Le gouvernement feint-il de découvrir, quatre ans après sa mise en œuvre, que l'accord d'association avec l'Union européenne est dommageable à l'intérêt national ? Cela en a tout l'air. Dans le viseur du gouvernement Ouyahia, l'accord d'association, signé le 22 avril 2002 lors du sommet euroméditerranéen de Valence en Espagne et mis en œuvre le 1er septembre 2005, fait de plus en plus l'objet de critiques acerbes émanant d'officiels algériens. Une levée de boucliers aussi surprenante que tardive et qui tranche avec la bienveillante attention avec laquelle les gouvernements successifs ont couvé cet accord et le mépris avec lequel ont été considérées les mises en garde de nombre d'experts et observateurs, qui avaient prévenu, bien avant la ratification de l'accord, des risques d'adhésion à une zone de libre-échange (ZLE), avant d'entamer les réformes structurelles nécessaires au passage de l'économie nationale vers une économie productive. Mercredi, sans aller jusqu'à dénoncer, vertement, les dispositions préjudiciables de l'accord en question, El Hachemi Djaâboub a rappelé néanmoins aux partenaires européens une partie de leurs « engagements » non tenus relatifs notamment à l'accession de l'Algérie à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). « Il est écrit noir sur blanc qu'en contrepartie de l'accord d'association, les Européens devraient aider l'Algérie à accéder à l'OMC, ce qui n'a pas été fait à ce jour. Nous recevons encore des questions de la part de l'UE qui ne facilitent pas cette accession », a-t-il déploré. A l'OMC et à l'UE, qui réclament la révision du prix domestique du gaz, le ministre du Commerce a, sur un ton inhabituel, opposé une fin de non-recevoir. L'Algérie n'est « pas près de céder sur la question récurrente du prix du gaz » pratiqué sur le marché national, a déclaré M. Djaâboub à la presse. Plus offensif, il reproche même à l'UE d'entraver les entreprises algériennes exportatrices vers l'Europe. L'Algérie a entamé, en 2007, des négociations pour la suppression d'une taxe anti-dumping de 13%, imposée par l'UE sur les engrais fabriqués par l'entreprise Fertial (filiale d'Asmidal), sous le prétexte que le prix de l'énergie « gaz » utilisée dans cette industrie était subventionné, a-t-il expliqué. Ce contentieux est « toujours à l'étude au niveau de la Commission européenne à Bruxelles qui y voit une subvention déguisée, alors que nous avions fourni toutes les données nécessaires pour leur montrer que le prix interne du gaz est un prix réel qui ne contient pas de subvention », a-t-il dit. Fertial, « cas édifiant sur le traitement discriminatoire que subissent les entreprises algériennes, vient s'ajouter à celui de Sonatrach. L'entreprise algérienne des hydrocarbures en 2007 a été empêchée d'avoir un accès direct au marché espagnol de la distribution du gaz et des carburants ». M. Djaâboub n'est toutefois pas le premier responsable algérien à mettre le doigt sur les déséquilibres entachant la coopération stratégique entre l'UE et l'Algérie. Cherif Zaâf, directeur du commerce extérieur au département d'El Hachemi Djaâboub, a brossé le 12 mai dernier un tableau noir des échanges économiques et commerciaux entre l'Algérie et l'UE. Une balance commerciale défavorable à l'Algérie L'évaluation préliminaire de l'accord d'association avec l'Union européenne (UE) donne l'Algérie « grand perdant » dans de la mise en œuvre de l'accord d'association. La balance commerciale hors hydrocarbures de l'Algérie est « très déséquilibrée » en faveur de l'Union européenne. « Pour 1 dollar exporté vers l'UE, l'Algérie importe pour 20 dollars », constate Cherif Zaâf. Alors que les exportations algériennes hors hydrocarbures vers les pays de l'UE demeurent « marginales », voire « insignifiantes » – elles se sont établies autour de 1 milliard de dollars en 2008 – pour cause de « contraintes liées à des conditions techniques et réglementaires d'accès au marché européen des plus restrictives », les importations à partir de l'UE, elles, explosent depuis 2005. Les importations algériennes ont augmenté de près de 80%, passant de 11,2 milliards de dollars en 2005 à 20,8 milliards de dollars en 2008. L'importation des produits industriels a atteint 17,7 milliards de dollars en 2008 contre 9,8 milliards de dollars en 2005. 55% des importations globales de l'Algérie ont désormais pour origine l'UE. Le responsable note, également, une très faible présence des investisseurs européens en Algérie, notamment dans les secteurs hors hydrocarbures, l'absence d'un dispositif permanent de partenariat et « une érosion d'année en année des préférences accordées à l'Algérie en 2002 ». Les contingents tarifaires accordés par l'Algérie à l'UE dans le cadre de l'accord d'association ont été, selon M. Zaâf, « consommés totalement par les pays de l'UE et, à l'inverse, l'Algérie n'a consommé que 6 sur les 41 octroyés par l'UE à des taux très faibles qui ne dépassent pas les 10% ». L'Algérie, dernier pays du Maghreb à avoir signé l'accord d'association avec l'UE, se rend à l'évidence qu'elle a finalement « très mal négocié » la sauvegarde de ses intérêts. Quatre ans après sa mise en œuvre, l'accord n'a pas un exemple d'engagements honorés de part et d'autre. L'article 2 de cet accord, qui fait la part belle au « respect des principes démocratiques et des droits fondamentaux de l'homme (…) », relégué au second plan, illustre sa part de faillite politique. Dans son volet économique et commercial, l'accord d'association, qui prévoit à l'horizon 2017 l'établissement progressif d'une zone de libre-échange, avec à la clé un démantèlement complet des barrières tarifaires et non tarifaires, ne sera pas sans conséquences fâcheuses sur l'économie nationale. Par sa nouvelle posture, Alger donne-t-il l'impression de vouloir remettre en cause l'accord d'association ? Mourad Ouchichi, professeur d'économie à l'université de Béjaïa ne se fait aucune illusion. Dans une interview à El Watan (lire notre édition du 19 mai 2009), l'économiste affirme que l'évaluation préliminaire de l'accord d'association avec l'UE, « aussi grisâtre soit-elle ne peut être de nature à remettre en cause la mise en œuvre de la zone de libre-échange ». « Pour au moins deux raisons, dit-il. Premièrement, l'Algérie est en négociation pour adhérer à l'OMC – je pense que la décision politique d'adhésion est déjà prise –, donc on ne peut pas, d'un côté, vouloir adhérer à l'OMC et, de l'autre, entraver la mise en place d'une ZLE. Deuxièmement, le pouvoir en place n'a pas les capacités politiques nécessaires pour s'opposer aux clauses d'un accord avec une puissance aussi importante que l'UE, du fait du déficit de légitimité interne dont il souffre. »