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Du LMD au statut de l'enseignant chercheur (1re partie)
Publié dans El Watan le 14 - 08 - 2008

Pourtant, je suis bien obligé en tant qu'enseignant et chercheur de me questionner afin d'essayer de comprendre et de me faire l'exégète des textes issus des circulaires, des réunions et des assises nationales. Et dès lors, je me pose la question : qu'apporte de nouveau le statut particulier de l'enseignant chercheur, échafaudé comme en catimini et sans concertation avec les intéressés ? La même question se pose à propos du système Licence-Mastère-Doctorat (LMD) : comment est-il possible de «copier» et de transposer mécaniquement un système d'enseignement élaboré ailleurs dans un environnement social et économique autre que celui auquel il est destiné ? Sait-on que le LMD a été le produit d'une réflexion collective et longuement mûrie entre les parties prenantes de l'Union européenne? Discuté et développé de manière à s'harmoniser avec les institutions, les attentes et les besoins des membres qui le composent, le LMD a fait l'objet non seulement de concertations et d'accords entre les pays membres de l'Union, mais aussi et surtout entre chacun d'eux et la communauté universitaire, les syndicats et les parents d'élèves.
N'étaient ces concertations multilatérales et ces accords entre toutes les parties prenantes autour des enjeux politique et culturel (unité politique, économique, monétaire et culturelle…) face au reste du monde, ce LMD n'aurait pas été institué. Il n'est pas le résultat d'une décision bureaucratique précipitée ou irréfléchie, mais le produit d'une stratégie longuement élaborée en fonction d'une foule de variables d'importance inégale, mais articulées de manière cohérente. Parmi ces variables, il faut citer l'environnement politique, économique et culturel qui, d'un bout à l'autre de l'Europe, se prête à merveille à l'application du LMD en raison de l'unification de la législation et de la cohérence du contenu et de la visée de l'enseignement et de la recherche adoptés.
Quoique l'Europe soit une mosaïque d'Etats, une sorte de tour de Babel où toutes les langues se croisent et interfèrent les unes avec les autres, elle a réussi malgré tout à surmonter ses obstacles linguistiques en fondant un système d'enseignement adapté et lisible pour chacun de ses membres constitutifs.
Dès lors se posent des questions de taille, pourquoi notre pays importe-t-il, comme il le ferait d'une machine à coudre, un système d'enseignement, fut-il efficace et performant, alors qu'il ignore la manière et l'esprit avec lequel il a été conçu ?
Suffit-il de copier les «modes d'emploi» du LMD et de les appliquer mécaniquement pour que le système réussisse ? Comment peut-il venir à l'esprit, tant soit peu logique, qu'un système conçu pour être appliqué à un environnement particulier puisse l'être dans un autre, complètement différent quant à ses moyens, ses structures mentales et psychologiques, quant à ses méthodes, son savoir-faire et sa représentation du monde ?
Le décret exécutif n° 08-130 du 3 mai 2008 relatif «au statut particulier de l'enseignant chercheur», qui vient d'être rendu public dans le JO n°23 daté du 4 mai, évite soigneusement de se poser ces questions.
Les rédacteurs de ce décret ne semblent guère s'encombrer de questionnements de ce genre et donnent l'impression que les choses sérieuses peuvent se régler «techniquement», à coups de décrets, de dispositions, d'articles et d'alinéas, plutôt que par un effort réflexif axé sur les données sociologiques, économiques et anthropologiques de la nation. Certains articles dudit décret méritent d'être examinés attentivement, soumis au crible critique, si l'on veut saisir leurs présupposés «philosophiques», leur contenu véritable, et les moyens matériels et humains que ces articles mettent à la disposition des enseignants chercheurs pour concrétiser les objectifs que l'on attend d'eux. La lecture des dispositions générales de ce texte et les articles qui s'y déploient nous laissent en effet fort pantois.
Pour savoir si ce LMD que les Européens ont conçu comme un diplôme unique et valable partout sur le continent est susceptible d'être transposé et appliqué avec succès ou non chez nous, il convient tout d'abord de se demander si nous avons les moyens et les ressources intellectuelles pour garantir le succès de ce diplôme et en faire un équivalent à celui des Européens. Comment réaliser la parité de celui-ci avec celui-là ? Cette question de fonds, le décret exécutif précité ne la pose pas non plus. Il l'esquive carrément. Cet évitement s'explique sans doute par le fait que ses rédacteurs sont plus préoccupés par «la technique juridique» et administrative que par les questions de sociologie et de méthode. Ce défaut les conduit tout naturellement à parler plus des «résultats» que des voies et moyens qui permettent d'y arriver. Ainsi présentent-ils comme acquis ce qui devrait l'être, à savoir les résultats avant les moyens qui permettent de les concrétiser. Ce faisant, ils mettent pour ainsi dire la charrue avant les bœufs.
Le LMD, une forme de plagiat instituée en un système d'enseignement de qualité ?
Le LMD, tel que décrit dans les documents et les textes issus des assises, des colloques et des réunions organisés sous l'égide du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, apparaît à la lecture comme un concept hermétique. Non seulement le profane n'y comprend rien, mais encore les rédacteurs eux-mêmes de ces textes semblent ne pas saisir tout à fait l'objet dont ils parlent.
En effet, le LMD est défini par eux plus comme un substantif, comme un nom désignant une réalité abstraite et informe, que comme un concept qui pourrait être opératoire dans le contexte algérien. Il est seulement dit et suggéré que ce LMD ressort d'un «système» dont l'adoption bouleverserait la physionomie de l'enseignement et de la recherche et accélérerait le processus de réforme entamée.
A la lecture de ces textes rédigés presque en conciliabule, on est frappé par l'absence de précision et de définition de l'objet «LMD» et des moyens envisagés pour sa mise en application. On sent, par ailleurs, sous la plume de ces experts, l'effet de l'imitation consistant à transposer des notions et des concepts exogènes à un contexte «autochtone» mal préparé au plan intellectuel, conceptuel et méthodologique pour mener à bien les réformes que requièrent «la mondialisation» et la «mise à niveau».
Alors que la quasi-totalité des enseignants de nos 41 établissements d'enseignement universitaire pataugent dans un flou artistique quant au contenu de ce LMD transposé, le rapport national sur l'évaluation d'étape de l'application de la réforme des enseignements supérieurs, rapport issu des assises nationales de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique, pose le LMD comme évident, comme une chose allant de soi. Lorsque les responsables chargés du suivi de l'application de ce système LMD dans les 41 établissements s'avèrent eux-mêmes à l'examen incapables d'expliquer et de définir son contenu, comment peut-on s'attendre à ce que les 149 000 étudiants inscrits en LMD puissent parvenir à en saisir le sens ?
Les enseignants eux-mêmes n'en savent pas grand-chose et attendent toujours qu'on leur fournissent des «explications» pour mettre en pratique ce système plaqué. Comme la plupart des enseignants se dispensent de l'effort de réfléchir et de penser en termes de sens et de contenus, ils préfèrent alors s'en remettre aux détenteurs des textes officiels et à leurs «exégètes», en la personne de «chargé du LMD» au niveau des rectorats, lesquels «collent» aux textes dont ils n'entendent d'ailleurs que la forme standard des mots qui les composent.
Ce LMD aux contours vagues est censé pourtant avoir fait l'objet d'un «débat» qui aurait mobilisé, du 5 avril au 7 mai 2008, «l'ensemble de la communauté universitaire (étudiants, enseignants)» et ceci «à tous les niveaux (départements, facultés, instituts, établissements universitaires) en impliquant des représentants du secteur socio- économique». Mais ce qu'il faut entendre par «débat» chez nous, c'est plus des «notes ministérielles», comme celle du 22 mars 2008, des consignes et des recommandations, que de confrontations contradictoires d'idées, de projets et d'enjeux entre les parties prenantes.
Comme ces décrets, ces notes ministérielles et ces recommandations, etc., revêtent une sorte de caractère «sacré», ils ne peuvent dès lors se prêter à un débat contradictoire et moins encore à contestation, puisqu'ils sont le produit d'une réflexion d'experts fondée et justifiée par une jurisprudence presque intangible. Ce qui donnerait plus à ces textes leur «constance» et leur légitimité, ce sont ces journées d'étude organisées, faites d'explications et «de sensibilisation», comme au temps de la fameuse révolution agraire, de colloques, de séminaires… organisés au niveau local, régional et national avec parfois la participation d'experts étrangers. Le signalement de la présence de ces derniers permet de donner une «caution» d'expertise scientifique au LMD, importé et transposé dans le contexte algérien.
Le bilan de quatre années d'application du LMD
Que peut-on dire après quatre années d'application de la réforme LMD ? Le rapport national de synthèse résultat du rapport d'évaluation d'étape a cependant ce mérite de reconnaître des insuffisances et se propose d'en atténuer les effets négatifs sous forme de «recommandations». Ce rapport, qui s'articule en sept axes, mérite qu'on s'y arrête. Le premier concerne la construction des offres de formation. Il est dit que celle-ci «ne doit plus résulter d'une vision partielle, mais émaner d'un plan de développement mûrement réfléchi par l'établissement sur la base de lignes directrices formulées par la tutelle».
Les rapports de synthèse provenant des différents établissements relèvent des insuffisances nombreuses dont les plus saillantes se reflètent dans la pléthore d'offres qui excèdent les capacités humaines et matérielles des établissements ; dans l'absence d'adéquation avec les compétences scientifiques disponibles ainsi que dans l'environnement socio-économique ; dans l'incohérence entre les programmes d'enseignement et les volumes horaires ainsi qu'à travers le mode d'enseignement du système LMD et enfin dans les parcours ouverts censés viser les mêmes objectifs de formation, mais qui divergent cependant par leur contenu d'un établissement à l'autre. Si la reconnaissance de ces insuffisances doit être louée, elle ne traduit pas moins un aveux d'échec de l'application du LMD. Comment remédier à ces insuffisances constatées ?
Les recommandations issues des conférences régionales comportent quatre éléments desquels dépendrait la réussite de la formation dont les domaines sont définis comme le «champ des compétences de l'établissement».
Dans cette optique, il est donc recommandé la mise en œuvre de quatre procédures : 1. «de comités spécialisés par domaine pour évaluer le contenu des programmes. En effet, il n' y a pas obligation d'uniformité et chaque université doit avoir sa spécificité locale»; 2. «l'intensification de l'enseignement des techniques de communication et d'expression permettant une meilleure assimilation des programmes qui sont soumis à l'étudiant, ce qui donnera lieu à un travail personnel plus soutenu» ; 3. «l'intégration de l'apprentissage des langues étrangères et de l'outil informatique dans les enseignements» ; 4. «la révision du seuil minimum à partager pour les formations d'un même domaine».
Qui va assurer l'application et le succès de ces recommandations érigées en dispositifs ? Les Commissions nationales spécialisées des domaines (CND) sont désignées comme le cadre idéal et les garantes de cette réussite. Elles sont appelées à s'instituer réglementairement afin qu'elles puissent entretenir un «état de veille» permanent de l'organisation des domaines grâce à «des réunions régulières».
Le recrutement massif ces dernières années de personnes titulaires de magistères, venues pour la plupart de lycées, voire de collèges, parmi lesquelles figurent quantité d'autodidactes dans le domaine de l'enseignement et de la recherche, le recrutement d'autres personnes au profil vague par le jeu de «copinage» et de cooptation, voilà qui fait de notre université le point de ralliement d'un ensemble d'éléments confus et hétérogènes, le réceptacle dans lequel se déverse comme à l'improviste une masse d'individus souvent assoiffés par plus d'ambition de réussite et de prestige de «l'universitaire» que de la connaissance désintéressée. C'est parmi cette cohorte que sont le plus souvent «extraits» les experts et les spécialistes en évaluation. C'est que le jeu de copinage, de clientélisme, de clan et de coterie qui règne au sein des établissements universitaires empêche la sélection des meilleurs à la tête des commissions pédagogiques d'évaluation et d'expertise.
Ce n'est pas la politique de l'Etat qui est en cause, mais «la politique» des clans au niveau des établissements dont les responsables (recteur, vice-recteurs, doyens, chefs de département…) choisissent leurs hommes de confiance et les désigne comme «experts», évaluateurs, etc., et ce choix se porte presque toujours sur des maîtres assistants, rarement sur des maîtres de conférences ou professeurs. Un seul exemple illustre cette pratique anti-scientifique et anti-compétence : chaque année, le ministère demande aux universités d'envoyer aux conférences régionales des experts pour évaluer les propositions d'ouverture de nouvelles filières ainsi que les contenus des formations.
Or, dans la majorité des cas les «experts» envoyés sont triés plus en fonction de leur allégeance et obéissance au «chef», dont ils dépendent qu'en fonction de leur grade ou compétences. Cette «politique» obéit en fait plus à la logique du pouvoir, à la volonté de conserver ou de renforcer la «position acquise» qu'au souci de servir son université ou la «science», mot dont beaucoup aiment à se gargariser.
Lorsque par exemple un recteur ou un doyen redoute la concurrence d'un professeur ou d'un maître de conférences aux compétences affirmées, il prend soin de le marginaliser grâce à son pouvoir administratif et la meilleure façon de rendre cette marginalisation irréversible, c'est de lui préférer un maître assistant comme expert désigné à participer aux assises, à être vice-recteur chargé de la pédagogie, à être président ou membre du conseil scientifique de tel ou tel comité pédagogique, etc. Parmi ces «élus», il en est qui sont, il est vrai, «docteurs» ou baptisés comme tel, mais dont le profil répond tout à fait au critère d'allégeance qui lui est requis. Et la question qui se pose maintenant est de savoir dans quelle mesure ces profils aux figures souvent pâles, pusillanimes et sans consistance sont-ils en mesure de prendre en charge la mise en application du LMD ?
Dans quelle mesure peuvent-ils contribuer à un encadrement de qualité des étudiants aussi bien dans le domaine de la méthodologie que dans celui de l'«enseignement technique de la communication et d'expression» ainsi que de «l'apprentissage des langues étrangères» ?
Le prochain article tentera de répondre à toutes ces questions en même temps qu'il mettra en relief l'ampleur des dégâts suscités par une gestion aussi irresponsable qu'incompétente de certains de nos établissements universitaires. Parmi les sept axes retenus par le rapport de synthèse pour pallier les insuffisances relevées en matière d'enseignement du LMD
(construction des offres de formation, exigences pédagogiques du LMD, tutorat, supports pédagogiques et didactiques, relations de l'université avec le secteur socio-économique…), je me contenterai d'analyser l'axe 2
( les exigences pédagogiques du LMD) et l'axe 3 (le tutorat).
Les exigences pédagogiques du LMD
Quoique indéfini, le concept de LMD est posé comme opératoire. Il est réputé être au «centre des réformes» nées du «riche débat engagé» presque en conciliabule, dans les coulisses du ministère de l'Enseignement supérieur. Bien qu'en matière de canevas et de procédures d'habilitation, «les experts» ne soient pas encore «suffisamment imprégnés des nouveaux concepts LMD», celui-ci doit être mis en œuvre en dépit de tous les aléas de l'enseignement et de la recherche.
Ses exigences sont ambitieuses et frisent quelquefois l'absurde. Cet absurde saute aux yeux dans la recommandation que voici : «Veillez à l'adaptation de l'enseignement supérieur (enseignants, étudiants et ATS) aux exigences du LMD par l'appropriation des nouvelles pratiques pédagogiques.» Pour s'adapter et se plier aux exigences du LMD, les intéressés que sont les enseignants et les étudiants ne devraient-ils pas tout d'abord comprendre ce dont on parle ? Les discussions informelles ou en aparté entre les enseignants d'une part, et entre ces derniers et leurs étudiants, démontrent que le contenu aussi bien que les moyens de la mise en œuvre de ce concept demeurent flous. Le concept lui-même représente pour chacun une abstraction désincarnée.
Comment parler d'appropriation des nouvelles pratiques pédagogiques lorsque les praticiens eux-mêmes ne sont pas initiés à ce nouveau concept, sans parler du fait qu'ils souffrent cruellement d'une formation initiale pour pouvoir répondre aux «exigences» du LMD ? Les dix-neuf recommandations que comporte ce paragraphe sont tellement ambitieuses et exigeantes qu'elles requièrent des compétences avérées dans les divers domaines de formation, compétences dont on connaît le déficit, sans parler de la prédominance au sein des universités des enseignants aux qualifications discutables ( magistères, maîtres assistants, voire maîtres de conférences de rang A et B).
L'absurde en effet réside dans la dichotomie entre le caractère ambitieux et abstrait du système LMD et la faiblesse des moyens disponibles pour sa mise en branle. Lorsqu'on déclare qu'il faut «veiller à la clarification des étapes d'évaluation et de progression dans la formation du système LMD» on suppose l'existence de formateurs qualifiés et d'évaluateurs compétents dans les divers domaines de la formation, ce qui est loin d'être le cas en l'occurrence.
Le Tutorat, fiction ou réalité ?
Figure comme nouveauté dans le rapport de synthèse, la notion de tutorat qui, en Europe, existe depuis belle lurette, s'adapte tout à fait au niveau de développement atteint par les nations qui la composent. Comme le LMD et toutes les notions qui en dérivent, le tutorat apparaît ici plus comme une idée empruntée et plaquée que raisonnée. Dans sa formulation, cette notion imite l'original, c'est-à-dire qu'elle est correctement ou presque copiée des divers textes français et européens relatifs au LMD. La définition même du tutorat n'est guère différente de celle donnée par les établissements français et anglais, notamment. Ainsi le rapport de synthèse en question le définit comme «une forme d'aide individualisée, offerte soit pour accompagner un apprenant qui éprouve des difficultés, soit pour donner une formation particulière, complémentaire ou à distance». Les termes de cette définition résonnent en effet aux oreilles familières au discours de la sociologie de l'éducation et de l'enseignement en Europe comme quelque chose d'ancien et qui n'a rien donc de nouveau. La nouveauté réside en l'occurrence dans le fait que ces concepts et notions sont transportés tels quels et transposés dans un contexte social, culturel et économique qui n'est guère préparé pour les mettre en application.
Le système de tutorat, qui a fait ses preuves et qui continue à s'appliquer en Occident avec plus ou moins de bonheur, peut-il s'appliquer avec le même profit chez nous ? Avons-nous les ressources intellectuelles suffisantes pour le mettre en œuvre ? Si nous disposons de ressources financières et des infrastructures éducatives des plus importantes de toute l'Afrique, nous manquons en revanche d'encadrement de qualité susceptible de concrétiser les ambitieuses recommandations consignées dans le rapport de synthèse. Ce dernier prétend au contraire que «la réforme LMD a apporté des innovations majeures et des concepts nouveaux dans l'enseignement supérieur.» La réalité comme l'observation attentive de ce qui se passe sur le terrain apportent des démentis cinglants à cette affirmation péremptoire. Si des concepts ont été bel et bien «importés», les présumées «innovations majeures» ne s'observent nulle part. Mais de quelles innovations s'agit-il d'abord ?
Je laisse momentanément cette question en suspens et je reviens sur le tutorat. Pour être tuteur d'un apprenant, il faut être non seulement compétent et bien pénétré du concept du LMD, mais avoir aussi à sa disposition un espace de travail doté de tous les moyens indispensables à l'enseignement et à la recherche : un bureau avec ordinateur, téléphone, fax, Internet et des sièges pour accueillir les apprenants, individuellement ou collectivement. Or, dans la plupart de nos universités ces conditions sont rarement réunies. D'abord, la majorité des enseignants, tous corps confondus, ne sont pas intellectuellement lotis pour être des tuteurs. Il suffit de consulter les mémoires de magistères, de thèses ou même de doctorat d'Etat pour se rendre compte de leurs niveaux respectifs.
Autre indice révélateur : les entendre parler de LMD, de méthode de recherche ou lire toute bonnement leurs polycopiés de cours pour se faire une idée exacte de leur niveau de savoir et de savoir-faire. Souvent ces enseignants, auxquels nous avons affaire, ont un savoir et une représentation de l'enseignement ressortant plus d'une approche scolastique, répétitive et prolixe, que d'un esprit méthodique et critique de ce qu'ils lisent et dispensent comme enseignement. Côté environnement de travail, les choses ne vont guère mieux. L'écrasante majorité des enseignants ne disposent pas de bureau et dans certaines universités, ils n'ont même pas de boîte à lettres. En les supposant tous compétents et tous pénétrés de «ces concepts nouveaux» pour s'ériger en tuteurs légitimes, ces enseignants ne peuvent pas dans leur quasi-totalité disposer d'un bureau pour l'unique raison que l'administration se réserve la part du lion, et lorsque des locaux excèdent ses besoins, elle préfère, comme à l'université de M'sila, les laisser verrouillés.
Dans ces conditions, le tuteur ne pourra jamais accomplir sa mission et l'apprenant n'apprendra rien qui vaille la peine. En Europe, aux Etats-Unis, tout comme en Turquie, en Iran, en Indonésie et en Malaisie et même au Maroc et en Tunisie, il est inconcevable qu'un enseignant de rang magistral ne puisse pas disposer d'un bureau. Une telle privation est considérée sinon comme illogique, du moins comme improductive et donc préjudiciable à la fonction enseignante. En Occident, les jeunes doctorants et les «apprenants» sont placés dans des positions bien meilleures que celles de la majorité de nos enseignants : ils disposent, grâce à leurs tuteurs, de bureaux équipés de tous les moyens nécessaires à la recherche et ceci en sus des bourses et des vacations dont ils bénéficient au sein de leur établissement de rattachement.
Mais dans le rapport de synthèse qui récapitule les recommandations, le tutorat ne concerne pas seulement l'enseignant, qui n'est qu'un tuteur, parmi d'autres. Il concerne l'ensemble de l'encadrement de l'université, personnel administratif et enseignant. Pour que ce tutorat puisse être efficace et remédier aux faiblesses constatées (manque d'espace imparti à l'accueil des étudiants, surnombre de ceux-ci, inexistence de textes définissant les missions du tuteur) il est préconisé de mettre en place des dispositifs organisationnels de tutorat à trois niveaux :
a) accueil , information et orientation; b) accompagnement pédagogique et travaux personnels ; c ) soutien à l'insertion professionnelle. Le premier point est caractérisé par le constat d'échec au cours la 1re et la 2e années d'études, qui se traduit par un nombre important d'étudiants qui abandonnent leurs études au cours de ces mêmes années, par le nombre sans cesse croissant d'entre eux qui se montrent déroutés, faute de conseils d'orientation pédagogique et par la prise de conscience tardive de la non-pertinence de leurs choix des filières initialement optées. Le point ou le niveau 2 du tutorat est motivé par le constat d'absence de suivi pédagogique et d'effort personnel effectué par l'étudiant, qui se trouve comme abandonné à lui-même. Le niveau trois, enfin, résulte de la nécessité de combler le vide en matière d'orientation professionnelle des étudiants en fin de cycle afin qu'ils puissent s'insérer dans la vie active. Si ces constats mettent en relief des faiblesses bien réelles que d'aucuns pointent du doigt depuis des décennies, les moyens humains et matériels suggérés pour les atténuer s'avèrent en revanche quasiment impossibles à réunir étant donné les multiples carences d'encadrement observées tant au niveau du personnel administratif qu'au niveau des enseignants. Il ne suffit pas d'affecter, par exemple, une hôtesse vêtue d'une tenue réglementaire au bureau d'accueil et d'orientation pour que la question de l'information et de l'orientation soit résolue. Encore faut-il que cette hôtesse soit qualifiée, motivée et réceptive aux demandes émanant des étudiants pour les orienter vers les bonnes directions et non une secrétaire incompétente, revêche et rébarbative comme on en voit dans la plupart de nos établissements universitaires ou dans nos bureaux de poste et de télécommunications.
Il faut aussi en finir avec cette mentalité de rétention de l'information qui prévaut dans la plupart de nos administrations où la moindre demande en ce sens provoque chez l'employé ou le fonctionnaire un mouvement de recul et de suspicion face au citoyen qui lui réclame une information, comme si celle-ci relevait du secret d'Etat. Les exemples de ce type absurde, illogique de rétention de l'information abondent. Ainsi, dans beaucoup de nos universités mêmes, cette rétention de l'information prend des formes fort variées, quasi pathologiques : elle se traduit tantôt par le refus du fonctionnaire de communiquer au citoyen et même à son collègue ou à l'enseignant l'information dont il a besoin ( copie du Journal officiel ou un texte réglementaire…), soit par le refus de fournir une information ne relevant pas de l'ordre du secret professionnel.
L'exemple le plus cocasse de ce type de comportement nous est fourni par ce chef du personnel d'une université nationale, mais aussi par cet autre responsable d'un réseau Internet du même établissement qui refusent de communiquer le nombre total d'enseignants par grade, au motif que cela ressort du secret professionnel ! Alors que le nombre, les noms, les âges, les lieux de naissance, le sexe et les grades sont indiqués sur le site de l'établissement, ces fonctionnaires persistent à croire que la divulgation de cette information attenterait «à la vie privée» des gens et partant au «secret d'Etat»! Ce n'est donc pas avec une telle sous-culture juridique qui se double d'une incompétence têtue que l'on pourra réussir, en l'occurrence, à faire fonctionner de manière efficiente un tutorat sous le label : accueil, information et orientation dans les différents établissements universitaires. Avant de parler d'organisation technique et réglementaire, de tâches et de missions, n'aurait-il pas été préférable de mettre l'accent sur les structures mentales et intellectuelles et donc sur la nécessité de leur refonte profonde, ce qui requiert une formation poussée de l'ensemble du personnel chargé de l'encadrement, du suivi et de l'orientation? Cette question s'applique aussi aux niveaux 2 et 3 du tutorat indiqués ci-dessus.
L'accompagnement pédagogique requiert, de la part des enseignants permanents des compétences confirmées et des moyens matériels conséquents pour mener à bien leur mission, qui est celle d'assister les étudiants dans la conduite de leurs travaux personnels. Or, ces enseignants censés devoir accompagner pédagogiquement les étudiants sont eux-mêmes, pour la plupart, démunis de moyens matériels et d'outils conceptuels et pédagogiques, et parfois leur environnement intellectuel et social n'a rien à envier à celui des étudiants de niveau master et doctorat, appelés à les épauler en qualité de co-tuteurs «pour chaque groupe d'étudiants de licence».
Le niveau trois du tutorat, relatif au soutien à l'insertion professionnelle, témoigne de la même fiction pédagogique du tuteur qui, dans tous les cas, relève plus du profil idéal, que de l'idéal concret et réalisable. Tous ces tuteurs ainsi dessinés par le rapport national sur l'évaluation d'étape de la réforme des enseignements supérieurs ne sont que des figures idéales et abstraites et non des réalités palpables, possibles et réalisables dans le champ du concret. Lorsque nos structures administratives et mentales sont frappées de rigidité qui les rend imperméables à la flexibilité, à la souplesse, lorsque l'administratif empiète sans cesse sur la fonction intellectuelle et lorsque, enfin, la majeure partie des enseignants demeure comme ankylosée au plan de la production du savoir et des publications de qualité, comment dès lors s'attendre à une réforme réussie de l'enseignement supérieur et de sa mise au niveau des standards internationaux?
L'analyse aussi bien du contenu que de la forme de ce rapport d'étape démontre en effet une méconnaissance de la réalité du terrain qui se traduit par une surestimation des moyens et des capacités dont disposent nos universités. Le texte sur le statut de l'enseignant chercheur relève du même ordre et verse, comme le rapport d'étape, dans les mêmes travers consistant à poser comme réalisable un système (le LMD) dans un contexte et un environnement social, culturel et économique perturbés et dans lesquels les acteurs invités à mettre en pratique ce «nouveau concept» ne sont guère intellectuellement préparés. (A suivre)
L'auteur est chercheur universitaire


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