« J'ai toujours pensé que les frères jumeaux éprouvaient mutuellement un fort sentiment d'affection et que l'un ne pouvait se passer de l'autre. Si l'un d'eux tombait malade par exemple, il contamine automatiquement son frère. J'ai entendu raconter des tas d'histoires du genre à ce propos. Mais aujourd'hui, c'est un cas contraire, bouleversant. Le tribunal criminel est devant une affaire très insolite de fratricide, qui défraye la chronique judiciaire. En effet, l'accusé n'est autre que le frère jumeau de la victime », s'émeut d'un ton acerbe le représentant du ministère public, avant de renchérir : « Il s'est acharné sur lui à coups de couteau pour une futilité. La lame a sectionné l'artère fémorale. La mort a été lente, il a succombé à une forte hémorragie. Rien ne peut justifier cet odieux acte. Je requiers la réclusion criminelle à perpétuité. » Durant tout le réquisitoire, le regard aigu de G. Abdelfatah est resté fixé sur l'avocat général. Il souffle dans ses joues en hochant la tête à l'annonce de la peine requise. Selon les faits consignés dans l'arrêt de renvoi, l'accusé a porté cinq coups de couteau à son frère jumeau, Ahmed, le 6 septembre de l'année dernière, dans le populeux quartier le Petit lac, leur lieu de résidence. Marchands ambulants de leur état, les jumeaux se partageaient un étalage dressé au sein du marché le Petit lac. L'accusé nourrissait une haine amère et enfiellée à l'égard de son frère. Les raisons de cette animosité seraient liées à certains avantages dont bénéficiaient la victime auprès de sa famille, du voisinage et de la clientèle. Selon leur entourage, G. Abdelfatah est le genre d'individu constamment imbibé de bière, qui passe le clair de son temps à traîner ses guêtres aux abords des bars de la ville d'Oran. Il ne se pointait au marché que pour réclamer le partage de la recette à son frère. Ce malheureux état de fait était à l'origine de l'énième altercation ayant opposé les jumeaux et qui s'est, malheureusement, terminée en drame. « Je n'avais pas l'intention de le tuer. Il s'est jeté sur moi armé d'un bâton. Il m'a asséné plusieurs coups, je me suis défendu », radote l'accusé. « Les résultats de l'expertise médicale ne font pas état d'une blessure quelconque sur votre corps. Et pourtant vous avez été arrêté et ausculté quelques heures seulement après votre forfait », fait remarquer doucement le président. L'accusé mal à l'aise se trémousse dans son jeans. Une expression cynique s'affiche sur son visage patibulaire avant qu'il n'ergote d'un ton sinistre « Mon intention était seulement de lui faire peur. » L'avocat de la défense a plaidé le bénéfice des circonstances atténuantes au terme d'une brève plaidoirie. A l'issue des délibérations, le tribunal criminel a prononcé une peine de huit ans de réclusion. G. Abdelwahab aura 57 ans à sa libération, s'il purge évidemment la totalité de sa peine.