La vague de froid et la neige qui se sont abattues sur la région de Draâ El Mizan ces derniers jours ont causé d'énormes dégâts. Au demeurant, la grande majorité des citoyens habitués à la longue sécheresse ne pensaient pas revivre les hivers rigoureux d'antan. Ainsi, en raison de l'insouciance qui a régné durant des décennies, les saisons hivernales ne sont jamais préparées et les précautions nécessaires ne sont pas observées. L'embellie des années 1980, qui a engendré la frénésie de la construction, a entraîné la destruction totale des anciennes maisons dans nos campagnes et montagnes. Des villages entiers ont été remodelés sur une architecture qui ne répond pas aux besoins des habitants et n'épousent aucunement le relief et l'environnement. Tasga, cette grande pièce qui servait de cuisine, salon, salle à manger, bergerie, étable, garde-manger, est rasée pour être remplacée par des chambres à une seule fonction. « Lorsque mes enfants ont démoli notre tasga pour ériger cette nouvelle bâtisse malgré mes protestations, j'ai su ce jour-là qu'un grand trait venait d'être tiré sur notre culture et notre passé », nous confie ammi Slimane, septuagénaire, retraité de France. En effet, pour nos interlocuteurs et pour de nombreux citoyens d'un certain âge, qui nous ont apporté leurs témoignages, cette habitation traditionnelle était le vrai centre de la vie familiale. Ainsi, par sa grande superficie, qui avoisine près de 100 m2, elle est partagée par tout le monde comme elle les rassemble pour tous les repas et les veillées tandis que tous les petits-enfants y trouvent leur gîte sous la surveillance de leurs grands-parents. « C'est surtout en hiver que tasga prend toute son importance », nous apprend un autre vieil homme. Lorsque la neige a tout couvert et n'ayant rien à faire durant plusieurs jours, les membres de la famille se rassemblent autour du kanoun alimenté avec des bûches de bois. Le brasero est maintenu ainsi toute la journée et le soir à la joie des enfants qui jouent à faire jaillir des étincelles. La chaleur est ainsi fournie par la paire de bœufs et les moutons installés dans l'autre partie de la pièce qui sert ainsi d'étable, tandis qu'au-dessus des bêtes est aménagée taâricht où sont entreposées les affaires de la famille. De l'autre côté de la pièce, tout le long du mur, trônent les imposants ikoufen remplis de provisions comme le blé, l'orge et les figures sèches. « C'est en été qu'il faut prendre les précautions pour passer un hiver tranquille », nous lance ammi Slimane qui ne pardonne pas à ses enfants de lui avoir enlevé ce qu'il avait de plus cher. Très fâché, il nous confie ses difficultés à chauffer son immense bâtisse où toutes les pièces sont dotées de résistances électriques et de bains d'huile, alors que la bouteille de gaz butane, par ces jours de neige, reste introuvable et les pannes d'électricité sont très fréquentes. Les anciens villageois se remémorent les longues veillées familiales autour du kanoun dans tasga qui était chère aussi pour le défunt Mouloud Mammeri qui l'a immortalisée dans son œuvre La Colline oubliée.