Avançant péniblement sous un ciel brumeux et grisâtre, une vieille femme du village de Derna, dans la commune d'Iboudrarène (45 km au sud de la wilaya de Tizi Ouzou), portant un tronc d'arbre asséché sur sa tête, presse le pas pour rentrer chez elle. « J'ai entendu à la radio qu'il y aura de la pluie et de la neige dans les prochains jours », dit-elle, essoufflée. Toutes les familles de cette contrée reculée de la Kabylie se préparent activement pour affronter la rigueur de la saison hivernale. Sur le chemin qui mène du chef-lieu de la commune, en passant par les villages de Bouadenane, Tala N'tazert, Derna et Aït Alaoua, des hommes et des femmes s'affairent à ramasser du bois avant de le charger sur le dos des baudets. « J'ai de quoi passer trois hivers successifs, mais je continue à me ravitailler. On ne sait jamais ce qui peut se passer à l'avenir », déclare El Hocine, avant d'indiquer que « ceux qui n'ont pas d'où puiser du bois, sont contraints de l'acheter à des prix très élevés allant de 5000 DA pour le chargement d'un camion de moyen tonnage à 12000 DA pour les grands tonnages ». Se remémorant les événements qu'il a vécus l'année dernière, son voisin Mohamed, la cinquantaine, enchaîne : « Nous avons été bloqués par la neige dans nos maisons pendant près de trois semaines, et je n'ai pas envie de revivre le même enfer. Cette fois-ci, j'ai tout prévu. J'ai ramassé suffisamment de bois pour le chauffage. J'ai acheté de la semoule ainsi que tous les autres produits alimentaires de base. » Adossé à un mur d'un magasin d'alimentation générale, Samir, 20 ans, raconte avec précision la longue période d'isolement dans son village à Tala N'tazert. « La neige avait atteint plus de 1,20 m de hauteur. Une vieille femme est décédée avant son arrivée à l'hôpital de Tizi Ouzou. C'est grâce à la solidarité des citoyens que nous avions pu faire face à la crise. La nourriture commençait à manquer. Les magasins ont été vidés de toutes leur marchandise par les clients qui ont acheté même les produits périmés », se souvient-il, avant de partir avec l'un de ses amis dans une camionnette pour ramener des bottes de foin pour sa vingtaine de moutons et de chèvres. « Ici, tout le monde possède des vaches et des moutons. Et il faut penser à eux aussi parce qu'ils sont d'un grand secours dans les situations de grandes crises financières », explique Hafid, un berger. En l'absence d'un distributeur permanent de gaz butane, l'usage de ce carburant se limite au seul besoin de la cuisine, ajoute-t-on par ailleurs. Son prix, qui est de 230 DA la bouteille, s'avère être une lourde charge pour une population dont la majorité ne survit qu'avec un salaire qui dépasse de peu le SNMG. « Notre pouvoir d'achat se détériore de plus en plus, ce qui nous pousse à calculer toutes nos dépenses au centime près », se plaint Salah, un père de cinq enfants qui touche un salaire de misère : 13 000 DA mensuellement. Au bout du monde : Aït Alaoua Situé sur l'autre versant de la montagne, à 5 km de Derna, le village des Aït Alaoua est déjà envahi par la neige, d'une couche de près de 25 cm. La route qui mène vers ce hameau perdu, à plus de 1000 m d'altitude, est complètement défoncée. Sur ses deux abords, l'on remarque la présence de grandes quantités de bois qui attendent d'être acheminées vers le village. A certains endroits, des blocs de pierre bloquent presque l'accès. « C'est arrivé ce matin à cause des fortes pluies de ces derniers jours », explique un berger qui ramasse quelques morceaux de bois pour allumer un feu, tout en gardant l'œil sur son bétail. En raison des risques d'éboulement, aucun transporteur ne veut s'aventurer dans cette zone. Les habitants de Aït Alaoua, qui ont quitté leur maison en 1999 à cause du terrorisme et qui commencent à peine à s'y réinstaller, éprouvent d'énormes difficultés à se réadapter. Sur une quarantaine de familles qui ont fuit la menace islamiste, une dizaine est seulement revenue, note-t-on. « Nous souffrons de l'isolement et du mépris des pouvoirs publics qui semblent ignorer carrément notre existence », s'insurge Kamel, un jeune chômeur, qui ajoute : « Le seul moyen de survivre dans cette région c'est d'avoir un grand troupeau de bœufs ou une pension en devise. Pour faire ses achats, il faut se déplacer dans les autres villages ou attendre le passage d'un éventuel marchand ambulant dans les parages. » Notre interlocuteur ne cache pas ses appréhensions suite à l'annonce par les services météorologiques d'éventuelles chutes de neige dans les prochains jours. « Pour cette année, nous avons tout prévu pour passer un hiver tranquille dans nos maisons. Mais nous craignons d'être livrés à nous-mêmes en cas de fortes neiges lorsqu'on sait que les moyens consacrés par l'Etat sont inexistants dans ce cas d'extrême urgence. » C'est ce que craint aussi Kaci Aïssa, nouveau président d'APC d'Iboudrarène, pour lequel toute la population témoigne de son dévouement et de sa présence auprès des citoyens durant les intempéries de l'année dernière, période durant laquelle il assumait les charges d'administrateur communal. Ce dernier affirme que sa commune ne dispose pour le moment d'aucun chasse-neige. « L'engin promis par le wali de Tizi Ouzou, lors de sa dernière visite dans la région, n'est toujours pas arrivé », affirme-t-il avant d'ajouter qu'une correspondance datant du 12 décembre 2005 est adressée au premier magistrat de la wilaya pour lui rappeler son engagement avant que la catastrophe n'arrive.