concernés par les mesures d'expulsion. Il faut croire que nous sommes très mal vus. On dirait que les policiers veulent faire du chiffre en expulsant le plus grand nombre d'Algériens. Aujourd'hui (jeudi 23 avril), ils ont affiché la date de mon départ : 1er mai à 8h. Je ne veux pas que l'on me mette les menottes comme à un délinquant, que l'on me jette dans un avion pour me retrouver une fois de plus en Algérie. Je suis bien en France. Je travaille correctement, je ne vole pas, je vis dignement. Pourquoi retourner là-bas quand je sais que je n'ai aucune chance de m'en sortir. Refaire ma vie à 30 ans, c'est comme escalader l'Himalaya pieds nus. Idir, 31 ans (Ouadhias) interpellé à Place de Clichy : "Le procureur a soupçonné un mariage blanc " J'ai été appréhendé dimanche 19 avril à 21h30 non loin de la Place Clichy. J'ai grillé un sens interdit alors que je roulais à vélo. Sans papiers, ça n'a pas raté. En plus, j'avais bu quelques verres. Après une garde à vue de 48 heures, j'ai atterri au centre de Vincennes où nous sommes bien traités : repas chauds, douches, visites chez le médecin, c'est un camp digne d'un hôtel deux étoiles. Entre Algériens, il règne un esprit de solidarité, mais tous attendent avec anxiété la décision des juges. Le soir, pour dormir, nous prenons des cachets sinon l'angoisse et les remords t'empêcheront de trouver le sommeil. Lorsque je suis arrivé en France en août 2003, je n'avais pas l'intention d'y rester. Je voulais souffler un peu à Paris avant de repartir chez moi. Au bout de quelques mois, l'envie de poser mes valises s'est imposée. Je savais que j'allais vivre des galères en France, mais l'espoir d'obtenir un jour la carte de séjour constitue la meilleure raison de vivre. En 2007, j'ai fait la connaissance d'une Italienne. Nous avons décidé de nous marier pour que je puisse régulariser ma situation. Pour éviter un refus — les mairies parisiennes sont devenues de plus en plus strictes — nous avons opté pour une mairie du nord de la France. Suite au dépôt de notre dossier de mariage, le procureur a fait une enquête sur notre couple. J'ai donc été placé en garde à vue pendant 48 heures pour les besoins de cette enquête. Hélas, le procureur s'est opposé à notre union arguant que nous ne nous connaissions pas assez pour contracter un mariage. Il a soupçonné un mariage blanc. Pourtant, ce n'est pas le cas. Revivre en Algérie ? Je n'y pense pas, même si je sais que j'ai peu de chances d'éviter une expulsion. Repartir au bled avec les menottes, débarquer au village avec l'étiquette d'expulsé me rendent vert de rage. Hocine 27 ans (Boumerdès) raflé à Barbès : "Ils me mettront à l'hôpital des fous de Joinville, à Blida, m'abrutir avec des piqûres et des cachets" J'ai été interpellé le jeudi 16 avril à midi dans le quartier de Barbès. Alors que je me rendais à la préfecture pour récupérer mon récépissé de carte de séjour, je suis tombé après un banal contrôle d'identité. Les policiers m'ont emmené dans un commissariat avant de m'expédier vers le centre de Vincennes. J'ai bien expliqué aux policiers que j'avais un rendez-vous ferme à la préfecture, mais ils n'ont rien voulu savoir. Quant au juge, il a été catégorique : « Vous ne pouvez pas rester en France. Vous allez être expulsé vers l'Algérie. » Voilà, par cette phrase, il tire un trait sur ma vie. J'ai quitté l'Algérie en juillet 2005. J'étais fatigué d'être au chômage, de ne pas avoir de perspectives pour mon avenir. Après une année en Italie, je rentre en France en 2006. Il y a six mois, j'ai fait une grave dépression nerveuse. Aujourd'hui encore je suis un traitement psychiatrique. Je travaille trois jours par semaine en vendant des cosmétiques à la Courneuve. Mon employeur me verse 150 euros qui me permettent de subsister. C'est un peu la misère, mais au moins en France, je bénéficie de soins appropriés. D'ailleurs, mon médecin est intervenu auprès des autorités pour demander ma libération, mais personne ne l'a écouté. J'ai reçu la visite d'un responsable du consulat d'Algérie. Il m'a écouté lui raconter mes déboires, rempli un formulaire avant de repartir en me disant « Rebbi essahel ». Ici, nous sommes une trentaine d'Algériens. Mais chaque jour, ils ramènent de nouveaux candidats à l'expulsion. Rares sont ceux qui sortent du centre libres. Presque chaque jour, des policiers viennent pour embarquer un ou deux Algériens pour les ramener au bled. Je ne veux pas repartir en Algérie. Je sais ce qui m'attend une fois sur place. Ils me mettront à l'hôpital des fous de Joinville, à Blida. Ils vont m'abrutir avec des piqûres et des cachets jusqu'à ce que je devienne un légume. Je ne veux pas mourir à petit feu là-bas, mais vivre ici. Djamel, 33 ans (Oran) cueilli à Pigalle : "Ma fiancée m'aide à tenir le coup J'ai été interpellé le 31 mars à 20h en sortant du métro Pigalle. " Des policiers en civil m'ont emmené dans un fourgon direction la préfecture de La Cité. Dans un étage réservé aux clandestins, j'ai été placé en garde à vue pendant vingt-quatre heures avant d'être admis au centre de rétention de Vincennes. Deux jours plus tard, je suis traduit devant un juge qui m'a accordé un sursis de 15 jours. Mon appel devant le tribunal administratif a été rejeté. Le juge a donc maintenu la décision de reconduction aux frontières. Je n'ai presque plus d'espoir de rester en France. Je serai certainement renvoyé en Algérie. Je n'ai pas peur d'y retourner, mais plutôt gêné de devoir affronter les regards et les sarcasmes des gens. On m'appellera « L'expulsé »… Après neuf ans passés en France, je vais donc retourner d'où je suis venu. Quel immense gâchis ! J'ai obtenu un diplôme de technicien supérieur en 1999. Bien sûr que j'ai cherché du travail, mais partout où j'allais on me servait la même rengaine : « Pas d'embauche. » Aussi, j'ai pris la décision de partir, de fuir. En juin 2003, avec un visa pour l'Allemagne dans la poche, je me rends d'abord en Espagne avant d'atterrir en France. Je ne suis pas venu pour faire du tourisme, mais pour y faire ma vie. Pendant ces neuf dernières années, j'ai vécu de petits boulots dans le bâtiment, la restauration ou dans le commerce. Je ne gagnais pas des masses, mais assez pour vivre décemment. Il y a quelques années, j'ai déposé une demande d'asile territorial, mais celle-ci a été rejetée. Il ne me restait que le mariage pour régulariser ma situation. Il y a cinq mois, j'ai fait la connaissance d'une compatriote qui possède la nationalité française. Notre relation est sérieuse si bien que ma mère est venue d'Algérie pour la demander en mariage. Aujourd'hui, notre projet risque de tomber à l'eau. Elle me rend visite chaque jour au centre de rétention et m'aide ainsi à tenir le coup. Sans elle, je suis perdu. Je n'ai pas la force de refaire ma vie en Algérie. Là-bas, je n'ai rien, hormis ma famille. Je ne dis pas que l'Algérie c'est l'enfer, mais ma vie aujourd'hui est en France. S'ils m'expulsent, je reviendrai car ma compagne et moi sommes décidés à nous marier. Depuis 2005, date à laquelle les autorités françaises ont décidé de multiplier les reconductions aux frontières, il ne se passe pas un jour sans qu'un sans-papiers algérien ne soit interpellé avant d'être expulsé vers l'Algérie. L'année dernière, 3072 Algériens ont été renvoyés au bled et tout porte à croire que ce chiffre sera revu à la hausse au cours de cette année.