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Le MSP et l'Islam de bazar
Publié dans El Watan le 19 - 05 - 2008

Le vote islamiste a enregistré un recul assez net lors des dernières élections législatives et locales. Les explications qui en sont données restent toutefois controversées. Ce faible score offre-t-il un indice de mesure fiable de l'islamisme au sein de la société algérienne ?
Aux élections législatives de 1997, le MSP a obtenu près de 7% des voix, soit 69 sièges. En 2002, il a remporté 38 sièges à l'assemblée nationale, la moitié des sièges dont il disposait en 1997. Lors des élections locales du 29 novembre 2007, le MSP n'a totalisé que 1789 sièges.
Quant aux autres formations islamistes, Ennahda et El Islah, ils n'ont obtenu que 461 sièges. Le mouvement El Islah, né d'une dissidence d'Ennahda en 1999, s'était classé cinquième aux locales de 2002. En mai 2007, El Islah n'a conquis que 3 sièges à l'Assemblée populaire nationale contre 43 sièges en 2002. Quant à Ennahda, ses résultats lors des récents scrutins démontrent son manque de popularité au sein de l'électorat islamiste. Il compte actuellement cinq sièges au Parlement, contre 38 en 1997. La mouvance islamiste a représenté en novembre 2007 13,5% des suffrages exprimés lors d'un scrutin marqué par un taux d'abstention de 60%. Dans les pays démocratiques, une telle abstention remettrait en cause la crédibilité de tout le système politique.
Cela représente-t-il le poids réel de l'électorat islamiste dans le pays ?
Le nombre de sièges qu'un parti peut avoir au sein des APC, des APW et de l'APN n'est vraiment pas très significatif. Les résultats officiels indiquent soit que la base électorale des partis islamiques est volatile, soit qu'ils acceptent la fraude électorale qui est faite tantôt à la faveur d'un parti donné, tantôt à sa défaveur. Il n'est donc pas facile d'avoir une idée assez précise sur le poids et l'influence de la mouvance islamiste dans notre pays. La sociologie électorale pourrait être d'un grand apport dans cette étrange situation.
Cette discipline n'a pas droit de cité dans nos universités. Un scrutin est pourtant organisé pratiquement chaque année depuis l'instauration du multipartisme.
Depuis le début des années 2000, la mouvance islamiste se maintient dans l'ensemble, elle est accréditée de 10 à 15% des intentions de vote. Sa force électorale est égale au courant de l'extrême droite en France ou ailleurs. On fait tout pour maintenir sa frappe de nuisance, une frappe «gérable». Mais jusqu'à quand ? Si l'on parvient à manipuler tant bien que mal les élites, il est en revanche très difficile d'instrumentaliser la rue.
La stratégie de l'entrisme pratiquée par les Frères musulmans et importée par le chef charismatique et néanmoins fondateur du MSP, le défunt Mahfoud Nahnah, a-t-elle entaché la crédibilité des formations islamistes ?
Lorsque la politique n'est pas institutionnalisée, l'histoire de tout parti politique est étrangement liée à son fondateur. L'histoire du MSP ne déroge pas à la règle. Cette histoire est donc intimement liée à celle de son fondateur, cheikh Mahfoud Nahnah. Pour rappel, il a été condamné à 15 ans de prison pour des «actions subversives» dans les années 1980. Il fut gracié par le président Chadli Bendjedid en 1981. Fidèle à ses engagements, il reprend son «activisme révolutionnaire» dans la région de Blida. A l'instar des autres radicaux, Nahnah voulait conquérir le pouvoir politique pour islamiser la société par le haut. De là, tout est «licite», y compris scier des poteaux électriques. Pris de vitesse par les fondateurs de l'ex-FIS, Mahfoud Nahnah crée alors son propre parti politique, Hamas, en se présentant désormais comme l'alternative à l'islamisme radical. Il choisit ainsi dès le début de cette aventure le «soutien critique» au régime, conformément à la stratégie de l'entrisme pratiquée par les Frères musulmans.
Il accepte de prendre part aux institutions, selon le principe de la «participation positive» au gouvernement. Cette modération dans le discours est bien payée, puisque Hamas, devenu MSP, a été gratifié de plusieurs ministres dans chaque gouvernement. Mais le MSP n'est pas satisfait de ces postes et revendique des ambassades, des postes de wali ou de chef de daïra. Ironie du sort, un poste de daïra est plus important que celui d'un ministre ! Mahfoud Nahnah est même autorisé à participer à l'élection présidentielle de 1995.
Il recueille officiellement 25,38% des voix et arrive en seconde position. Mais le Conseil constitutionnel rejette son dossier de candidature pour l'élection présidentielle de 1999.
Ce rejet ne l'empêche pas de soutenir la candidature de Abdelaziz Bouteflika ainsi que les autres grandes décisions gouvernementales. Cette participation crée des tensions au sein des militants de base du MSP.
Au début de la décennie 2000, de nombreux militants quittent le parti qui subit un grave recul électoral en 2002. Mahfoud Nahnah décède en 2003 après avoir été hospitalisé en France, à l'instar des autres dignitaires du régime. Bouguerra Soltani, un prédicateur de Constantine, le remplace à la tête du parti. Ce nouveau leader n'a pas eu la crédibilité de son prédécesseur. Le parti commence ainsi à perdre son audience et sa crédibilité dans les «cités-dortoirs».
Comment expliquez-vous la réélection de Bouguerra Soltani à la tête du MSP ? La victoire des «modérés» aura-t-elle des conséquences sur la radicalisation de l'islamisme ?
Les travaux du 4e congrès du MSP se sont terminés sans grande surprise, avec la victoire de Bouguerra Soltani, après le retrait de Abdelmadjid Menasra de la course. Les congressistes ont achevé leurs travaux avec l'examen sans débat des bilans moral et financier et ont procédé à la cooptation du porte-parole du parti. Soltani a donc succédé à lui-même après que sa candidature ait été cautionnée par le congrès et plébiscitée par le madjlis echoura. Deux fois député et quatre fois ministre, Bouguerra Soltani consacre l'absence de l'alternance au pouvoir.
Cette alternance ne fait pas partie des mœurs politiques dans les pays arabes par comparaison aux autres régions géopolitiques. Il y a une obsession de type hobbesien pour tenter de garder tout pouvoir qu'on peut avoir dans la vie de tous les jours. «La culture islamique n'est-elle pas finalement incompatible avec la démocratie occidentale», arguent des politologues. Toujours est-il, les Algériens ne sont pas encore prêts à accepter un débat heuristique sur cette question. Soltani a toutefois accepté le principe d'abandonner le poste de ministre pour se consacrer entièrement à la gestion du parti et par conséquent à la préparation de la prochaine élection présidentielle. Il soutiendra, selon toute vraisemblance, le «candidat rassembleur».
Le MSP vient effectivement de connaître la crise la plus grave de son existence, au point où il a failli imploser en faisant abstraction de la discipline du parti, une discipline de type militaire. La situation a été tellement grave que la direction du parti a fait appel à l'intervention d'un «comité d'apaisement». En réalité, une crise larvée est apparue dès la disparition de cheikh Mahfoud Nahnah, le chef charismatique. Mais le jeu subtil des alliances et des marchandages liés aux rentes de situation a prévalu tant bien que mal au sein des instances dirigeantes. Au lendemain de son intronisation, Soltani, en tant que grand vainqueur, a même ridiculisé ses adversaires, le courant des Frères musulmans, en les accusant de «makhzen». Le courant des Frères musulmans qui prend de l'ampleur au Moyen-Orient depuis l'invasion de l'Irak, sera amené, selon toute vraisemblance, à former sa propre formation politique en Algérie en s'alliant avec les déçus de la réconciliation nationale, comme Abdallah Djaballah et Ali Benhadj. L'intégration de «l'Islam modéré» dans les luttes de sérail risque de conduire à l'émergence d'un autre courant radical, certes pacifique mais pernicieux.
Le courant radical que vous venez de mentionner aurait-il un lien avec les mutations que connaît le monde et qui touchent également l'Algérie ?
A l'ombre de «l'Islam modéré», un autre islamisme est en effet en train de voir le jour dans de nombreux pays musulmans, c'est «l'Islam de bazar». Cet islamisme qui se veut être beaucoup plus social que politique a commencé à prendre de l'ampleur en Algérie à partir du début des années 2000. Le renchérissement des prix des hydrocarbures est en train d'accélérer ce phénomène.
Le recyclage des grosses fortunes amassées pendant la période du terrorisme, injectées brutalement dans l'immobilier et le commerce de gros a également contribué à l'émergence de ce phénomène. Comme par hasard, à Alger, comme dans les autres grandes agglomérations, des quartiers entiers, hier lieu de prédilection du terrorisme, sont devenus de véritables «zones franches», où le commerce du gros prospère. Ces commerçants ne sont guère dérangés outre mesure par les agents du fisc. A partir de 2010, l'Algérie importera plus 50 milliards de dollars de «quincaillerie» par an. Le nombre de commerçants et de parasites, de tous bords, augmentera incontestablement dans le pays, la mentalité mercantile renforce les intégrismes au détriment de la consolidation démocratique.
Quel est l'objectif recherché par cette «nouvelle idéologie mercantiliste» ? Ne constitue-t-elle pas une menace pour la stabilité du pays ?
Cet islamisme ne vante plus les vertus d'un Etat islamique mais la réussite individuelle. Il prône la réalisation de soi et instruit le procès de l'étatisme et des syndicats autonomes. Ses agents ne renoncent pourtant en rien à la rigueur morale et fustigent «les modes vestimentaires occidentaux».
Si le port du voile est obligatoire, sa taille et sa couleur comptent peu. Le voile dans toutes ses coutures a ainsi envahi la sphère publique. La prière du Vendredi faite à la mosquée est devenue un rite social. Le nombre de bars a drastiquement diminué à travers le pays pendant qu'on veut s'ouvrir aux touristes.
L'islamisation de la modernité est un des grands enjeux de cette nouvelle idéologie. Le nouveau discours qui emprunte au néolibéralisme, économiquement, et aux néo- conservateurs, idéologiquement, séduit particulièrement les jeunes des classes moyennes. Des prédicateurs, comme l'Egyptien Amr Khaled, leur apporte une caution spirituelle. La richesse mercantile est perçue comme un signe d'élection divine. Derrière toute pauvreté, il y a un péché, selon de nombreux prédicateurs. Les personnes démunies ne sont pas assez «débrouillardes» dans un bazar où tout se vend et s'achète. Les harraga qui veulent vivre autrement sont mal vus.
L'économie a pris une tournure dangereuse pour la stabilité nationale. Sa lourde tendance tend à se renforcer au gré de l'augmentation des revenus pétroliers, de l'immobilisme économique et du «bricolage» institutionnel. Dans une telle situation qui est aggravée par un état d'insurrection larvée, n'importe quel darwich pourrait facilement enflammer «l'Islam de bazar». La «révolution silencieuse» qui est en marche pourrait être plus déstabilisatrice que le mouvement des émeutes.


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