Le pouvoir aura perdu avec la mort de Nahnah un élément essentiel de l'échiquier politique. Cocasse, facétieux, intrigant, rusé, équilibriste politique. Voilà des qualificatifs auxquels n'échappe pas le cheikh de Blida, mais théologico-politique, avec une vingtaine d'années au moins passées dans la clandestinité, Nahnah est resté comme un iceberg : on n'en connaît que la partie émergée. Partie prenante des ouvertures démocratiques depuis 1989, il est surtout connu par le grand public à partir de la date de création de l'association El Irchad wal islah, le 12 février 1989, et du parti politique Hamas, le 6 novembre 1990, dont il deviendra le président à partir du congrès constitutif, le 29 mai 1991. En cinq ans d'activité légale, il donne à son parti (qui deviendra par la suite le MSP) une dimension quasi nationale. Lors des élections présidentielles de 1995, il obtient un très bon score et se classe second, juste derrière le président entrant Liamine Zeroual: «Je suis la deuxième force politique du pays, et cela sans avoir eu recours à la fraude», aimait-il répéter à la face de ses adversaires. Son parti vole de victoire en victoire, et obtient notamment près de 70 sièges à l'Assemblée nationale lors des élections de 1997. Plusieurs APW et APC «tombent» entre les mains du MSP qui donne la nette impression d'être «réellement» un parti résolument et foncièrement politique. En fait, c'est bien là que réside le mérite de Nahnah aux yeux des autorités: d'un côté, il joue «à fond» le jeu constitutionnel en se pliant à toutes les règles politiques et à toutes les contraintes juridiques (dangereux rival pour le candidat Bouteflika, lors de la présidentielle de 1999, il accepte sans mot dire de se retirer de la course au siège d'El-Mouradia, là où se trouve justement le siège du MSP), et d'un autre, il donne une certaine légitimité aux élections en les émaillant d'une couleur islamiste après l'élimination controversée du FIS. Le programme pourtant ostensiblement religieux du MSP est atténué par le discours patriotique, la verve langagière et les prises de position hyper-nationalistes de son président Nahnah. Il est presque arrivé à faire oublier à tout le monde (hormis le courant dit «éradicateur, bien entendu» que son parti est un parti islamiste convaincu, un «FIS version soft», en quelque sorte. Pour tout cela, il représentait le gage d'une élection démocratique pour le pouvoir. Tous les présidents entrant depuis Boudiaf, essayaient de gagner l'estime, ou pour le moins, le soutien de cet homme inénarrable qui ne rechignait pas à s'afficher avec les présidents, les généraux et les richissimes hommes d'affaires. Passé maître dans la stratégie de l'entrisme et du noyautage, des concessions et compromissions, de l'intrigue et du jeu de coulisse, il a réussi là où tous les islamistes algériens ont échoué avant lui en plaçant plusieurs de ses hommes au poste de ministres (Bengrina, Menasra, Ghoul, Bouguerra Soltani, etc.) Cela l'a mené souvent à se confronter à la mouvance islamiste radicale qui a toujours refusé les compromissions avec l'Etat. Les luttes qu'il a menées en sous-sol, contre les radicaux notamment, avaient abouti à l'assassinat d'au moins une centaine de ses cadres par les groupes armés, qui leur reprochaient d'avoir commis une «haute trahison» en se rapprochant du pouvoir. Cette lutte islamistes-islamistes faisait le jeu du pouvoir qui multipliait les initiatives pour diviser la nébuleuse islamiste, très forte et très influente si on la laissait agir sur les événements. Le cheikh incontesté de la Mitidja a refusé une première fois l'aventure sanglante de l'islamisme radical, prônée par Bouyali et son équipe dès 1981, avant de refuser la seconde aventure, prêchée par le Front du salut, à partir de 1990. La création du Hamas, le 6 novembre 1990, a été qualifiée par les leaders du FIS de «coup de couteau dans le dos». Pourtant, les méandres tumultueux et sinueux du parcours politique et théologique de Nahnah plaident en sa faveur grâce à «ces Rastignac de la religion». Imam dès 1960, en pleine colonisation, opposant du pouvoir algérien dès 1972, opposant à la charte, en 1976, condamné à une peine de 15 ans d'emprisonnement par le régime de Boumediene (libéré par Chadli cinq ans plus tard) et membre dirigeant de la confrérie des Frères musulmans près de quarante ans, il n'a pas son pareil dans le jeu politique. Nahnah possède la spécificité unique d'être à la fois un élève de l'école des Ikhwan et de celle des Ulémas, dont le patriotisme l'a si profondément imprégné. Perte cruelle donc pour le MSP, mais surtout pour le pouvoir qui perd un courant islamiste mesuré et modéré dans un contexte caractérisé par la poussée effrayante du radicalisme.