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« L'accord d'association avec l'UE a été très mal négocié »
Mourad Ouchichi (Professeur d'économie à l'université de Béjaïa)
Publié dans El Watan le 19 - 05 - 2009

Les autorités algériennes, représentées par le directeur du commerce extérieur au département de Hachemi Djaâboub, ont établi récemment un bilan négatif des quatre années ayant suivi la mise en œuvre de l'accord d'association signé en septembre 2005 avec l'Union européenne. Pensez-vous que l'Algérie est plutôt victime d'un accord mal négocié ?
Il est à la fois curieux et révélateur de voir les responsables algériens faire le bilan (souvent négatif) des actions qu'ils avaient eux-mêmes initiées. Pourtant, avant la signature de l'accord d'association, en 2002, avec l'Union européenne (UE), plusieurs observateurs et experts avaient mis en garde les autorités quant aux risques d'adhésion à une zone de libre-échange (ZLE) avant d'entamer les réformes structurelles nécessaires au passage de l'économie nationale vers une économie productive. Pour revenir à votre question, effectivement l'Accord d'association avec l'UE est très mal négocié. Pourtant, les autorités avaient pris tout le temps nécessaire. L'Algérie est le dernier pays maghrébin à avoir signé l'accord avec l'UE. Il lui avait fallu plus de 6 ans (le début des négociations a eu lieu en 1996) pour prendre la décision de ratifier son accord. Dès lors, la question est celle de savoir pourquoi l'Algérie n'a pas bien négocié l'Accord d'association avec l'UE. Contrairement à ce qu'avançait le discours officiel de l'époque, expliquant le report de la ratification de l'Accord d'association avec l'UE par la non-reconnaissance de cette dernière des spécificités de l'économie algérienne, le pouvoir algérien durant la deuxième moitié des années 1990 a utilisé l'Accord d'association pour exercer « une sorte de chantage » sur l'UE et la communauté internationale. C'est-à-dire qu'en échange de l'acceptation des exigences européennes, le pouvoir algérien cherchait l'obtention d'un soutien clair de l'UE à sa politique du « tout sécuritaire » engagée après l'arrêt du processus démocratique. Rappelons que l'article II des accords d'association conditionne la coopération entre les deux parties partenaires par le respect des droits de l'homme. La signature de l'accord, le 21 avril 2002, s'inscrit dans la même logique. L'Algérie n'avait pas accepté d'intégrer la ZLE après des années d'attente, parce que l'Union européenne aurait fait une concession, mais simplement parce que cela répondait aux nouvelles orientations politiques du régime. Rappelons que depuis son arrivée au pouvoir, Abdelaziz Bouteflika avait fait de la réintégration de l'Algérie sur la scène internationale une priorité absolue. La signature de l'Accord d'association avec l'UE tombait à point nommé. Ceci dit, les lenteurs et les retards accusés dans la ratification de l'accord ne répondaient nullement au souci de vouloir obtenir des concessions économiques, mais plutôt pour arracher un soutien politique. Quand un régime politique est en manque de légitimité populaire acquise par le suffrage universel, il ne peut négocier en position de force avec l'extérieur. C'est une règle qui n'accepte pas d'exception au niveau des relations politiques et économiques internationales.
Les entreprises algériennes sont confrontées à des contraintes liées aux conditions techniques et réglementaires d'accès au marché européen. Pensez-vous que les entreprises algériennes ne sont pas à la hauteur des standards européens, tel que ceci est avancé par la partie européenne, ou bien sont-elles plutôt victimes d'une politique protectionniste, voire ségrégationniste au sein du marché européen ?
Il ne faut pas se mentir à soi-même. Après plus de 40 ans de gestion rentière et hasardeuse de l'économie nationale, il est évident que l'Algérie ne dispose pas d'entreprises fonctionnant selon les normes internationales. Le produit algérien, mis à part quelques exceptions insignifiantes, est d'une qualité déplorable. Les entreprises encore existantes s'avèrent incapables de se placer sur le marché national devant la concurrence chinoise et asiatique de qualité douteuse. Alors que dire du marché européen ? L'explication de cet état de fait n'est pas difficile ; lorsqu'une entreprise n'est pas soumise aux pressions de la concurrence et quand celle-ci évolue dans un environnement rentier, elle perd sa vocation de créatrice de richesses pour devenir un canal de transmission de la rente. Compte tenu donc de la nature rentière et distributive de l'économie nationale (et c'est un choix politique du régime), l'entreprise algérienne n'est pas à la hauteur des standards internationaux en matière de qualité et de services. Quant au second volet de votre question, à l'exception des produits agricoles qui bénéficient d'une protection clairement affichée par l'UE (à cause de la Politique agricole commune, PAC), on ne peut pas dire que l'UE pratique une politique protectionniste ou ségrégationniste à l'égard de ses partenaires. C'est aux négociateurs des pays du sud de la Méditerranée d'exercer les pressions nécessaires pour l'ouverture des négociations sur le volet agricole. Mais encore une fois, peuvent-ils le faire ?
Ne pensez-vous pas que les restrictions imposées à Sonatrach sur le marché européen n'ont aucun lien avec les exigences de conformité avec les standards européens et internationaux ?
A l'instar des autres puissances dominantes du marché mondial, l'UE use de tout son pouvoir pour défendre ses intérêts. Il n'y a qu'à observer le déroulement des réunions de l'OMC, où les pays industrialisés, à commencer par les USA, bloquent toutes les décisions qu'ils jugent contraires à leurs intérêts stratégiques. Les rapports de domination Nord-Sud ne sont un secret pour personne. Pour ce qui est du cas des démêlés de Sonatrach avec certains pays européens, il est vrai que le marché international des hydrocarbures, de par son caractère stratégique est régi par des rapports de force qui parfois piétinent sur la seule logique économique. Le cas des difficultés que rencontre Sonatrach est à ce propos édifiant. Mais encore une fois, c'est à l'Etat algérien d'user de ses influences et de sa diplomatie pour défendre les intérêts de ses entreprises à l'international.
Cette évaluation préliminaire de l'Accord d'association avec l'UE est-elle de nature à permettre l'ouverture d'une zone de libre-échange à l'horizon 2017, une des clauses de cet accord en question ?
Il faudra préciser d'abord que les trois principaux axes de l'Accord d'association signé entre l'Algérie et l'UE sont en ordre de priorité comme suit. Primo, un dialogue politique permanent et une coopération judiciaire régulière ; l'Algérie s'est engagée à lutter efficacement contre l'immigration clandestine et à fournir des informations concernant les affaires liées au terrorisme et aux crimes organisés, etc. De son côté, l'UE, par le biais du programme Meda-démocratie, accompagne la transition politique du pays. Une question s'impose, cette transition politique était-elle souhaitée par le régime algérien ? La réponse est évidemment « non », si l'on tient compte des conditions de préparation et de déroulement et des résultats des élections organisées depuis la signature de cet accord. Secundo, l'établissement d'une zone de libre-échange entre l'UE et tous les pays de la Méditerranée en conformité avec les règles de l'OMC, les dispositions relatives à la liberté d'établissement, la libéralisation des services, la libre circulation des capitaux et l'application des règles communes de la concurrence. Tertio, sur le plan social et culturel, l'UE et l'Algérie se sont engagées à promouvoir toutes les initiatives des acteurs algériens et leurs homologues européens visant le renforcement des liens entre sociétés civiles et peuples de la Méditerranée. Pour revenir à votre question, cette évaluation préliminaire de l'Accord d'association avec l'UE, aussi grisâtre soit-elle, ne peut être de nature à remettre en cause la mise en œuvre de la zone de libre-échange pour au moins deux raisons. Premièrement, l'Algérie est en négociations pour adhérer à l'OMC (je pense que la décision politique d'adhésion est déjà prise), donc on ne peut pas, d'un côté vouloir adhérer à l'OMC, et de l'autre entraver la mise en place d'une ZLE. Deuxièmement, le pouvoir en place n'a pas les capacités politiques nécessaires pour s'opposer aux clauses d'un accord avec une puissance aussi importante que l'UE, du fait du déficit de légitimité interne dont il souffre.
Quels seront les risques et les enjeux d'un démantèlement tarifaire plus poussé ?
L'accroissement du degré d'ouverture commerciale avec l'UE, qui se matérialise à travers le démantèlement des barrières tarifaires et non tarifaires, va entraîner au minimum quatre conséquences. Il s'agit d'abord d'un déséquilibre budgétaire. C'est-à-dire que les conséquences immédiates de l'ouverture économique et leur gestion impliquent une baisse des recettes budgétaires d'un côté, et l'augmentation des dépenses publiques, d'un autre. En effet, le manque à gagner fiscal et l'accroissement des importations encouragé du fait du démantèlement tarifaire provoquent généralement des déséquilibres importants du solde budgétaire. Pour y faire face, les Etats procèdent généralement à d'importantes dépenses publiques et à des dévaluations (directe ou par glissement) atteignant parfois plus de 50% de la valeur de la monnaie nationale. Ces mesures, à leur tour, ne sont pas sans conséquences sur le pouvoir d'achat des citoyens, la paix sociale… Il s'agit, ensuite, d'un creusement du déficit commercial. Le libre-échange peut être une cause du déficit commercial, particulièrement lorsqu'il s'établit dans une région où les rapports de domination économique et de polarisation d'échanges existent (c'est le cas entre l'UE et l'Algérie). La hausse des importations des produits industriels provenant de l'Europe suite à l'établissement de la ZLE est une perspective évidente pour au moins deux raisons. Cette opération de libre-échange provoquera d'abord la substitution des importations algériennes en provenance des autres pays industriels non concernés par les avantages douaniers accordés aux produits européens. Il faut s'attendre, ensuite, à une progression de la consommation interne des produits européens importés. Cette hausse pèsera, à l'évidence, négativement sur la balance commerciale algérienne. Il est question aussi d'une probable régression de la croissance. A moyen terme, l'ouverture graduelle aux produits industriels européens aura deux effets sur la croissance. Il faut s'attendre à une baisse de l'activité dans les secteurs non concurrentiels qui étaient jusque-là protégés, mais aussi à une déstabilisation des rythmes de production suite à la réaffectation des facteurs, particulièrement dans la période de transition vers de nouvelles spécialisations. Un démantèlement tarifaire plus poussé aura un autre effet négatif sur l'emploi. La soumission des secteurs protégés de l'industrie locale à la concurrence européenne provoquera des pertes certaines d'emplois. Sous l'effet de la pression d'une forte concurrence, les entreprises locales tenteront de se mettre à niveau par la réduction des charges salariales. Dès lors, il n'est pas excessif d'affirmer que l'ouverture de la ZLE, du moins dans ses débuts, conduira à des pertes d'emplois et provoquera l'exacerbation des crises sociales, voire politique.
Pourquoi, selon vous, les aides de l'Union européenne accordées à la Tunisie et au Maroc sont plus importantes que celles attribuées à l'Algérie ? Pensez-vous que l'Algérie devrait demander une révision de certaines clauses de son accord avec l'UE ?
Nous avons effectué une étude dans le cadre d'un travail qui se voulait comme une contribution à la définition des conditions de succès des accords d'association euroméditerranéens, sur les programmes de mise à niveau des entreprises maghrébines pour faire face aux conséquences de la création de la ZLE. Les résultats sont édifiants à plus d'un titre. Si l'Algérie n'a pas bénéficié de plus d'aides de l'UE, ce n'est pas parce que cette dernière n'en accordait pas, mais parce que l'Algérie n'utilise même pas ses parts. C'est le même phénomène que l'on peut constater au niveau de l'exploitation du programme financier Meda, consacré à la société civile (ONG, partis politiques…). En fait, pour bénéficier de ces aides, il faut au préalable présenter à la Commission européenne et ses différents organismes des projets concrets et viables. Or, nous avions constaté que les entreprises algériennes, contrairement aux sociétés marocaines et tunisiennes, n'avaient pas de visions claires de ce qu'elles voudront faire. L'Etat qui devait jouer le rôle d'accompagnateur ne l'a pas fait. Résultat, l'Algérie ne consomme même pas sa part des aides accordées par l'Union européenne. Par ailleurs, le problème de la mise à niveau de l'économie algérienne ne se pose pas en termes de manque de financement. Nos banques sont submergées par des surliquidités. Le pays possède les capacités financières suffisantes pour devenir en quelques années un géant économique régional, pourquoi pas continental. Le problème de l'économie algérienne est d'une autre nature : le régime politique en place ne peut pas s'accommoder d'une économie productive qui, à terme, transférera le pouvoir économique vers la société. En d'autres termes, le régime en place préfère une économie rentière et distributive qui lui assure la domination politique de la société.


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